ROSTAGNAT Hervé

Hervé Rostagnat est né en 1955 à Suresnes. Il a vécu à Paris où il a fait ses études pendant ses vingt cinq premières années. Il rejoint Nice au début des années quatre vingts. Il termine ses études de droit et devient enseignant en économie gestion, d'abord en établissement privé puis il rejoint le public où il enseigne en lycée professionnel jusqu'en 2020, année à compter de laquelle il prend sa retraite. Il créé en 2016 la revue littéraire L'Altérité où il rassemble un certain nombre d'autrices et d'auteurs. Il s'entoure de collaborateurs qui oeuvrent gratuitement pour la revue. L'Altérité publie des chroniques littéraires, des essais, des articles, des romans, des oeuvres épistolaires mais au fil du temps c'est la poésie qui va prendre le dessus sur l'ensemble de la production littéraire. 

"Des nouvelles de Léda" de Catherine Andrieu ou "La déchéance de Némésis" Hervé Rostagnat

📖 Chronique littéraire
📅 mardi, 18 juin 2024 09:32

      Je lis la poésie de Catherine Andrieu et je ne comprends pas tout de ce que je lis. Oserais-je alors écrire sur son œuvre ? Qu’importe le contenu, me dirait Mallarmé, laisse-toi bercer par les mots. Par la langue. Par la musique d’une langue que tu n’as pas apprise. Par la langue de Catherine Andrieu. Par l’objective beauté de l’œuvre qui s’offre à toi, par son immatérialité. La musique est typiquement l’art qui, selon Jankélévitch,[1] n’exprime rien au sens où il n’y aurait rien à décoder lorsqu’elle est exécutée. Il suffit qu’elle soit écoutée pour ce qu’elle est[2]. Ecoutons alors la musique de Catherine Andrieu. Hé quoi, me dit encore Paul Sanda, « Quant au mystère définitif, il faudra le découvrir entre les lignes, car les secrets véritables ne se donnent pas facilement[3] ».

« La lune est glauque dans la nuit rousse qui ondule comme chevelure sous la pluie. Je suis dans la Grande Barque. Je suis dans la forêt. Je suis en éclats de renards griffus, vibrations vertes, toi sur leur dos pour filer comme comète, toujours plus vite. Les griffures sous la peau, je suis Van Gogh, à l’envers de mon état d’usage quand on se sert de moi en guise de lame de rasoir. Tu coupes et coupes encore mes cheveux d’argent et ma corne frontale dans un pastiche d’Œdipe. Mais les cheveux repoussent et tu me vénères en tant que sorcière pulsionnelle qui a mis ta vie à sac, les deux heures de correspondance par jour, la défécation et le reste[4] ».

      « Je pense, dit Catherine Andrieu, que mon travail sur l’onirisme n’est pas compris. (…) Quant à savoir pourquoi beaucoup (de lecteurs), a fortiori des poètes, restent à l’orée de mon travail, je crois que ça tient à l’imaginaire que je développe et qui nécessite d’avoir gardé un esprit d’enfance[5] ».

       Qu’ai-je à comprendre finalement du rêve qui n’est pas le mien et qui peuple la poésie de cette auteure ? Et qu’ai-je d’ailleurs à comprendre du mien ? Il existe en soi. Posé là pour moi. Comme posé là pour elle dans une histoire immémoriale tout droit venue du cosmos au service de laquelle elle se trouve dans un impératif de « reconfiguration intérieure[6] » destinée à s’apprivoiser elle-même. Elle est assise à côté d’elle. Chamane, elle s’écoute dicter le long poème de sa vie qu’elle transcrit lorsque la nature la traverse[7] : « cet univers n’est pas le fruit d’un don, c’est un héritage de sang à travers les siècles[8] ».

      « Elle est un autre », comme on le verra plus loin. « Cette femme est une chienne que quiconque prend dans la rue, sur le trottoir, une saleté de chienne qui me tient lieu de Dieu[9] ».

      Si elle est une autre et si l’autre est Dieu, elle est Dieu.

« Voilà pourquoi j’écris, pour m’ouvrir les veines sur le papier seulement. Et pour être Dieu aussi. Quand j’écris, je regarde mon double sans avoir à vivre ma propre vie. Je suis assise au bord du chemin, je n’ai pas à subir une vie matérielle, à être un personnage, puisque je suis Dieu[10] ».

      Mais qu’en est-il de cette déité ? Catherine aurait pu dire « puisque je suis Déesse ». A cela, lecteur, vous auriez demandé, « mais quelle Déesse ? ». Et pourquoi ne l’auriez-vous pas fait pour Dieu ? Parce qu’il est unique ? Mais qui conçoit l’unicité de la Déesse ? Car Dieu a été polymorphe. Mais il n’était alors que dieu. Ainsi en était-il des déesses. Tous et toutes avaient un nom. Et un ministère. Telle Léda devenue Ménésis et immortelle grâce à Zeus. Ménésis dont la colère et la vengeance tombent sur les hommes coupables du péché de l’hubris. Ha ! mais voilà l’avènement du monothéisme. Dieu est absolu et polyvalent. Et les femmes sont écartées de la suprême gouvernance. Pire. Elles n’appartiennent plus qu’à la damnation : elles sont harpies, dames blanches[11], démones, sorcières, goules, vouivres etc… Elles sont « Elle », incarnation selon le peintre Gustave Adolf Mossa d’une conception névrotique de la Femme, sadique qui dévore ses proies »[12]. Et quid de Catherine Andrieu ?

      Déesse ou harpie ? Peu importe. Car n’est-elle pas d’abord démiurge d’elle-même ?

Sortir du monde réel

      Deux évènements sont déterminants dans la vie de Catherine Andrieu. La mort de son petit oiseau[13] qu’elle garde dans sa poche pour aller voir son psychanalyste avant de le jeter dans un canal. Et la mort de son amour[14]. L’oiseau mort et la détresse qui s’ensuit se présentent comme des évènements qui présagent des morts, chats et suicidés, qui jalonneront son existence. Si elle aspire au confort ouaté de l’amour, il en sourd aussi haine, violence, obscénités[15], couteau, jalousie et dévoration : « Et t’absorber d’un coup de langue comme une amante vorace/Infernal succube qui n’a pas de contours/Qui lui soient propres[16] ». Sait-elle pourquoi, à huit ans, elle pousse son amie dans la mare aux poissons[17] ? Elle ne trouve la paix qu’auprès de son chat Paname ou de sa chatte Lune. Mais là aussi, cet amour présent est torturé par la mort future de l’animal qu’obsessionnellement est ne peut s’empêcher d’envisager[18].

« Je vais crever s’il meurt ça n’était pas faux[19] »

« Treize ans d’amour fou c’est pas des choses qu’on oublie, alors je te regarde dormir. Tu respires paisiblement, calé contre mon corps. Et un jour, toujours calé contre mon corps et rattrapé par les statistiques, tu auras cessé de respirer. Et j’aurai cessé d’aimer[20] ».

      Il n’y a pourtant ni préscience, ni chamanisme dans ce pressentiment de la mort. Juste un peu de statistique pour un chat qui approche des treize ans et un intérêt pour la science qu’incarne Stephen Hawking[21] auquel Catherine Andrieu s’identifie corps et âme. Parce que leur corps est prison et leur âme, brillante. La complexité des recherches d’Hawking en physique quantique et en cosmologie fait son admiration car elle éprouve une fascination sans borne pour l’intelligence et une déférence presque excessive pour les intelligents : « J’ai toujours pensé que l’intelligence était érotique[22] ». Mais cet amour qu’elle lui voue dépasse la rationalité scientifique. Il déborde sur ses intuitions cosmiques. Son dieu à elle n’est ni le produit d’un anthropomorphisme naïf[23] ni celui de la religion. Il est intime conviction, énergies, puissances occultes. Elle cherche, comme le dit si bien sa sœur Jacqueline, à humaniser le cosmos par l’opération de son amour[24]. C’est la puissance de ses sentiments qui lui ont permis d’avoir un contact avec son chat Paname peu de temps après sa mort. Elle dit « Je crois aux forces de la nature et à la magie[25] ». Et cette expérience avec l’au-delà est d’autant plus touchante qu’elle s’en étonne elle-même, parce qu’elle est unique et qu’elle a lieu avec un animal. « …comment un amour trans-espèce aussi intense a-t-il pu exister ?!!![26] ». Elle cite Schopenhauer qui dit que « l’animal est éternel retour du même[27] » et voit dans son chat Paname la réincarnation de son oiseau mort[28].

      Le rejet du monde réel auquel, dit-elle, elle ne s’intéresse pas, est le rejet de la mort[29]. Son œuvre n’est qu’émotion et traduction d’une grâce qui transcende le réel. Est-il besoin de savoir si la puissance de ses affects a engendré sa maladie psychique ou si la psychose décuple sa fantasmagorie ? Elle puise son art dans un matériau qui lui est consubstantiel et consacre sa vie à « mettre en scène le beau jusqu’au seuil de sa propre mort », dit-elle en paraphrasant Kundera[30]. C’est pourquoi elle refuse, ajoute-t-elle, d’être dans la mystification de la poésie qui pourrait-être sociale et politique[31]. En tant que poète, sa fonction n’est pas hugolienne, elle n’est pas d’alerter ou de changer le monde ni de produire un art engagé[32]. C’est de se sauver elle-même en produisant du beau. Pas nécessairement le beau formel, objectif : « Je ne suis pas mallarméenne[33] ». Mais l’art pour crier quelque chose[34]. Crier pour être aimée : « …car ce sont eux qui me sauvent de ma folie. Il suffit d’un seul lecteur pour être sauvée[35]. » D’où la nécessité de réinventer le monde.

« Toute création est reformulation. Ça fait longtemps que je vis dans ma légende personnelle. N’avoir pas de récit de sa propre histoire, c’est ça être fou. Mieux vaut un récit mensonger que pas de récit du tout[36] ».

Je est un autre

      Cette reformulation du monde, voire cette réformation suppose deux préoccupations chez Catherine Andrieu. La question qui se pose à elle est de savoir situer son moi, soit comme identité ontologique, soit comme identité politique. Le « Je est un autre » qu’évoque Arthur Rimbaud dans sa lettre à Paul Demeny le 15 mai 1871 et qui sourd en permanence des écrits de Catherine Andrieu, s’apparente plus à la philosophie de Nietzsche qu’au cartésianisme. Le cogito de Descartes « Je pense donc je suis », n’écarte pas le doute relatif à la fiabilité de ses pensées qui l’étreint mais constitue avec certitude le fondement de l’être qui suppose précisément une maitrise de ses pensées et de ses responsabilités. Chez Nietzsche comme chez Rimbaud cette maitrise est altérée par l’empire des pulsions à l’origine d’une multiplicité identitaire c’est-à-dire à une absence d’identité, celle-ci se caractérisant précisément par « la qualité de ce qui est le même[37] ». « J’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute[38]… ».

… c’est éveillée que je fais mes rêves et mes cauchemars, c’est là ma folie. « Je est un autre[39] ».

      C’est ce déplacement permanent du moi qui nourrit la poésie de Catherine Andrieu. Elle dit : « Je suis guidée par une « logique » d’abolition des principes d’identité et de contradiction[40] ». Son onirisme, sa fantasmagorie sont issus non pas « d’un esprit dérangé[41] » mais d’un véritable travail qui marque une volonté de puissance issue d’ajustements permanents dans la création. Même si son corps est sédentaire, nostalgique de Collioure et de la maison bateau[42], son esprit n’est pas installé. Elle est devenir. Malgré des études de philosophie et un travail difficile d’accès sur Spinoza[43], Catherine Andrieu se refuse à être une intellectuelle. C’est l’émotion qui conduit son œuvre. Mais l’émotion dit-elle est ce qui nous met en mouvement. « Le vivant, c’est l’ému[44] ». Et l’ému c’est « cette faculté d’adaptation et de survie de l’organisme vivant » selon la définition qu’elle donne de Charles Darwin[45].

      Cette distanciation d’avec elle-même s’apparente à celle qu’elle a du monde dont elle crève car il lui fait peur. Et plutôt que d’être absorbée par lui, elle préfère être Dieu c’est-à-dire celui qui l’englobe et l’observe. Être Dieu, c’est inventer sa vie, c’est créer une réalité alternative[46]. Ecrire, c’est s’asseoir à côté de soi, être un personnage et regarder vivre l’autre soi-même[47].

      Ainsi, Catherine Andrieu devient démiurge d’elle-même. Elle développe une esthétique de soi. Est-elle finalement si loin de la fonction hugolienne du poète ? Elle nie sa fonction sociale puisque le monde l’ennuie. Mais si elle s’exclut du réel, elle revendique sa fonction mythologique comme didactique esthétisante de l’inconnaissable. Elle reconnait son but cathartique : exilée de la société, marginale mais catalyseur de consciences[48]. Elle est un « médium qui communique avec les Esprits de la nature, des animaux, des défunts[49]… ». Elle est « un passeur entre les mondes[50] ». Elle a la capacité de l’enfant : elle est rétive « aux exigences de la vie matérielle[51] ».

Art, esthétique de soi

      Catherine Andrieu construit sa légende personnelle[52]. Tout le champ lexical de son travail tourne autour de la scène. Elle est à la fois metteuse en scène[53], décoratrice[54] spectatrice de sa vie[55], tragédienne[56], comédienne[57], auteure d’autofiction[58], mystificatrice[59], théoricienne de la représentation lorsqu’elle dit qu’une fiction peut-être plus juste qu’un documentaire[60]. Elle est maquillée et maquilleuse. Belle comme une actrice. Gonflée d’égo et de narcissisme. « J’attendais Dieu. Je croyais en moi, en cette partie du corps qui me serait révélée tôt ou tard. C’est cette attente que j’appelais mon narcissisme, ma seule foi[61] ». Lorsqu’elle décrit « Le nu de dos au lys sur fond Outremer[62] » du peintre Anora Borra, on dirait qu’elle parle d’elle dans son ancienne beauté charnelle dont le traitement de sa maladie psychique dégradera la perfection. La déchéance du corps laisse une réalité alternative substituant la mascarade à l’éclat, le maniérisme au réalisme, puissant vecteur de vérité.  Comme dans le travail d’Otto Dix[63], le peintre révèle cette émouvante vérité, une beauté magnifiée par l’histoire du corps qui s’oppose à la lisseur des images conventionnelles et policées[64]. « Et n’est-ce pas là justement le travail du peintre, perfectionniste et déçu par le réel, de proposer une réalité alternative, celle de la sublimation par l’Art ?[65] ». Catherine Andrieu n’est, ontologiquement, que par l’art. Elle crée. Elle est sa création. Elle est aussi la fille de l’amour[66], de celui, professeur de piano, qui l’a « aimée laide /Et malade, lorsque tout le monde et les sourires gênés. /C’est dans mon amour pour toi que s’origine ma création[67] ». L’univers recomposé de Catherine Andrieu est un univers de papier[68], matériau évoquant à la fois l’univers graphique protéiforme de l’artiste, un certain détachement non dénué d’humour mais aussi la fragilité, la précarité, la non permanence de son identité. Elle est aussi iridescente qu’une bulle. Elle est Bulle dans « Ce monde m’étonne[69] ». Et la candeur qu’elle arbore dans cette mise en scène continue de sa vie n’est qu’une « forme de technique qu’elle a dû développer et qui pourtant la dépasse[70] ».

« Les personnages font ce qu’ils veulent, le cliquetis des touches d’ordinateur devient leur battement de cœur. Pourrait-on imaginer, dans ce monde de papier, un être réel dont le cœur battrait tout seul et qui vivrait ainsi dans un monde illusoire, avec un chat en papier, un amour en papier, un attentat en papier ? Cet être s’y serait réfugié à cause d’une réalité trop douloureuse… Enfin, à ce qu’il me semble… Ce ne serait pas si grave un suicide en papier[71] ! »

      Comme dans un théâtre de marionnettes, il y a dichotomie entre le corps et l‘intellect. Catherine Andrieu est objet. Elle s’objective. Dans cette mise en scène, elle est objectivée, corps brisé, souillé, violé[72]. « Son corps m’inspire, c’est le metteur en scène qui parle » dit-elle en parlant de l’autre, Bulle[73]. Elle a offert un rôle à son corps qui joue, qui rit, qui danse, à ce corps dont les marques sont celles « du douloureux effacement d’une histoire dont on doit pressentir, sans le savoir, qu’elle est celle d’une déchéance radicale[74] ». Ce corps là, est bien le corps Nietzschéen en proie à une multitude de forces plurielles que Freud nomme les pulsions. Eh bien Catherine Andrieu a donné des mots à ce corps et Bulle, son corps à Catherine Andrieu.

« Je respire cette femme, j’ai l’odeur de son sang quand elle égorge les monstres qu’elle enfante l’hiver sur les plages désertes et qu’elle les enfouit dans le sable, blottie contre son oubli. Je n’ai pas le temps, entendez-moi bien, de dire la pureté de Bulle lorsque leurs squelettes minuscules craquent sous ses dents aiguisées aux reflets de la lune[75] ».

      De ce corps, elle a rêvé l’enfantement dans le giron d’un amour conventionnel. Mais menaçant d’un couteau le jeune homme qui saute par la fenêtre, elle tue son rêve et l’enfant, réalise qu’une histoire avec Luc n’est qu’une histoire de cul, ouvre le ventre du chat et, en y cherchant Dieu, elle ne découvre qu’un god[76]

      Image drôle nonobstant sa crudité, la déception est sa vie et la Nature, le souffle qui lui permet de respirer. Catherine Andrieu ne s’intéresse pas au monde ? Mais de quel monde parle-t-on ? De celui de la démesure qu’impuissante à châtier elle ignore désormais. Et quid du théâtre de la Nature, panthéon de ses amis, chats et oiseaux qui le peuplent, ainsi les étoiles qui sont les anges de son paganisme. Cherche-t-elle comme Jean Giono « Les vraies richesses » ? Son pécule n’est que pecus. Elle est déesse parmi les dieux. 

« Je boirai au calice de la Nature et de sa Mémoire j’irai chercher

Sur ta langue le goût de l’Autre dans le sable emporté par le vent

Et la Lumière[77]… »

 Gustave Adolf Mossa "Elle" Huile sur toile 1905 Musée des Beaux-Arts Jules Cheret Nice

Elle de Mossa 

 [1] Matthieu Chenal, « Jankélévitch et la musique » Arkhai.com « La musique est victime d’un rapprochement abusif avec le langage. On la considère comme un langage pouvant exprimer quelque chose. Or la musique ne produisant que des sons ne peut exprimer d’idées, elle n’est pas “ porteuse d’un sens préexistant à son exécution ”

[2] André Suares in « Jankélévitch et la musique » : “ le pouvoir de la musique tient beaucoup à ce qu’elle a d’indéterminé, d’insaisissable et de si intime que chacun le transpose dans le ton et la couleur de son propre sentiment.

[3] Catherine Andrieu « Des nouvelles du Minotaure » chez Rafael de Surtis 2019 page 125.

[4] Ibid. page 29.

[5] Catherine Andrieu « Des nouvelles de Léda » chez Rafael de Surtis 2024 page 197.

[6] Ibid. « Des nouvelles du Minotaure » p 121 postface de Paul Sanda.

[7] Ibid. « Des nouvelles de Léda » page 26.

[8] Ibid. page 120.

[9] Ibid. page 16.

[10] Ibid. « Des nouvelles de Léda » page 209.

[11] Catherine Andrieu « Nouvelles lunes » aux Editions du Petit Pavé 2014 page 19.

[12] Gustave Adolf Mossa (1883 – 1971) est un peintre symboliste, expressionniste niçois. Il exprime, notamment dans une œuvre de 1905 intitulée « Elle », une « femme monstrueuse de violence et de cruauté. Elle apparaît monumentale et hiératique dans une nudité agressive, sorte de poupée d’amour extrêmement féminine et pulpeuse, la peau blanche avec des énormes seins globulaires, suggérant avec une grande puissance plastique à la fois le désir et la mort ». bit.ly/3z2jrSU

[13] Ibid. « Des nouvelles de Léda » page 83.

[14] Ibid. page 237.

[15] Ibid. page 28.

[16] Ibid. page 21.

[17] Ibid. page 16.

[18] Ibid. page 25.

[19] Catherine Andrieu « Piano sur l’eau » page 45 chez Rafael de Surtis 2021.

[20] Ibid. page 26.

[21] Ibid. Sur Hawking, voir aussi « Piano sur l’eau » page 37.

[22] Ibid. « Des nouvelles de Léda » page 223. Sur la question de l’intelligence et de la séduction-soumission voir aussi les pages 17, 81, 89, 93, 95, 99, 101.

[23] Ibid. page 225.

[24] Ibid. page 235.

[25] Ibid. page 203.

[26] Ibid. page 238.

[27] Ibid.

[28] Ibid.

[29] Ibid. page 225.

[30] Ibid. page 194.

[31] Ibid. page 195

[32] Ibid.

[33] Ibid. page 233.

[34] Ibid.

[35] Ibid. page 195.

[36] Ibid. page 235.

[37] Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.

[38] Arthur Rimbaud, Lettre à Demuy.

[39] Ibid. page 212.

[40] Ibid. page 200

[41] Ibid.

[42] Jacqueline Andrieu, dans la préface de « J’ai commencé à dessiner des anges » appelle sa sœur « La voyageuse immobile ». Aux Editions Rafael de Surtis, 2020.

[43] Catherine Andrieu « De l’éternité du mode fini dans l’Ethique de Spinoza » chez L’Harmattan 2009.

[44] Ibid. page 205.

[45] Ibid.

[46] Ibid. pages 200, 210.

[47] Ibid. page 209.

[48] Ibid. page 199.

[49] Ibid. page 212.

[50] Ibid. page 213.

[51] Ibid. page 215.

[52] Ibid. page 207.

[53] Ibid. « Des nouvelles du Minotaure » pages11, 16.

[54] Ibid. page 13.

[55] Ibid. page 11.

[56] Ibid. « Des nouvelles de Léda » page 194.

[57] Catherine Andrieu, « Le cliquetis des mats » chez Rafael de Surtis, 2023, page 34.

[58] Ibid. page 235.

[59] Ibid.

[60] Ibid. page 236.

[61] Ibid. « Des nouvelles du Minotaure » page 12.

[62] Ibid. « Des nouvelles de Léda » page 183.

[63] Otto Dix est un peintre allemand expressionniste 1891 – 1969.

[64] Ibid. page 172.

[65] Ibid. page 183.

[66] Le mot amour dans l’œuvre de Catherine Andrieu figure à la première place des occurrences lexicales avec plus de 13%.

[67] Ibid. « Le cliquetis des mats », page 15.

[68] Ibid. page 236.

[69] Ibid. « Des nouvelles du Minotaure » page 11 à 21.

[70] Ibid. page 17.

[71] « Ibid. « J’ai commencé à dessiné des anges » quatrième de couverture.

[72] Ibid. « Des nouvelles de Léda » page 20.

[73] Ibid. page 19.

[74] Ibid. page 17.

[75] Ibid. page 15 et 16.

[76] Ibid. page 21.

[77] Catherine Andrieu, « Le cliquetis des mats » page 14.

"Pourquoi je ne sais rien" par Hervé Rostagnat

📖 Chronique littéraire
📅 vendredi, 24 mai 2024 18:37

      Si nos enfants étaient élevés dans la nature, surement s’émerveilleraient-ils devant les fleurs, les oiseaux, les rivières, les ciels nocturnes et le spectacle de la montagne sur les flancs desquelles glissent les nuages. Et comme la nature est abondance de fleurs et d’oiseaux, de rivières, de ciels nocturnes et de montagnes sur les flancs desquelles glissent les nuages, ces richesses n’ont pas de prix. Elles sont gratuites. Mais nos enfants sont élevés dans les villes et ils ne connaissent que les artefacts qui ont un prix car seul le travail de l’homme peut les produire. Ainsi pour les acquérir il faut de l’argent. De plus en plus d’argent car tandis que les fleurs, les oiseaux, les ciels nocturnes et les montagnes sont éternels, les artefacts meurent de la concurrence et de l’innovation. Ils se dévalorisent malgré le travail qu’ils contiennent et l’argent, foutue fiction, continue de s’apprécier.

      Il nous a fallu apprendre la nature. Et voilà la science. Chacun, par petits bouts de son expérience, tentant de l’apprivoiser, l’a transmise aux générations futures. S’il ne s’était agi que de ça. De là à la domestiquer, il n’y a qu’un pas. Puis à l’asservir. Et à nous asservir nous-mêmes dans l’accumulation des savoirs que nous avons délégués. Nous voilà à la fois démiurges et esclaves. A la fois auteurs et victimes de « La société autophage[1] ». Entropique plutôt que néguentropique. Consumatrice plutôt que consommatrice.

      Anselm Jappe nous explique aujourd’hui pourquoi nous ne savons rien faire. Mais Marx aussi. Et Giono. Et Bernanos. Et tant d’autres. Et je ne sais toujours rien faire. Nous ne cesserons, à L’Altérité, de vous faire partager de ces lectures qui nous paraissent essentielles comme le pain. Que nous ne savons toujours pas faire. Pourrais-je vous l’expliquer ? Certains l’ont compris. Ils retournent à la terre. Aux vraies richesses.  Ils apprennent après avoir appris tout ce qu’ils vont devoir oublier. Comment oublier qu’en tendant vers l’immatérialité de l’argent, vers celle du numérique nous vouons aux artefacts un culte mortifère d’amour et de joie. Or, cette propension à l’éther est paradoxalement mue par ce qu’il y a de plus tangible en notre monde : c’est précisément la science. Mais la science est comme le reste. Elle n’est pas comme dit Giono « une noblesse intérieure[2] ». Elle participe de la même « croissance tautologique[3] ». Parce que la science est un métier et qu’elle n’a pas d’autre objet qu’elle-même. La démesure et la spécialisation confisquent le savoir de tous ceux qui ne savent plus rien et tombent dans la dépendance des adorateurs du Dieu argent. Produire, n’a pas d’autre objet que de produire. Le produit n’a pas d’autre objet que lui-même. Le travail qui permet de produire un objet n’a pas d’autre objet que lui-même. Et l’argent qui n’est plus un intermédiaire dans l’échange est devenu une marchandise qui n’a pas d’autre objet qu’elle-même. Car, en effet, il permet l’accumulation. Et précisément, l’accumulation du rien. L’accumulation d’une simple croyance, d’une foi dogmatique en un titre que la propagande valorise comme l’église a valorisé Dieu pour soumettre ses ouailles.

      Ce processus d’adoration du rien passe par l’intériorisation d’un certain nombre de fictions de nature à expliquer ce qui dépasse l’entendement du sujet. Dieu est un raccourci qui explique le monde. L’argent ou le manque d’argent est un raccourci qui explique le monde économique, la croissance, les crises, les politiques d’austérité, la domination, l’absence d’alternative (TINA), les sacrifices, l’exploitation… Le rien, c’est justement le Tout. Il est substance. Et c’est précisément par sa présence, c’est-à-dire par son absence, qu’il constitue l’intimidante et mystérieuse autorité à laquelle le sujet se soumettra car trop longues, trop complexes, trop submergeantes sont les multiples étapes, les multiples strates du savoir historico politico scientifique de la technostructure susceptibles d’expliciter le monde. Anselm Jappe évoque Michel Foucault selon lequel l’époque contemporaine « est celle du passage à la société disciplinaire[4] ». L’individu accepte les contraintes sociales en s’autodisciplinant, en exerçant une violence contre soi-même. S’agit-il de servitude volontaire ? Non, dit Frédéric Lordon[5] car elle est inconcevable (nul ne peut se rendre volontairement esclave). Mais elle pourrait résulter de ce qu’il appelle la « colinéarisation des conatus ». Qu’est-ce qui meut l’homme ? Le désir d’entreprendre (le conatus spinozien). Ainsi, « le pouvoir (politique ou patronal) est l’ensemble des pratiques de colinéarisation[6]. Il s’agit en effet d’obtenir du sujet (en tant que sujet du souverain) qu’il agisse dans le sens du désir-maitre mais non par la violence. Par le pseudo consentement et la joie. « C’est l’obéissance joyeuse[7] ». Le concept de joie est évidemment tout relatif puisque le consentement a été extorqué : la nécessité de satisfaire des besoins pousse le salarié à s’enrôler dans une relation juridique caractérisé par la subordination. La colinéarisation va le convaincre qu’il travaille pour une cause commune sur le fondement de la culture d’entreprise. Ainsi non seulement il va satisfaire ses désirs de consommateur mais il croira s’épanouir en se réalisant[8].

            « … le sujet est défini comme un travailleur. Pas nécessairement comme un ouvrier, mais comme quelqu’un ayant soumis sa vie aux exigences de la production – non de la production d’objets d’usage, mais de la production de « valeurs » - et aux exigences de l’accumulation de travail « mort » représenté dans l’argent qui s’accumule en capital[9] ». Outre l’intériorisation de la nécessité de travailler, dit Anselm Jappe, « il a intériorisé la même indifférence pour le concret, pour le monde extérieur, pour les contenus, indifférence qui constitue l’essence du travail abstrait. Une forme vide, une volonté sans contenu, une indifférence pour l’extérieur[10]… ».

      Jean Giono évoque déjà dans Lettre aux paysans[11] cette obsession de la valeur lorsqu’il parle de son père qui, après avoir été artisan, a travaillé pour le chausseur industriel Bata. La déconstruction du processus de production dans le modèle industriel consiste en une division du travail qui spécialise l’ouvrier sur une séquence de la fabrication d’une chaussure. Le père de Jean Giono ne cousait plus que des trépointes au même titre que ses collègues ne devaient plus fabriquer que des semelles ou des empeignes. A terme, personne ne sait plus monter une chaussure. Or, dit Jean Giono avec humour « Malheureusement pour lui, personne au monde n’a besoin d’une trépointe[12] ». Voilà ce que Marx appelle le travail abstrait, ou le travail mort celui qui n’a pas d’autre objet que lui-même puisque non seulement le marché n’a pas besoin de ce que fabrique l’ouvrier mais en outre parce que le travailleur ne fournit pas un objet d’usage mais de la valeur qui se mesure en argent. Le produit mis sur le marché a en effet une valeur supérieure à la valeur du travail fourni. Cette plus-value qui devrait revenir au salarié est extorquée par le capitaliste. Dans le même ordre d’idée, Giono dit : « L’objet qui sort de Bata est mort. L’ouvrier qui y collabore ne cesse pas d’avorter[13] ».

      On peut multiplier les exemples de cette production mortifère avec notamment l’obsolescence programmée du produit. Tant qu’il satisfait un besoin, le produit a du sens. Mais même lorsque le besoin est satisfait, le capitaliste continue de produire. Cette poursuite de l’activité peut se légitimer par la nécessité de renouveler les biens altérés par l’usure. Si le bien est de qualité, l’usure se produira dans un délai trop long interdisant l’accumulation d’argent. Le producteur va donc réduire la durée de vie de son produit pour alimenter une demande artificiellement voire programmer une panne. Il peut également continuer de produire pour satisfaire un nouveau besoin. Encore faut-il savoir de quels besoins on parle.

      S’agissant des besoins primaires, notamment alimentaires ou physiologiques, la satisfaction du consommateur va s’exprimer en volume. Puisqu’il ne peut dépasser une quantité alimentaire donnée, sa consommation, dépendante du revenu, s’exprimera désormais en qualité. Mais « Les hommes ont créé une planète nouvelle : la planète de la misère et du malheur des corps. Ils ont déserté la terre. Ils ne veulent plus ni fruit, ni blé ni liberté, ni joie. Ils ne veulent plus que ce qu’ils inventent et fabriquent eux-mêmes. Ils ont des morceaux de papier qu’ils appellent argent[14] ». Le marché, en effet, s’auto censure ou s’auto sature. Il n’est pas loin d’ailleurs de créer lui-même la pénurie de produits en asséchant les circuits de distribution (par le stockage par exemple) afin de maintenir artificiellement des prix élevés. Ou de détruire le lait, les vaches, la vigne, le lin, le chanvre pour éviter que les prix ne s’effondrent alors que, dit Giono « Quand une matière ne se vend pas parce qu’il y en a trop, on baisse son prix. On peut se la procurer pour presque rien. C’est ce que j’appelle moi un progrès, une abondance[15] ». Le gouvernement est complice de ce processus absurde puisque fixant lui-même le prix de la farine, il permet aux paysans de tirer un revenu suffisant de leurs ventes afin de pouvoir manger. Car en effet, au lieu de manger son propre blé, il ne peut manger « qu’en passant par la monnaie[16] ». Il s’agit bien là de produire non pas du blé mais de la valeur pour accumuler les petits bouts de papier.

      Cette consommation de biens essentiels une fois saturée, d’autres besoins vont émerger appelés besoins de civilisation tels que Maslow les a dénommés : besoin d’appartenance, de reconnaissance et de réalisation, voire même besoin de sécurité. Or ce sont ces besoins plus subjectifs, dépendant de cadres de référence culturels, qui sont illimités. Peut-on parler alors réellement, pour ce type de besoins, de croissance tautologique puisque leur production a pour objet de les satisfaire ?

      Ils sont illimités parce que le marché concurrentiel les induit en mettant au service de cette démesure la technologie et l’innovation, accroissant toujours plus la dépendance du consommateur. N’est-ce pas pour la raison que le marché a deviné que les besoins de civilisation sont dans sa nature ? La privation des produits de première nécessité est une cause de mort physiologique du consommateur. Mais la privation des besoins de civilisation n’est-elle pas une cause de mort psychologique voire de non-être ? Dans l’analyse aristotélicienne, l’être humain est un animal social. La société constitue son fondement ontologique. L’homme n’existerait donc que dans son rapport à autrui. Il se plait à jouir des biens terrestres, c’est sa première vie. Il aime aussi les honneurs et le prestige, c’est sa seconde vie. Ainsi, il ne peut se passer d’appartenir à une communauté ; il ne peut se passer de la reconnaissance des membres de sa communauté ; à ce titre, il ne peut se passer de se comparer à ses semblables ; enfin il ne peut se passer de dominer pour se réaliser à moins qu’il ne se réalise que dans la contemplation. C’est sa troisième vie, celle de l’intelligence qui le rend semblable à Dieu mais qui ne peut d’ailleurs pas toujours être dissociée de celle des honneurs. Dès lors, la production des biens et des services a toujours un objet puisque précisément elle vise à satisfaire une nature intrinsèquement insatiable. La consommation de produits de luxe, par exemple, participe de ce besoin et satisfait à la fois le besoin de se différencier, d’être supérieur et conséquemment d’appartenir à l’élite qui ne se définit plus que par des valeurs quantitatives : compte en banque, surface de l’appartement, chiffre d’affaires, n° de série de l’automobile ou du dernier I Phone, nombre de pots d’échappement débouchant de manière ostentatoire du véhicule, valeur d’une œuvre d’art, nombre de vues sur les réseaux sociaux, etc. Exit les vraies richesses, celles que St Jean Batiste traverse après avoir repoussé la ville du pied : « A ses pieds sont représentés les champs rapiécés de labours, de luzernes de champs de fèves, une grande plaine qui va jusqu’à la droite du tableau et jusqu’au milieu en hauteur. C’est par là-dedans qu’il s’en va[17] ». Les vraies richesses sont les vents, les pluies, les neiges, les soleils, les montagnes, les fleuves, les forêts[18]. Mais l’homme ne sera riche (de ça) que s’il est pauvre[19] (du reste). La révolution individuelle c’est de remplacer l’argent par de la joie. La joie est la jubilation de la contemplation.

Saint Jean-Baptiste se retirant dans le désert

Giovanni di Paolo (vers 1403-1482)

Royaume-Uni, Londres, National Gallery.

 St Jean Batiste 2

      Ces besoins de civilisation sont les besoins de la ville. Besoins d’artefacts dans l’ignorance de ce qui se passe à l’extérieur. La ville, dit Giono, n’est pas une organisation cohérente mais un « conglomérat ». Elle n’est qu’une somme que rien ne transcende. Et l’homme qui la fréquente ne sait plus rien faire des choses de la vie. « Qui saurait orienter son foyer de plein air et faire du feu ? Qui saurait reconnaître et trier parmi les plantes vénéneuses les nourricières comme l’épinard sauvage, la carotte sauvage, le navet des montagnes, le chou des pâturages ? Qui saurait tisser l’étoffe ? Qui saurait trouver les sucs pour faire le cuir ? Qui saurait écorcher un chevreau ? Qui saurait tanner la peau ? Qui saurait vivre[20] ? ».

      S’il est un besoin de la ville qui appartient à la fois à la catégorie des besoins primaires et à celles des besoins de civilisation, c’est celui de santé et de sécurité. L’enjeu de la satisfaction d’un besoin de santé est bien d’ordre physiologique et vital. Le besoin de sécurité s’analyse différemment selon le degré de « civilisation » du consommateur. Mais il peut être illimité dès lors qu’il déborde sur ceux de reconnaissance ou d’appartenance. Il suffit de constater la croissance du marché sécuritaire[21] pour se convaincre que cette préoccupation augmente avec le niveau de vie. Le besoin de sécurité illustre le concept développé par Maslow de hiérarchie des besoins au sens où le consommateur ne cherche à le satisfaire que si les besoins hiérarchiquement inférieurs le sont déjà. Peut-on donc vraiment parler de croissance tautologique puisque l’objet de la production des biens du marché sécuritaire satisfait un réel besoin qui aurait paru superflu il y a une vingtaine d’années ?

      La vraie question est pourtant celle de l’émergence du besoin. Les exigences du consommateur s’accroissent avec les innovations du marché et un effet cliquet rend inconcevable que le niveau de sécurité puisse régresser. Il devient alors culturellement indispensable. Qui peut concevoir aujourd’hui d’abandonner son téléphone portable constitutif d’un véritable cordon ombilical familial ? Il en est d’ailleurs de même pour la santé s’agissant par exemple de la recherche sur le génome humain et ses applications ou du secteur pharmaceutique qui croissent sur des exigences transhumanistes au fur et à mesure des découvertes qui promettent de repousser les limites de la mort. Alors, les besoins civilisationnels sont-ils pure création de l’industrie ou l’industrie ne fait-elle que répondre à des besoins préexistants et insatiables ? La réponse à cette question est peut-être aussi d’ordre tautologique. Il en est ainsi de notre système car l’humain est humain. Faire parler la barrière d’un parking ? C’est recycler une technologie à amortir ou réaliser des économies d’échelle en axant sa stratégie sur le volume des ventes. Développer des innovations portant sur les drones, sur la cybersécurité ou sur la télésurveillance ? C’est pallier l’indifférence de la ville, la violence des hommes mue par la convoitise. La croissance construite sur les externalités négatives n’est plus tautologique mais entropique. Le besoin n’est réel (dépolluer, assurer la sécurité contre les délinquants) que parce que le marché n’ayant pas d’autre objet que lui-même cherche artificiellement des débouchés pour alimenter la manne financière. Peut-on aller plus loin et dire que les attentats politiques sont une externalité négative du colonialisme, lui-même motivé par l’hubris de l’impérialisme ou de l’hégémonie économique ?

      En tout état de cause, cette croissance n’est-elle pas tautologique dès lors qu’elle est marginale et asymptotique ? L’avantage marginal dont tire le consommateur d’une innovation est faible et décroissant. Le profit qu’en tire l’entrepreneur est croissant. Et son coût environnemental est considérable : transport, exploitation de main d’œuvre précarisée, utilisation de matériaux polluants. Voilà un site de vente en ligne dont le positionnement surfe sur la vague écologique qui traduit avec ironie ce phénomène marginal tout en singeant la scientisation de l’économie.

Graphique 1 : confort marginal décroissant[22]

 confort marginal graphe 1 640x530

Graphique 2 : impact environnemental croissant[23]

 confort marginal graphe 2 640x530

      Il nous a fallu apprendre la nature. Et voilà la science. Mais la science des villes. Celle qui ne nous fait plus aimer que les artefacts à l’égard desquels s’exerce notre fétichisme. Artefacts que nous idolâtrons comme le veau d’or lorsque nous confondons le Dieu auquel il est destiné avec son propre matériau, sa fonction avec sa nature. Ces fausses croyances, ces fausses richesses sont contre-productives. Elles nous privent des savoirs qui garantissent notre autonomie et corrélativement notre liberté. Et elles nous détruisent au lieu de nous épanouir.

      Voilà pour finir cette chronique, un texte paru dans l’Altérité en mars 2020 motivé par l’angoisse du coronavirus et la croyance bien naïve qu’un nouveau monde allait surgir :

      Allium, oxalis, akébia, pissenlit. N’avons-nous, Jeanne et moi, que ça pour nous nourrir ? Il y a bien le prunier. Mais il n’est encore qu’en fleur. La saison des oranges est passée dont il ne reste que quelques confitures. Et le jardin aromatique, j’ai bien peur, est emblématique de la valeur que nous donnons à la surface des choses. Il aurait fallu creuser. Je ne me serais pas contenté de regarder l’harmonie de mon jardin, de composer les volumes et les couleurs pour donner au regard une joie qui ne suffit plus. Il aurait fallu voir le dessous des choses. Creuser, semer, récolter. Sans attendre de l’extérieur qu’il nous nourrisse sous le confortable prétexte de la division du travail.

      Me voilà donc, aujourd’hui, incompétent. Professeur sans élève. Et tout juste cueilleur. Je sors de chez moi un panier à la main, réduit à faire la queue devant un supermarché dont l’exclusive compétence de distributeur de produits manufacturés exclut celle d’organiser une pénurie d’espace. Quarante-cinq minutes d’attente dans une queue qui n’a pas avancé d’un mètre. Une queue de vingt mètres. Vingt personnes respectant la distance sanitaire le bec ouvert comme des oisillons.

      Des oisillons ? Je ne pensais pas si bien dire. Le conseil d’Etat, hier, a réfléchi à la question posée par le syndicat Jeunes Médecins de savoir s’il ne faut pas aggraver les mesures de confinement. Il ne nous reste qu’à demeurer chez nous et à attendre les ravitaillements.

      Mais sait-on au moins ravitailler ? Charles Touboul, porte-parole du Conseil d’Etat, dit : « Personne ne sait faire un ravitaillement d’État, à moins de plusieurs semaines. Il y a des risques logistiques considérables. L’État n’est pas en mesure de faire mieux que les entreprises de distribution qui s’adaptent aux demandes massives des citoyens en organisant des drive et des livraisons à domicile. »

      Je ne sais pas suffire à mes besoins car mon savoir est délégué. L’Etat ne sait pas ravitailler car le pouvoir a délégué au privé ses compétences. S’il n’y avait que la problématique de la division du travail. Mais il y a pire. Il n’y a plus d’Etat. Et il n’y a plus d’Etat car il y a une confusion entre la valeur et les valeurs. Entre l’individu et le collectif. La République ne se résume pas à une simple somme d’intérêts privés que le libéralisme satisfait en me privant de ma liberté d’animal social. « L’homme est libre, disait Rousseau, et pourtant il est dans les fers ». Il n’y a que le Contrat Social qui puisse le libérer. La démagogie et la corruption promeuvent la dérégulation. A telle enseigne qu’un service public n’est plus considéré aujourd’hui que comme une valeur négative. D’un point de vue comptable, c’est un coût. Qu’on le donne au privé et il passe à l’actif du bilan. Dites ça aujourd’hui à l’hôpital que nous applaudissons mièvrement la peur au ventre et saisissez, si vous ne l’aviez pas encore compris, la relativité de la valeur.

      Alors, qu’est-ce que la valeur face aux valeurs qui sont absolues ?

       Il ne nous reste qu’à regarder briller nos lingots d’or dont on nous assure de la valeur intrinsèque : rareté, malléabilité, inaltérabilité, transportabilité, divisibilité ! Mais sont-ils comestibles ?

      Il ne nous reste qu’à compter les billets de nos portefeuilles jusqu’à épuisement des seules feuilles dont nous pourrions tout juste nous servir comme papier hygiénique. Lequel, d’ailleurs, non initialement destiné à cet usage, n’a pas plus ma confiance que cette sournoise fiducie.

      Il ne nous reste qu’à compter nos actions de sociétés mais la bourse, faible de nos anticipations irrationnelles, a brutalement chuté. En garnirons-nous aussi, comme de la monnaie fiduciaire, nos toilettes en pénurie ? Nenni car elles sont, aujourd’hui, dématérialisées. Ce qui reviendrait, pour le dire vulgairement, à se torcher avec de la fiction.

      Il me reste à me demander ce que je vaux, ici, impuissant dans mon jardin. Car je ne sais rien. Nous ne savons plus rien d’autre que le capital qui nous divise.

      Dès à présent, apprenons à cultiver notre jardin. Pas celui de l’agriculture qui emploie 5% d’une main d’œuvre formée à rompre la biodiversité pour alimenter nos supermarchés. Mais l’autre. Celui, par exemple, que Giono défend dans « Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix ». Faisons-en sortir les fruits. Et aussi les raisins de la colère.

 

[1] Anselm Jappe « La société autophage » La Découverte poche 2020.

[2] Jean Giono, « Les vraies richesses » Grasset 1937 page 216.

[3] Ibid. Anselm Jappe page 19.

[4] Ibid. Anselm Jappe page 49.

[5] Frédéric Lordon « Capitalisme, désirs et servitudes » La fabrique éditions 2010.

[6] Ibid. page 54 « Il s’agit d’aligner le désir des enrôlés sur le désir-maitre ».

[7] Ibid page 85.

[8] Ibid. page 76.

[9] Ibid. Anselm Jappe page 52.

[10] Ibid. Page 53.

[11] Jean Giono « Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix » Editions Héros-Limite 2013.

[12] Ibid. Lettre aux paysans page 84.

[13] Ibid. page 88.

[14] Jean Giono « Les vraies richesses » Préface, Les cahiers rouges, Grasset 2002 page 22.

[15] Ibid. Lettre aux paysans page 71.

[16] Ibid. page 72.

[17] Ibid. « Les vraies richesses » Les cahiers rouges, Grasset 2002 pages 50, 53.

[18] Ibid. « Les vraies richesses » Grasset 1937 page 219.

[19] Ibid. « Les vraies richesses » Grasset 1937 page 218.

[20] Ibid. « Les vraies richesses » Grasset 1937 pages 54, 55.

[21] Le marché de la sécurité croit de 4 à 5% par an. Par sécurité on entend : la sécurité privée (77.5% du secteur) qui recouvre les services de garde et de patrouille, ceux de transports de fonds, et ceux d’agents de sécurité, à l’exclusion des services de la police. Les activités liées aux systèmes de sécurité qui représentent 19,5 % du chiffre d’affaires du secteur. Il comprend les activités des opérateurs de surveillance et télésurveillance des systèmes de sécurité, ainsi que l’installation et la maintenance des systèmes. Les activités d’enquête, qui comprend notamment l’activité des détectives, ne représente que 3 % de ce chiffre d'affaires. Le secteur de la sécurité a été touché à la baisse par la crise du coronavirus. Mais il doit aussi sa croissance aux attentats de 2015 et 2016. Sources : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5758520

[22] https://la-mode-a-l-envers.loom.fr/renoncer-confort-marginal-comment-coronavirus-montre-sortir-modele-consommation/.

[23] Ibid.

"Les nuits de la peste" de Orhan PAMUK, "En Syrie" de Joseph Kessel ou La chair de l'Histoire par Hervé Rostagnat

📖 Chronique littéraire
📅 dimanche, 28 avril 2024 17:21

    La revue L’Altérité vous propose deux romans qui posent de manière très intéressante la problématique de la fiction et de la réalité dans l’écriture d’une œuvre littéraire. Ce sont « Les nuits de la peste[1] » d’Orhan Pamuk et « En Syrie[2] » de Joseph Kessel. Déclarer, comme le font certains romans ou certains films, qu’une œuvre est tirée de faits réels risque de lui conférer un caractère anecdotique et n’a pas d’autre objet que de solliciter l’égocentrisme voire le voyeurisme du lecteur en l’installant dans une situation où il peut s’identifier mais en le laissant suffisamment à distance pour qu’il puisse jouir sans risque du caractère exceptionnel de la situation. C’est limiter son implication en le privant d’une expérience universelle et en lui faisant croire que la vérité est plus extraordinaire que la fiction alors, pour reprendre un terme de Georges Semprun, que cette dernière lui est totalement rétive.

      « Les nuits de la peste » est un livre très paradoxal qui assume parfaitement son caractère fictif et romanesque mais qui en même temps ne cesse, dans le cours de la narration, d’affirmer la véracité historique des faits et du contexte à l’intérieur duquel ils se déroulent en rappelant les sources sur lesquelles il se fonde. Ce souci très appuyé de transposition pseudo historique confine parfois à une naïveté vériste comparable à celle qu’on retrouve dans « Tintin » lorsque Hergé reproduit dans une de ses vignettes la page d’un journal ou d’un document authentifiant l’objectivité d’un fait.

      La narration est sous tendue par trois ressorts. L’écrivain Orhan Pamuk écrit le livre en se masquant derrière une historienne fictive, Mina Mingherli, racontant une épidémie de peste ayant décimé l’ile imaginaire de Mingher en 1901 à partir des lettres écrites par Pakizê, « troisième fille du trente-troisième sultan ottoman Mourad V »[3], à sa sœur la princesse Hatijê jusqu’en 1913. Cette fiction s’inscrit, semble-t-il, dans le contexte réel des dernières années de l’empire Ottoman (L’ile de Mingher en constituant le microcosme métaphorique) caractérisé par « un nationalisme ayant profondément imprégné la société turque, au point que les ethnologues et les historiens évoquent la diversité passée du peuplement de l’Anatolie et de la société ottomane[4] ». Elle s’inscrit également dans la volonté de transposer de façon romanesque les problématiques de la crise du COVID 19 qui a bouleversé le monde entre 2019 et 2022, avec la difficulté d’imposer une politique sanitaire commune à la diversité culturelle et religieuse mondiale. Mais il n’y a pourtant pas moins scientifique dans « Les nuits de la peste » que cette relation historique de l’épidémie sachant que Pakizê n’est pratiquement jamais sortie de chez elle pendant toute la période de l’épidémie et que ses connaissances ne sont alimentées que par les témoignages que lui en fait son mari, le docteur Nuri. Mina Mingherli va même jusqu’à invoquer la subjectivité féminine de la princesse, son talent, sa sensibilité, sa curiosité. Ce sont ces éléments mêmes qui l’ont poussée, dit-elle, à transformer une étude historique en roman parce que « la science historique ne permettait pas de saisir les motivations subjectives qui animaient les acteurs de cette courte et dramatique période et, jugeant que l’art du roman serait plus à même d’en rendre les raisons, j’ai cherché à concilier les deux genres ».

       On retrouve chez Joseph Kessel dans le livre « En Syrie » cette hésitation entre la vérité historique et la passion du roman lorsque dans un post-scriptum, il précise qu’il a fait œuvre, dans cet ouvrage, de romancier (et d’aventurier ?) plus que de journaliste politique en raison de « …la prédilection d’un écrivain à raconter de belles histoires[5]… ». Alain Genestar écrivait dans « Polka » d’octobre 2015, un édito intitulé « Joseph Kessel envoyé spécial en Syrie ». Il disait que ceux qui souhaitent faire de la politique étrangère dans les Proche et Moyen Orient feraient bien de lire « En Syrie », carnet de voyage écrit par Kessel en 1926 afin de saisir la complexité de cette région (vingt-sept religions, dit Kessel, dont chacune tient lieu de nationalité[6]). Vingt-sept religions, ajoute-t-il, mais un seul culte, celui de l’argent[7].

       « En Syrie » n’est donc pas tant un manuel à l’usage des diplomates opérant dans la région. C’est un rappel à l’humilité des grandes puissances lorsqu’elles ont des velléités interventionnistes douteuses. Mais ce n’est pas ce que dit Kessel qui critique les erreurs commises par le mandat français, légitimant implicitement l’immixtion historique de la France dans cette région. D’ailleurs, il consacre un chapitre au capitaine Colet[8] dont il vante les grandes aptitudes d’adaptation. Il consacre également un chapitre aux « Escadrons Tcherkesses[9] » dont il fait l’apologie des qualités guerrières de « ces cavaliers du Caucase formés par les Turcs à combattre les rebelles »[10].

      Voilà peut-être ce qui est le plus déstabilisant dans le roman « Les nuits de la peste » car plutôt que d’utiliser le genre du roman métaphorique, centré sur le personnage principal autour duquel tourne l’intrigue[11], l’auteur « malmène » le lecteur en lui faisant croire qu’il rompt le pacte fictionnel afin d’asseoir sa narration sur de la vérité historique. Il dit, comme une manière d’excuse, « il a pu m’arriver de ne pas respecter la règle du « point de vue d’un seul personnage », règle que j’ai même allègrement violée[12]. Au moment les plus poignants du récit, le lecteur trouvera donc des chiffres, des notes informatives, des digressions sur l’histoire politique. (…) Ainsi ai-je essayé de voir l’univers chatoyant des lettres de Pakizê à travers les yeux d’autres témoins afin que mon livre penche tout de même un peu du côté de l’Histoire ». Pamuk évoque en effet, par le truchement de son personnage, les consuls et les historiens – auxquels il ajoute d’ailleurs l’épithète d’officiels – les archives françaises et anglaises, celles d’Istanbul et de Mingher. Or si le lecteur n’a pas la culture historique nécessaire pour départager le vrai du faux, il peut être noyé dans un monceau de détails pas toujours utiles à notre sens pour saisir l’esprit de cet ouvrage long de plus de 800 pages, virtuose certes[13] mais néanmoins, nous a-t-il semblé, parfois ennuyeux.

      Peu importe si « Les nuits de la peste » et « En Syrie » ont en commun de poser la question de la réalité historique et de la fiction dans le roman, ils n’alertent pas moins le lecteur sur les risque hégémoniques des interventions occidentales : balkanisation, division arbitraire de l’empire ottoman.

      Ces tentatives d’intervention – souvent d’ordre militaire dont les objets sont aussi confus que la pacification d’une région (le motif premier de l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine était de « démilitariser et de dénazifier l’Ukraine », l’invasion pure et simple, l’installation d’avancée économiques ou stratégiques – échouent car elles ne sont pas préparées à la guérilla dont Kessel notamment illustre les caractéristiques d’une troublante actualité : « par une échelle branlante, on accède au toit, à la terrasse plutôt, fortifiée de sac à terre, et où veillent les guetteurs ». Plus loin, il écrit « Quel fouillis de murs, de murettes, de ruelles, de portes ». Il ajoute encore : « Les seuls ornements uniformes sont les cartouchières, enroulées autour de la poitrine et les fusils qu’ils portent tous à la main pour une riposte immédiate »[14].

      Impuissantes face à des interventions au sol où le risque d’enlisement est connu, les « Grandes Puissance » occupent l’espace aérien. Déjà, dans « En Syrie », Kessel l’évoque : « Nous allons faire un petit crochet, me prévient mon pilote, tandis que nous nous dirigeons vers l’appareil. Je dois bombarder Soueïda ».

      La diversité religieuse est également un obstacle auquel les occidentaux et le moyen orient lui-même se heurtent mais pis que la diversité ou la volonté hégémonique d’un courant extrémiste tel que, par exemple, souhaite l’imposer le Hamas en Israël ou le Likoud dans la bande de Gaza, c’est la mauvaise foi qui compromet toute tentative de règlement des questions politiques et diplomatiques dans ces régions. Kessel le montre en évoquant la question des Druzes poussés à l’hypocrisie à cause de leur situation tellement minoritaire face à l’islam dominant[15]. N’en est-il pas ainsi aujourd’hui de l’islamisme capable des pires atrocités dont les imams ne peuvent ignorer qu’elles sont contraires au Coran, acculé à la radicalisation pour lutter contre la domination occidentale ?

Illustration L'Altérité

La chair de lhistoire

 
[1] Orhan Pamuk « Les nuits de la peste » Folio 2023.
[2] Joseph Kessel « En Syrie » 1926 Editions Folio.
[3] Ibid. page 15.
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9clin_et_chute_de_l%27Empire_ottoman
[5] « En Syrie », Joseph Kessel, Edition Folio page 14.
[6] Ibid.
[7] Ibid. page 17.
[8] Chapitre 9, intitulé « Capitaine Tabou » Ibid. pages 69 à 75.
[9] Chapitre 8, intitulé « Les escadrons Tcherkesses » Ibid. pages 60 à 68.
[10] Ibid. page 36.
[11] On pense notamment au livre de Jean Giono « Le hussard sur le toit » où le héros, Angelo Pardi, traverse la Provence dans les années 1830 pendant une épidémie de choléra.
[12] Henry James cité par Orhan Pamuk lui-même, page 18. Voir à ce titre LAPOUJADE David, « Henry James : perspective et géométrie », Études anglaises, 2006/3 (Vol. 59), p. 319-328. DOI : 10.3917/etan.593.0319. URL : https://www.cairn.info/revue-etudes-anglaises-2006-3-page-319.htm
[13] « Les nuits de la peste » page 17 : « L’art du roman repose sur le talent de raconter notre histoire comme si elle avait été vécue par d’autres, et l’histoire des autres comme si nous l’avions vécue ».
[14] « En Syrie » page 23.
[15] « En Syrie » page 35.

Valentina Casadei : "Plainte contre A" ou Un déni de Justice (chronique)

📖 Chronique littéraire
📅 mardi, 16 avril 2024 17:41

      Valentina Casadei raconte, dans « Plainte contre A », l’histoire d’une femme venue porter plainte contre X pour un vol de portefeuille. Mais le policier qui l’accueille est un homme circonspect et pertinent. Alors la dame, à la vue de la liste des infractions qui sont énumérées sur le mur, devant elle, change son fusil d’épaule et raconte les blessures causées par un homme rentré dans sa vie par effraction. C’est l’histoire de bien des femmes. Sauf que d’habitude la plainte est une lancinante plainte du cœur et du corps, silencieuse, solitaire, clandestine. Porter plainte, c’est se considérer comme une victime. Victime d’une infraction pénale. Le policier, sur sa machine, prend note des faits que lui rapporte la plaignante, les lieux, les circonstances, les mobiles et peut-être que dans ce galimatias, se dessineront les éléments constitutifs de l’infraction ou des infractions dont l’héroïne, en l’espèce, pense être la victime. Le policier enregistre. Seul le juge décidera, au regard des preuves qui seront apportées, s’il faut poursuivre. Et condamner. En attendant, il tape sur sa vieille bécane dont deux lettres manquent, le A et le O. La machine est douée d’une préscience selon laquelle l’amour n’est souvent qu’un mur.

      Mais voilà précisément deux écueils auxquels se heurte l’héroïne. Le premier est celui du principe d’interprétation stricte du droit pénal qui suppose, au regard de l’article décrivant telle ou telle incrimination, que les faits coïncident exactement avec ses éléments constitutifs, matériels et intentionnels. La plaignante n’a que sa poésie, la métaphore, le chagrin et la pitié d’un bienveillant policier pour justifier une action. Le second écueil est d’ordre socio culturel et résulte d’une conviction hétéronome selon laquelle une femme mal aimée est une victime dépourvue de toute aide, tentée d’instrumentaliser le droit pénal avec toute la sincérité et la légitimité d’un amour déçu.

      Un homme est entré masqué dans la vie de la plaignante. Ainsi, il s’est fait remettre son amour tandis qu’elle s’est remise toute à lui dont il a disposé de la vie sans droit. Il a mangé à sa table et dormi dans son lit sans contrepartie de l’amour. Il a dégradé cet être réifié. Puis il l’a abandonnée sur l’autoroute sans omettre de lui voler son innocence avec la violence du silence plus éloquent qu’une rupture.

« non, rien de tout cela

il ne m’a jamais touchée

pas même quand nous faisions l’amour

il repoussait l’intimité comme une tarentule venimeuse

moi pour lui »[1]

 

« je pourrais vous montrer que je n’ai pas de bleus

ni cicatrices,

ni coupures

ni brulures

et ce que l’on ne voit pas

comment le décrire ?

le juger ?

le condamner ? »[2] 

      L’auteur des faits ci-dessus évoqués est le maitre de l’omission. Il ne vole pas. Il ne frappe pas, il ne téléphone pas, il n’utilise pas de fausse qualité, il ne vend pas ce qu’on lui a prêté, ne fuit pas les autorités, n’a pas eu à payer le dentifrice qu’elle lui a donné ni les pâtes à la tomate de sa mère où il était invité. Il ne couche pas. En fait, il n’aime pas. Il est le creux du moule, une abstraction, une négation. Il est le contraire d’une incrimination.

« pendant longtemps, j’ai donné

donné

donné

trop donné

à une coquille vide

me vidant à mon tour »[3]

Pour autant, l’homme est-il innocent ? Le policier s’apprête à enregistrer la plainte. Mais l’héroïne hésite. Moins à cause de l’inconsistance juridique des charges qu’elle invoque que par la culpabilité d’avoir été aimante et naïve, de ne pas avoir su faire. D’être incompétente. Et d’assumer la faute. Car c’est bien connu, la victime perd toujours la confiance en elle-même. Mais là est toute la question. S’il y a plainte, il y a victime. Victime de qui et de quoi ? Victime par nature ? Victime d’être femme ? Victime d’être une construction masculine ? Victime d’être faible ? Dans « Habiter la blessure » [4], Valentina Casadei dit en parlant de l’homme :

« Tu t’en vas

avec la queue

qui efface

tes traces

par terre »

Elle dit, dans « Plainte contre A » :

« maintenant avec ma queue j’efface toutes mes traces par terre »

L’un fuit ses responsabilités dans la négation de soi. L’autre les assume dans une démarche de dévictimisation. Enregistrer la plainte ?

« Mais je dis à l’inspecteur

De ne pas le faire

J’ai tiré une leçon d’A »[5]

 

Image livre Plainte Contre A de Valentina Casadei

[1] Valentina Casadei « Plainte contre A » page 19 aux Editions Maintien de la Reine 2023.

[2] Ibid. page 20.

[3] Ibid. page 25

[4] Valentina Casadei « Habiter la blessure » page 69 aux Editions du cygne » 2023.

[5] Op. cit. Valentina Casadei page 52.

"Le cerisier japonais" Hervé Rostagnat

📖 Poésie
📅 mercredi, 17 avril 2024 14:33

Aujourd’hui, il pleut.

Le cerisier rose a perdu ce matin ses pétales que la pluie a collés sur le sol.

Clairsemés et diaphanes, ils dessinent une faïence sur les carreaux gris que bleuit la pluie.

Dans le grès vernis le reflet du ciel.

Du ciel gris. Rose et gris.

Les pétales mouillés sont posés sur le ciel.

Semés sur des carreaux transparents, suspendus, ils marchent sur nos têtes.

Le reflet du ciel, le reflet de l’eau.

Et dans le ciel et l’eau, le cerisier miroite avec ses grappes gourmandes,

Empesées par la pluies.

Un vert tendre tout autour lui faisait comme un lit

De jeunes pousses adolescentes.

Rose et gris, vert et rose.

Dépêchons-nous avant qu’il ne dépose ses fleurs éphémères,

De jouir de sa courte saison

Car bientôt sur la pelouse recouverte de flocons

D’un rose délavé, les pétales finiront de faner.

Tombent les pétales, les pétales roses.

Voltigent au vent du printemps

Comme la peau du ciel qui desquame.

 

 

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Hervé Rostagnat "Soir"

📖 Poésie
📅 samedi, 24 février 2024 18:47

 

Hervé Rostagnat "Je voulais l'aider"

📖 Poésie
📅 mardi, 16 janvier 2024 17:15

Mutualité

 

Je voulais l’aider, alors j’étendais la lessive

Elle voulait m’aider, alors elle cherchait le bois

Je voulais l’aider, alors je repassais ses soies

Elle voulait m’aider alors elle postait mes missives.

 

Je voulais l’aider alors je faisais la poussière

Elle voulait m’aider alors elle plantait les clous

Je voulais l’aider alors je plantais les choux

Elle voulait m’aider alors elle portait les pierres.

 

Je voulais l’aider alors je vidais les poubelles

Elle voulait m’aider alors elle faisait les carreaux

Je voulais l’aider alors je cousais ses accrocs

Elle voulait m’aider alors elle séchait la vaisselle.

 

Je voulais l’aider alors je faisais les courses

Elle voulait m’aider alors elle posait l’enduis

Je voulais l’aider alors je dressais le lit

Elle voulait m’aider alors elle tenait la bourse.

 

Je voulais l’aider alors je cherchais le bois

Elle voulait m’aider alors elle étendait la lessive

Je voulais l’aider alors je postais ses missives

Elle voulait m’aider alors elle repassait les draps…

 

Photographie L'Altérité

Une lessive en NB

Hervé Rostagnat "La poire"

📖 Poésie
📅 lundi, 15 janvier 2024 17:08

La poire

 

Si je dis « la poire »,

Le mot me la figure.

Mais si je dis « la poire »,

Pas « la figure »

Mais bien « la poire », « la poire »,

« La poire » et encore « la poire »,

Le mot s’envole.

Il s’abstrait de l’objet qu’il désigne.

Il n’a plus de figure

Ni de signe

Il n’est plus qu’objet

Être objectif

Itératif

Ex nihilo sans histoire

Mais il n’est pas « la poire »

Ni « la pomme », d’ailleurs.

D’ailleurs ou d’ici.

C’est une utopie

La poire aboie

Mais la poire à boire,

Nenni.

Elle a perdu sa chair

Elle a perdu sa pulpe

Mais aussi, sa chaire

Où elle ne se disculpe

Plus de n’avoir de goût.

Car si je goûte la poire

Je reconnais le fruit

Point n’est besoin d’y voir

Elle est la même la nuit.

Mais si je la goûte

Et la goûte et la goûte

Et encore la goûte

Le goût se met à réfléchir

Il pose ses poings sur les hanches

Et doute d’avoir eu quelques manches

Avec elle pour s’en rafraîchir.

Qu’une question épluche la poire

Et quoi faire de cet effeuillage ?

Cette analyse n’est que brouillage

D’une synthèse péremptoire.

 

Illustration L'Altérité

Poire transparente

Hervé Rostagnat "Les bananes de Côte d'Ivoire"

📖 Poésie
📅 dimanche, 14 janvier 2024 16:57

Les bananes de Côte d’Ivoire

 

Après les fraises

Les cerises

Et leur peau qui d’aise s’irise

Au soleil de mai

Mais les bananes de Côte d’Ivoire.

Après les cerises

Les melons

Après les melons

Les pêches

C’est selon

Que se dépêchent

Les arrivages

Mais sans ambages

Les bananes de Côte d’Ivoire.

Après les pêches

Le raisin

Blanc et noir

Au sucre d’or sur les bords

Des lèvres ouvertes

Mais les bananes de Côte d’Ivoire.

Après le raisin

Les poires

Rousses et vertes

Puis les pommes

Rouges et jaunes comme

Les bananes de Côte d’Ivoire.

Après les pommes

Les mandarines

Après les pommes

Les clémentines

Et les treize desserts

Sur la table qu’on dessert

Et les bananes de Côte d’Ivoire.

 

Montage L'Altérité "Saturne dévorant un de ses fils" d'après Goya 1819 - 1823

saturne 3

Hervé Rostagnat "Mais si le rien n'est pas comment peut-il ne pas être ?"

📖 Poésie
📅 samedi, 13 janvier 2024 09:00

Mais si le rien n'est pas comment peut-il ne pas être ?

 

Lors, on m’avait caché de la mathématique,

Repère orthonormé et valeur dérivant,

Que cette science pût être aussi poétique

Que la feuille d’automne emportée par le vent

Ou la mer agitée très sinusoïdale.

Les yeux par la fenêtre, il me souvient d’antan

Les vaines analyses infinitésimales

S’envolaient au dehors tout en tourbillonnant.

Mais si l’on m’avait dit que la feuille d’automne

Eût pu tout en tombant se rapprocher du sol

Infiniment mais sans jamais, cela m’étonne,

En atteindre l’abscisse poussée par Eole,

J’aurais alors compris que le rien en ces mondes

N’est pas. Vois mon ami j’approche du trottoir

Cueillir cette colchique avant qu’on ne la tonde

Mais la dure asymptote empêche de l’avoir

De ma main à la fleur d’infinis décimales

S’éloigne du zéro, pathétique fiction.

J’ai cassé une pierre et cassé sa fractale

Pulvérisé la terre à perdre la vision

A la fin de l’été de cette roche infime

Répétitive infiniment ratiocinée

Et restera toujours enfouis dans l’abîme

De mon âme entièrement hallucinée.

Mais si le rien n’est pas, si le rien ne peut être

Ce poème n’est-il une contradiction ?

Comment se peut-il que le rien ne puisse être

Puisque le rien n’est pas par définition ?

 

Illustration L'Altérité

Néant