Hervé Rostagnat est né en 1955 à Suresnes. Il a vécu à Paris où il a fait ses études pendant ses vingt cinq premières années. Il rejoint Nice au début des années quatre vingts. Il termine ses études de droit et devient enseignant en économie gestion, d'abord en établissement privé puis il rejoint le public où il enseigne en lycée professionnel jusqu'en 2020, année à compter de laquelle il prend sa retraite. Il créé en 2016 la revue littéraire L'Altérité où il rassemble un certain nombre d'autrices et d'auteurs. Il s'entoure de collaborateurs qui oeuvrent gratuitement pour la revue. L'Altérité publie des chroniques littéraires, des essais, des articles, des romans, des oeuvres épistolaires mais au fil du temps c'est la poésie qui va prendre le dessus sur l'ensemble de la production littéraire.
Si l’image de la mosaïque me vient avant celle de la boussole, c’est qu’avant d’être désorienté par cette érudition parfois ostentatoire, on perçoit dans ce livre la richesse de la culture orientale dans sa multiplicité disciplinaire (musique, peinture, poésie, littérature, sciences), culturelle (Turquie, Liban, Syrie, Libye, Iran) et ce à travers le prisme très fragmenté de l’esprit d’un homme, Franz, en proie à l’insomnie, spectateur, entre veille et somnolence, de ses propres visions, de ses souvenirs, aspiré par la multiplicité des liens qui relient l’occident à l’orient et la multitude des références où il perd parfois le lecteur.
Raboliot est braconnier en pays de Sologne. Il est marié et il a trois enfants. Le braconnage est sa passion et la Sologne aussi. Raboliot est poursuivi par la maréchaussée et par le gendarme Bourrel, son ennemi intime. L’histoire se termine dans un combat singulier.
Sa femme s’appelle Sandrine. Ses deux garçons s’appellent Edmond et Léopold. Sa dernière est la petite Sylvie. Ils résument, étymologiquement, à eux seuls l’histoire de Raboliot : il cherche la richesse de la forêt mais il doit être viril et fort comme un lion pour se protéger contre l’ennemi.
Mais qui est l’ennemi ? Est-ce l’autorité qui fait appliquer le droit objectif ? Raboliot est-il son propre ennemi en proie à sa passion du braconnage et tout à la joie que lui procure la nature au droit de laquelle il accepte exclusivement de se soumettre ? Qui détient la vérité du braco, de la communauté des hommes ou de la justice ? Voilà la question que pose cette fable libertariste , où le personnage principal balance entre le choix de l’absolue liberté et l’indispensable grégarisme . Cette histoire est universelle. Et la Sologne en est le cadre.
Il arrive un moment où, à cause de mon intimité avec la pensée de Jean Giono, je ne sais plus si je me reconnais parfaitement dans son œuvre en raison d’une communauté de pensée avec lui ou si cette communauté de pensée résulte de ma perméabilité à son œuvre. Autrement dit, pense-t-il comme moi ou pensé-je comme lui ? Si on s’en tient à la chronologie des faits, sa pensée est évidemment antérieure à la mienne. Elle est même bougrement moderne, voire prophétique, puisque « Lettre aux paysans » date de 1938. Mais alors qu’il n’avait que le bon sens pour s’exprimer et une étonnante propension à la pensée autonome, son œuvre cadre étrangement avec le courant de pensée contemporain qui, en période de crise, remet en cause le capitalisme dont l’impact sur l’écologie, ignoré alors qu’il n’était que supposé (co², réchauffement de la planète) commence à inquiéter. Et c’est justement la modernité de sa pensée qui me permet cette confusion entre mon adhésion à « l’air du temps », productrice d’une certaine dissidence comme phénomène presque biologique de réaction aux excès d’un système et à la clairvoyance de Giono.
Madame et monsieur s'en revenaient de la messe. Par le square Saint Léon, ils rejoignaient le domicile. Après le rôt du dimanche, manger quelques douceurs. Une religieuse pour lui, un simple palmier pour elle qu'elle craquera délicatement de ses blanches ratiches, juste pour l'accompagner. Et ce faisant, défendre ses formes contre d'adipeuses proportions.
« Foutaise ! ... Elle est sans âge ! ... Elle se tient bien la bourgeoise ! » me dit le patron du Vauban qui voit, depuis toujours, le couple revenir de ses dévotions.
Ils s'en revenaient de la messe par le square Saint Léon. A leurs pieds, quelques pigeons ouvrant la marche du couple avaient brutalement atterri sur les feuilles mortes pour échapper au pompeux fracas d'une volée de cloches ponctuant l'office. Lui, tendait l'auriculaire où la boulangère avait accroché le berlingot des gâteaux susvisés.
Frrrt ! Frrrt ! Font les feuilles que sous le joli pied l'automne a disposées. L'endimanché peton de l'homme à chaque pas mesure la distance. Il habite sa pompe. Pas au delà. N'empiète pas. N'effleure le sol que pour avancer. Saupoudre le chemin de quelques enjambées circonspectes pour tirer les deux spectres qui se tiennent pas le bras. Ils glissent. Fuient. A peine ils impriment l'espace du souvenir de leur passage. Ils sont bientôt rendus. S'excusent d'avoir troublé nos regards. Et s'effacent.
C'est derrière la baie vitrée du Vauban qu'il m'arrivait de prospecter ma clientèle. A l'affût, comme ça. Le bar était mon P.C. Ni téléphone, ni rancard. Hop ! Au vol ... j’alpaguais ma clientèle. De ci un air de m'ouvrir sa lourde, de là un air de m'acheter mes saloperies. Quelques chalands bons enfants me mettaient en confiance que je suivais pour dégauchir une adresse.
Ainsi m'étais-je accoudé sur un guéridon dont le choix était toujours mû par la volonté d'en occuper l'entière superficie. De peur qu'un connard ne s'y attablât pour me faire la conversation et qu’il me tire du facile mutisme où je me complaisais.
- Moi, le dimanche - il aurait pu dire - d'habitude, c'est un tiercé que je fais ; mais là, c'est un loto.
Qu'il y vienne ! Toute la minerve, là, je la sens se fendiller qui me guindait le port et portait mon regard loin, loin, par delà ses simagrées. Par delà le verre qu'il fait glisser sur la table. Et, qu'en signe de confraternité, il range près du mien. Mendiant comme les chiens, un regard du regard. D'un mot je le gratifie pour ne point l'accabler de mon indifférence. Lui jette un os. Mais je me romps ; me craquelle ; chavire. Car j'ai des politesses et des obligations. Qui me coûtent. M'emportent. Me font échouer sur sa grève. Et m'ébranlent d'un disproportionné ressac.
Déjà, je m'étais résigné au dimanche. Au tiers de la journée, j'avais décidé de ne plus lutter contre l'ennui où ce jour, d'habitude, m'abandonne. Soit, il y avait bien la balade au marché pétillant du peuple joyeux, cueillant sur l'étal les couleurs dont il pare le cabas. Ou le dimanche à la campagne que d'autres couleurs rafraîchissent et qui lissent, de la semaine, les humiliations. Ou encore l'eucharistique bambochade dont se grise l’endimanché fidèle pour se refaire une âme.
Mais à quoi bon. Je vivais au Vauban, seul et j’étais encore allergique à toute forme de culte. Je regardais dès midi, disparaître les cabas aux bouquets de légumes, les familles sur l'autoroute aux enfants égayés, les ouailles rassérénés et de lumière, éblouissantes. Je voyais progressivement disparaître le soleil et les ombres chinoises dont il tachait le mur. Je le voyais, indifférent, glisser d'un coin l'autre de ma chambre et rebondir lorsque, heurtant ma valise, il faisait le gros dos.
Assis donc à une table du Vauban, je laissais couler le jour. Je le regardais basculer d'abord et les couleurs glisser comme des décalcomanies sans rien dessous, et la ville blanchir. Elle se décolore. Et se désertifie. Fuient les poltrons comme des taupes, chassant sur elle la poussière et les reliefs de leur indignité. Alors, il ne lui reste plus qu'à éponger jusqu'au soir l'eau crasseuse de leurs bigotes ablutions.
Dans l’après midi, la pluie commençait à tomber que je regardais debout, le front posé contre la vitre. Ô, morne ville. Dégoutante de la mort dont, tous, ils se protègent. Ou d'au delà dont ils s'assurent, chaque dimanche, la concession perpétuelle. Voilà le gris dimanche. Le dimanche au vin triste. Celui que trop de foi rend mortel lorsqu’ils apprivoisent l'éternité.
J'étais à deviner, dans ces maisons closes, les âmes confinées, chauffées au feu de la foi qu'elles entretiennent du petit verre et du festin dérisoire et que peaufine, comme en le vernissant, l'euphorique effet de la confession. Le trou du cul, le dimanche, en prend bien à son aise. Bientôt, il lui pousse des ailes.
Le jour n'était pas encore tout à fait tombé. Mais les néons du Vauban s'étaient allumés. Depuis un moment déjà je sentais, sans réagir, ...
S’il est bien une question qui se pose, lorsqu’on lit « Soumission » de Houellebecq, outre celles, multiples, de savoir si l’auteur est islamophobe, provocateur, identitaire, nihiliste ou dépressif, c’est de savoir ce qu’il peut bien y avoir de romanesque dans cette production de 300 pages écrite, semble-t-il, au kilomètre, comme il le dit d’ailleurs, mais pour les 26 premières seulement, dans l’interview qu’il accorde à Sylvain Bourmeau le 17 décembre 2014.
Le mot roman est bien inscrit sur la première de couverture de l’édition Flammarion. Et l’histoire selon laquelle un parti musulman arrive au pouvoir en 2022, en France, devançant le Front National aux élections présidentielles, est tellement improbable qu’elle nous permet, a priori, de classer « Soumission » dans la catégorie du roman, voire du roman de politique fiction. Et pourtant, l’œuvre, si tant est que cet opus en soit une tellement il paraît bâclé, est si peu romanesque ! Houellebecq, ou François, a-t-il une si grande soumission à l’œuvre du maitre Huysmans et à son naturalisme pour qu’il accroche en permanence son récit à une réalité tellement anecdotique qu’elle leste vers le bas un travail qui participe plus d’une stratégie mercatique que d’une métaphore travestissant la réalité pour mieux la représenter ? Outre, d’ailleurs, cette évocation trop réaliste d’un monde dont il tente d’expliquer la confusion par un ordinaire, dont il faut bien le dire, le lecteur se fout – lecteur qu’il sous-estime en ne lui livrant que des repères d’une familiarité consternante ou dont il se moque en encadrant son œuvre dans un cahier des charges aussi simpliste qu’une sitcom – outre donc ce réalisme, il tente de justifier ses thèses par un galimatias d’auteurs tout aussi réalistes et de concepts dont la connaissance, tellement mal maitrisée, semble venir tout droit de la rédaction d’un élève pompant wikipedia. « Soumission » n’en est que plus confus. D’ailleurs, une autre question se pose de savoir à qui s’adresse ce roman. S’il s’adresse à l’élite intellectuelle pour laquelle Houellebecq a tant de déférence, on peut lui reprocher ses approximations et son populisme. S’il s’adresse au lecteur ordinaire, alors à quoi bon lui asséner tant d’assommantes références sinon pour le snober, le noyer, se faire valoir ou intimider, autant de mobiles qui n’ont rien à voir avec l’exercice de la littérature ?
Dans Ecrits Pacifistes Giono revient sur « Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix » (1938) et regrette d’avoir été à l’égard de la classe ouvrière si sévère en considérant notamment que la révolution individuelle était exclusivement entre les mains de la paysannerie. Il constate dans ses écrits de 1938 que les ouvriers avaient la maturité et l’autonomie nécessaires pour opposer le pacifisme « de huit-cent mille ouvriers du sous-sol, inscrits maritimes et ouvriers des Ports et Docks » au bellicisme du gouvernement, voire même des partis politiques et des syndicats.
Toute la question se pose alors de savoir ce qu’il entend par révolution individuelle qu’il promeut dans toute son œuvre en raison de sa farouche indépendance d’esprit et de son rejet du grégarisme comme potentiel risque d’hétéronomie, incarné par toute forme d’organisation qu’elle soit étatique, juridique ou idéologique.
Qu’est ce que la révolution individuelle ?
La révolution individuelle, selon Giono, c’est de « vivre dans la mesure de l’homme ». Et l’état de mesure est la pauvreté. Mais qu’on s’entende bien sur le terme pauvreté qu’on pourrait traduire par l’antonymie que Giono emploi lui-même dans un de ses ouvrages intitulé « Les vraies richesses », dans lequel il oppose au monde des villes et de l’industrie la simplicité du travail paysan et de l’artisanat. Voilà la révolution. Il s’agit de rompre avec les désirs artificiels créés par la société industrielle et la vie citadine où le travail « n’est plus à la mesure de l’homme » et produit des biens dont la matière « est agonisante ». Sa philosophie participe donc de l’Epicurisme selon lequel l’homme doit avoir un usage raisonnable des plaisirs en favorisant ceux qui sont naturels et nécessaires car ils lui permettront d’accéder au repos de l’âme. Ainsi, la pauvreté est tout ce qui suffit à la satisfaction de l’homme qui n’a pas d’autre occupation que de vivre en parfaite symbiose avec la nature. Il suffit qu’il ait le manger et le boire. Qu’il ait une terre pour cultiver. Et, cette terre doit être aussi à sa mesure sinon elle perd ses qualités naturelles qui se calibrent à l’aune de ses besoins.
Vivre dans la pauvreté est une révolution individuelle car l’homme est perçu par Giono dans sa pureté : « c’est l’homme qui n’a pas besoin de société, qui ne compte pas sur la société, qui se suffit à lui-même ». Quels sont les hommes capables de faire une telle révolution ? Ce sont les paysans auquel Giono adresse sa lettre parce que, dit-il « vous êtes les maitres de votre nourriture et de la nourriture de tous les hommes. Votre libération entrainera la libération de tous ». Ainsi, l’homme pauvre est un homme riche. Désormais, il invite aussi le prolétariat à faire cette révolution individuelle après l’avoir écarté à cause « de l’image que le parti communiste faisait des ouvriers » .