Hervé Rostagnat est né en 1955 à Suresnes. Il a vécu à Paris où il a fait ses études pendant ses vingt cinq premières années. Il rejoint Nice au début des années quatre vingts. Il termine ses études de droit et devient enseignant en économie gestion, d'abord en établissement privé puis il rejoint le public où il enseigne en lycée professionnel jusqu'en 2020, année à compter de laquelle il prend sa retraite. Il créé en 2016 la revue littéraire L'Altérité où il rassemble un certain nombre d'autrices et d'auteurs. Il s'entoure de collaborateurs qui oeuvrent gratuitement pour la revue. L'Altérité publie des chroniques littéraires, des essais, des articles, des romans, des oeuvres épistolaires mais au fil du temps c'est la poésie qui va prendre le dessus sur l'ensemble de la production littéraire.
Alexandre Dumas est connu pour ses romans historiques tels que Les Trois Mousquetaires (1844), Vingt ans après (1845), Le Vicomte de Bragelonne (1847), Le Comte de Monte-Cristo (1844-1846) et La Reine Margot (1845). On le voit ici (image ci-dessus) caricaturé par Cham dans une posture peu avantageuse mais très significative. Voilà un homme féru d’Histoire qui met de la chair dans ses histoires pour la rendre plus vivante que scientifique. Et voilà posée la problématique du roman vrai et du pacte que le lecteur passe avec l’écrivain : fiction ou réalité ? C’est cette question que pose, à notre sens, le livre d’Olivier Guez La disparition de Josef Mengele, prix Renaudot 2017. Vous trouverez dans la revue L’Altérité une chronique intitulée Réflexions sur l’ontologie d’une œuvre. Bonne lecture.
Litho. au crayon de Amédée de Noé, dit Cham (1819–1879).
In : Le Charivari, Paris, 31 mars 1858.
Sur son site le gouvernement présente le 22 septembre 2017 sa réforme de la loi travail en l’introduisant par une note d’intention dont voici le contenu :
« En étroite concertation avec les partenaires sociaux, le Gouvernement lance le projet de loi pour le renforcement du dialogue social par ordonnances. Le projet de loi d’habilitation vise à donner plus d’égalité, de liberté et de sécurité, aux salariés comme aux entrepreneurs, en renforçant le dialogue social. Dans un monde du travail en pleine mutation, il tend à faire converger performance sociale et performance économique ».
Si les enjeux sociaux et sociétaux de cette réforme n’étaient aussi graves, on pourrait sourire d’une telle concentration d’oxymorons dans un si petit texte : concertation / ordonnance, égalité – liberté – sécurité – salariés / égalité – liberté – sécurité – entrepreneurs, performance sociale / performance économique. Mais le gouvernement est d’une telle mauvaise foi que même la plume la plus alerte ne peut s’empêcher de tomber dans le piège de l’incohérence.
On peut diversifier ses lectures comme on diversifie ses voyages ou ses rencontres. Mais on peut aussi se disperser dans cette gesticulation et mal saisir les propos des auteurs qui vous écrivent, des pays qui vous reçoivent ou des amis qui vous parlent. Diversifier ses approches c’est faire preuve de curiosité mais concentrer son approche c’est aussi faire preuve de curiosité. Mais si la curiosité c’est d’abord savoir « prendre soin » en même temps qu’avoir le goût des choses, celle-ci n’est-elle pas incompatible avec deux penchants de notre humanité qui sont le divertissement et la consommation.
La nature exposée est un livre sur la foi. Sur la mauvaise foi. Et malgré les critiques très favorables qui ont accompagné sa sortie, nous ne l’avons pas aimé. Qu’est ce qui peut bien pousser l’Altérité à cette sévérité ? Sommes-nous un ramassis d’écrivains ratés jaloux du succès des auteurs contemporains ? Est-ce l’unanimité de la critique qui nous pousse à prendre le contrepied ? Auquel cas notre réflexion est le fidèle négatif de celle dont nous souhaitons précisément dénoncer le conformisme. Et elle est alors tout autant hétéronome !
2666, une grande œuvre, une œuvre monumentale tant par le contenu que par le nombre de pages ? Il ne nous semble pas. De là à écrire comme le fait une lectrice du site Babelio : « Près de 1000 pages de tripotage intellectuel vaseux et stérile, un vide abyssal, un ennui profond. 30 euros et je ne sais pas encore si je conserverai "l'ouvrage" même pour caler un pied d'armoire, tant il m'a semblé calamiteux !!! », nous ne le pensons pas non plus. Mais nous comprenons l’extrême sévérité de son jugement et nous l’expliquons par le dépit car pénétrer dans l’univers de Robero Bolaño après avoir été abreuvé des éloges dithyrambiques d’une presse hétéronome peut effectivement porter à la déception. Enfin, si Roberto Bolaño s’interroge souvent sur la relation entre l’écrivain et la critique, il ne se pose peut-être pas assez la question de la relation entre l’écrivain et le lecteur.
Comment l'hégémonie d'une civilisation ethnocentrique est capable de tuer un peuple d'autochtones ? Voilà la problématique du roman "Dans le grand cercle du monde" de Joseph Boyden. La question universelle et intemporelle est d'une puissante actualité, autant d'ailleurs que la question indienne, très à la mode. "Dans le grand cercle du monde" c'est du "Pocahontas" mais en un peu plus rugueux. Cette répétition de l'Histoire comme produit d'une caractéristique ontologique de l'homme explique peut-être le (mauvais) titre "Dans le grand cercle du monde" en forme de pléonasme ou de métaphore illustrant le cycle de la vie ? Notons au passage la faiblesse des titres des têtes de chapitres tirés arbitrairement d'une phrase de chacun d’eux.
Si l’image de la mosaïque me vient avant celle de la boussole, c’est qu’avant d’être désorienté par cette érudition parfois ostentatoire, on perçoit dans ce livre la richesse de la culture orientale dans sa multiplicité disciplinaire (musique, peinture, poésie, littérature, sciences), culturelle (Turquie, Liban, Syrie, Libye, Iran) et ce à travers le prisme très fragmenté de l’esprit d’un homme, Franz, en proie à l’insomnie, spectateur, entre veille et somnolence, de ses propres visions, de ses souvenirs, aspiré par la multiplicité des liens qui relient l’occident à l’orient et la multitude des références où il perd parfois le lecteur.
Raboliot est braconnier en pays de Sologne. Il est marié et il a trois enfants. Le braconnage est sa passion et la Sologne aussi. Raboliot est poursuivi par la maréchaussée et par le gendarme Bourrel, son ennemi intime. L’histoire se termine dans un combat singulier.
Sa femme s’appelle Sandrine. Ses deux garçons s’appellent Edmond et Léopold. Sa dernière est la petite Sylvie. Ils résument, étymologiquement, à eux seuls l’histoire de Raboliot : il cherche la richesse de la forêt mais il doit être viril et fort comme un lion pour se protéger contre l’ennemi.
Mais qui est l’ennemi ? Est-ce l’autorité qui fait appliquer le droit objectif ? Raboliot est-il son propre ennemi en proie à sa passion du braconnage et tout à la joie que lui procure la nature au droit de laquelle il accepte exclusivement de se soumettre ? Qui détient la vérité du braco, de la communauté des hommes ou de la justice ? Voilà la question que pose cette fable libertariste , où le personnage principal balance entre le choix de l’absolue liberté et l’indispensable grégarisme . Cette histoire est universelle. Et la Sologne en est le cadre.
Il arrive un moment où, à cause de mon intimité avec la pensée de Jean Giono, je ne sais plus si je me reconnais parfaitement dans son œuvre en raison d’une communauté de pensée avec lui ou si cette communauté de pensée résulte de ma perméabilité à son œuvre. Autrement dit, pense-t-il comme moi ou pensé-je comme lui ? Si on s’en tient à la chronologie des faits, sa pensée est évidemment antérieure à la mienne. Elle est même bougrement moderne, voire prophétique, puisque « Lettre aux paysans » date de 1938. Mais alors qu’il n’avait que le bon sens pour s’exprimer et une étonnante propension à la pensée autonome, son œuvre cadre étrangement avec le courant de pensée contemporain qui, en période de crise, remet en cause le capitalisme dont l’impact sur l’écologie, ignoré alors qu’il n’était que supposé (co², réchauffement de la planète) commence à inquiéter. Et c’est justement la modernité de sa pensée qui me permet cette confusion entre mon adhésion à « l’air du temps », productrice d’une certaine dissidence comme phénomène presque biologique de réaction aux excès d’un système et à la clairvoyance de Giono.
Madame et monsieur s'en revenaient de la messe. Par le square Saint Léon, ils rejoignaient le domicile. Après le rôt du dimanche, manger quelques douceurs. Une religieuse pour lui, un simple palmier pour elle qu'elle craquera délicatement de ses blanches ratiches, juste pour l'accompagner. Et ce faisant, défendre ses formes contre d'adipeuses proportions.
« Foutaise ! ... Elle est sans âge ! ... Elle se tient bien la bourgeoise ! » me dit le patron du Vauban qui voit, depuis toujours, le couple revenir de ses dévotions.
Ils s'en revenaient de la messe par le square Saint Léon. A leurs pieds, quelques pigeons ouvrant la marche du couple avaient brutalement atterri sur les feuilles mortes pour échapper au pompeux fracas d'une volée de cloches ponctuant l'office. Lui, tendait l'auriculaire où la boulangère avait accroché le berlingot des gâteaux susvisés.
Frrrt ! Frrrt ! Font les feuilles que sous le joli pied l'automne a disposées. L'endimanché peton de l'homme à chaque pas mesure la distance. Il habite sa pompe. Pas au delà. N'empiète pas. N'effleure le sol que pour avancer. Saupoudre le chemin de quelques enjambées circonspectes pour tirer les deux spectres qui se tiennent pas le bras. Ils glissent. Fuient. A peine ils impriment l'espace du souvenir de leur passage. Ils sont bientôt rendus. S'excusent d'avoir troublé nos regards. Et s'effacent.
C'est derrière la baie vitrée du Vauban qu'il m'arrivait de prospecter ma clientèle. A l'affût, comme ça. Le bar était mon P.C. Ni téléphone, ni rancard. Hop ! Au vol ... j’alpaguais ma clientèle. De ci un air de m'ouvrir sa lourde, de là un air de m'acheter mes saloperies. Quelques chalands bons enfants me mettaient en confiance que je suivais pour dégauchir une adresse.
Ainsi m'étais-je accoudé sur un guéridon dont le choix était toujours mû par la volonté d'en occuper l'entière superficie. De peur qu'un connard ne s'y attablât pour me faire la conversation et qu’il me tire du facile mutisme où je me complaisais.
- Moi, le dimanche - il aurait pu dire - d'habitude, c'est un tiercé que je fais ; mais là, c'est un loto.
Qu'il y vienne ! Toute la minerve, là, je la sens se fendiller qui me guindait le port et portait mon regard loin, loin, par delà ses simagrées. Par delà le verre qu'il fait glisser sur la table. Et, qu'en signe de confraternité, il range près du mien. Mendiant comme les chiens, un regard du regard. D'un mot je le gratifie pour ne point l'accabler de mon indifférence. Lui jette un os. Mais je me romps ; me craquelle ; chavire. Car j'ai des politesses et des obligations. Qui me coûtent. M'emportent. Me font échouer sur sa grève. Et m'ébranlent d'un disproportionné ressac.
Déjà, je m'étais résigné au dimanche. Au tiers de la journée, j'avais décidé de ne plus lutter contre l'ennui où ce jour, d'habitude, m'abandonne. Soit, il y avait bien la balade au marché pétillant du peuple joyeux, cueillant sur l'étal les couleurs dont il pare le cabas. Ou le dimanche à la campagne que d'autres couleurs rafraîchissent et qui lissent, de la semaine, les humiliations. Ou encore l'eucharistique bambochade dont se grise l’endimanché fidèle pour se refaire une âme.
Mais à quoi bon. Je vivais au Vauban, seul et j’étais encore allergique à toute forme de culte. Je regardais dès midi, disparaître les cabas aux bouquets de légumes, les familles sur l'autoroute aux enfants égayés, les ouailles rassérénés et de lumière, éblouissantes. Je voyais progressivement disparaître le soleil et les ombres chinoises dont il tachait le mur. Je le voyais, indifférent, glisser d'un coin l'autre de ma chambre et rebondir lorsque, heurtant ma valise, il faisait le gros dos.
Assis donc à une table du Vauban, je laissais couler le jour. Je le regardais basculer d'abord et les couleurs glisser comme des décalcomanies sans rien dessous, et la ville blanchir. Elle se décolore. Et se désertifie. Fuient les poltrons comme des taupes, chassant sur elle la poussière et les reliefs de leur indignité. Alors, il ne lui reste plus qu'à éponger jusqu'au soir l'eau crasseuse de leurs bigotes ablutions.
Dans l’après midi, la pluie commençait à tomber que je regardais debout, le front posé contre la vitre. Ô, morne ville. Dégoutante de la mort dont, tous, ils se protègent. Ou d'au delà dont ils s'assurent, chaque dimanche, la concession perpétuelle. Voilà le gris dimanche. Le dimanche au vin triste. Celui que trop de foi rend mortel lorsqu’ils apprivoisent l'éternité.
J'étais à deviner, dans ces maisons closes, les âmes confinées, chauffées au feu de la foi qu'elles entretiennent du petit verre et du festin dérisoire et que peaufine, comme en le vernissant, l'euphorique effet de la confession. Le trou du cul, le dimanche, en prend bien à son aise. Bientôt, il lui pousse des ailes.
Le jour n'était pas encore tout à fait tombé. Mais les néons du Vauban s'étaient allumés. Depuis un moment déjà je sentais, sans réagir, ...