Hervé Rostagnat est né en 1955 à Suresnes. Il a vécu à Paris où il a fait ses études pendant ses vingt cinq premières années. Il rejoint Nice au début des années quatre vingts. Il termine ses études de droit et devient enseignant en économie gestion, d'abord en établissement privé puis il rejoint le public où il enseigne en lycée professionnel jusqu'en 2020, année à compter de laquelle il prend sa retraite. Il créé en 2016 la revue littéraire L'Altérité où il rassemble un certain nombre d'autrices et d'auteurs. Il s'entoure de collaborateurs qui oeuvrent gratuitement pour la revue. L'Altérité publie des chroniques littéraires, des essais, des articles, des romans, des oeuvres épistolaires mais au fil du temps c'est la poésie qui va prendre le dessus sur l'ensemble de la production littéraire.
Combien de regards
Ai-je jeté dans la benne
Qu’au fond, les miroirs
Te réfléchissent encore ?
Tant d’aubaines pupilles
A l’aube et de nocturnes paupières
Se sont approchées
Du nez de ton nez
En cette armoire blanche
Dont je fracasse la mémoire
Toute accumulée dans les tiroirs
Démantelés pendant cette avalanche.
Tant d’années
Que je pulvérise
Ainsi en cette casse
Le souvenir d’intimes soucis
De corps nus reflétés
Mouillés et fragiles
De chignons relevés
Sur ta nuque où dégoulinent
Encore des gouttes au prisme d’arc en ciel
Et des boucles d’encre violine
Tatouées sous le sel de ta peau.
Tant d’étrangers tant d’étrangères
Giclant de la boite ont pissé
À satiété des oboles au lac
En ignorant du placard
Les œillades figeantes.
Adieu l’immémoriale !
Qui est en cet instant
D’elle ou de moi la plus banale
Ordure en la benne gisant ?
Jeune femme à sa toilette" (1875) de Berthe Morisot
Je suis sur le sofa et je lis. Derrière la fenêtre, j’entends le vent qui vient du fond de la vallée. Il pousse, il gronde mais il n’est pas encore là. J’interromps ma lecture et j’écoute son souffle croissant courir le long de la rivière, traverser les chênes, siffler sur le fil des feuilles. Il se signale. Puis il déboule en poussant les branches qu’il affale. Les chênes s’affolent, secouent la tête en tous sens, entremêlent leur feuillage qui bruissent comme un déluge de pluie. La maison craque, la flute chante au-dessus du toit et nuance ses tonalités. La pluie bientôt l’accompagne, elle claque sur les vitres. La foudre tombe à quelques mètres et presque simultanément éclate le tonnerre. Elle ruisselle. L’eau s’écoule. La terre bois. Ça clapote. Ça déglutit. La rivière est loin. Gronde-t-elle aussi ? Elle monte. Mais nous resterons les pieds au sec.
Je lis « Béton, arme de construction massive du capitalisme » d’Anselm Jappe. Je me réjouis autant que m’afflige cette édifiante lecture. Car je suis, en cet instant, l’heureux contre-exemple d’une tragédie écologique.
Le livre d’Anselm Jappe est un passionnant essai qui non seulement analyse la matérialité des faits du phénomène béton (histoire, définition, utilisation, controverses, dangers) mais qui inscrit ce phénomène dans un paradigme dont il est étonnement l’incarnation.
Le béton, nous dit l’auteur, est à la fois un produit emblématique de la société capitaliste et, partant, de la logique de la valeur.
Il est le symbole de la modernité. Pourtant, le béton (sans ferraillage) n’est pas un produit récent puisque l’antiquité l’utilisait déjà pour des constructions qui sont encore debout aujourd’hui telle que la coupole du Panthéon de Rome qui a plus de 2000 ans. Ma maison en a plus de 200. La rupture créée par la bétonisation tant sur le plan de l’esthétique architecturale que sur le plan de l’appartenance de classe a été critiquée par la droite et encensée par la gauche. Les matériaux nobles comme la pierre sont, en effet, l’apanage de la bourgeoisie qui voit, en outre, d’un mauvais œil l’accès à la propriété des classes populaires grâce au prix meilleur marché des biens immobiliers qui ne se différencient plus que par la quantité des mètres carrés habitables. Le bourgeois critique l’utilisation du béton parce qu’il est à la fois mu par un conservatisme inhérent à son appartenance de classe mais aussi par un jugement corrélativement assez circonspect à l’égard des innovations. Le béton a donc, paradoxalement, les faveurs de la gauche beaucoup moins prudente à l’égard du progrès technique soit parce qu’elle considère que la modernité est en mesure de soulager l’homme au travail, soit parce qu’elle se veut foncièrement progressiste. Ainsi avalise-t-elle des constructions comme « la cité radieuse » de Le Corbusier pour son esthétisme moderniste et fascisant, et pour ses fonctionnalités terriblement mécanistes et géométrisantes telles que les a dénoncées notamment Jacques Tati dans le film « Mon oncle ».
Le béton est ainsi utilisé massivement comme unique matériau de la construction immobilière condamnant ainsi l’utilisation de tous les autres plus écologiques. C’est donc à peu près au moment où l’on a construit ma maison c’est-à-dire au milieu du 19ème siècle qu’il s’impose abstraitement quel que soit le lieu de son utilisation en ignorant les spécificités des constructions locales.
Moi, j’habite dans une maison de pierre. Mais de quelle pierre s’agit-il ? Elle n’est qu’une abstraction mais le mot pierre m’autorise, pour l’instant, à formuler mon propos, à suggérer des images et de la matière. Le terme se substitue pour un instant à sa nature concrète qui n’est pas dénuée d’importance. Mais attention, lecteur anglais, lecteur espagnol, ne vous laissez pas abuser par les mots qui sont parfois de faux amis.
Concrètement, donc, ma maison de pierre est-elle calcaire, granitique, argileuse ? Elle est schisteuse comme les lauzes qui l’abritent. Et la représentation qu’on peut s’en faire se précise. Dès lors, on peut imaginer que la montagne qui l’entoure est schisteuse aussi. On devinera qu’il n’a pas été nécessaire d’aller chercher loin le matériau qui aura servi à sa construction. Ma maison est-elle longue comme la longère ? Est-elle de plain-pied ? Nenni. Elle est haute et étroite. Ainsi, elle économise le maximum de sol plat pour les cultures qui l’ont entourée occupant les restanques qu’on voit encore dégringoler sur les flancs de la colline. A-t-elle de grandes baies vitrées, une terrasse et quid des murs ? Ce qui précède, déjà, peut inspirer la réponse. Ma maison est posée sur le rocher. Ses petites fenêtres nous gardent de la chaleur l’été et du froid l’hiver. Les murs sont si larges qu’ils nous protègent des amplitudes thermiques. Et la terrasse n’est pas utile car la montagne en est couverte. A côté, la châtaigneraie est dense dont la charpente est issue, ainsi que les linteaux qui supportent la maison depuis si longtemps.
Le béton tend donc à l’uniformisation des architectures dans le monde. Il disqualifie les compétences puisqu’il substitue au savoir-faire des artisans ou des ouvriers professionnels, des procédures standards, aliénantes et sous rémunérées. Qui saura aujourd’hui construire les voutes de ma cave qui ne tiennent que par la force de poussées savamment calculées et jointes avec à peine un peu de torchis ? Les anciens sont partis si tant est qu’ils aient connu cet art de la construction. On dit chez nous que des maçons italiens dans leurs voyages ouvriers ont aidé les nôtres. Contre le gite et le couvert. Les motifs qui justifient l’utilisation massive du béton sont d’un autre ordre. Ils sont d’ordre financier en raison de son moindre coût de production et des bénéfices qu’il procure aux producteurs voire aux réseaux maffieux. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle ce matériau est d’une solidité à toute épreuve, il n’a qu’une durée de vie très limitée (une cinquantaine d’années) surtout lorsqu’il s’agit du béton armé (qui est finalement moins armé que le béton sans ferraillage en raison de la corrosion de l’acier fragilisant les structures) et constitue ainsi une opportunité consubstantielle d’obsolescence programmée. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle le béton est un produit écologique (on va même jusqu’à l’appeler le béton vert), il est extrêmement polluant : poussières de ciment générant des maladies professionnelles, paysages inesthétiques, minéralisation des villes modifiant l’état des sols, perturbation des éco systèmes. La généralisation du béton s’accompagne d’une modification de son environnement professionnel sur les plans administratif et juridique constitutive de barrières à l’entrée d’un marché plutôt oligopolistique[1] : organisation sous forme d’ordre professionnel du métier d’architecte, constructions subordonnées à des permis de construire. Ma maison n’a pas de permis, elle n’a pas de titre. Si bien que lorsqu’il a fallu se défendre d’un absurde procès en revendication, il a fallu plaider la prescription acquisitive trentenaire. Cette maison est nôtre parce que dans la mémoire du village tout le monde sait qu’elle est nôtre.
Ce paradigme capitaliste de la massification du béton est fondé sur le concept de valeur qui aboutit à une véritable liquéfaction de la société conforme à l’image que donne Marx du travail abstrait comme substance aussi indéfinissable que ce qu’il appelle « la gelée ». Anselm Jappe appuie sa démonstration sur la théorie de la valeur marxienne et sur le très subtile et significatif jeu de mot construit autour des termes concrete (anglais), concreto (espagnol) qui signifient béton (du latin concretus qui veut dire dense, solide) et du caractère aussi abstrait que le travail qui s’est totalement déconnecté de son objet initial consistant à produire un bien ou un service ayant une valeur d’usage (la satisfaction d’un besoin). Le travail, initialement concret à la fois dans son objet et dans sa résultante voire dans sa fonction symbolique tel que celui de nos ouvriers italiens, devient également une abstraction, une dépense d’énergie standard, interchangeable, indifférenciée consécutive à la nécessité de lui fournir une valeur puisqu’il n’en a pas intrinsèquement ni d’ailleurs l’objet du travail tant qu’il ne rentre pas dans un rapport d’échange nécessité par la contrepartie fondée précisément sur la réciprocité des obligations résultant de cet échange. Le travail qui n’a pas d’unité de mesure, ne peut donc se quantifier que par le temps nécessité pour produire à partir duquel on quantifiera la quantité de monnaie équivalente (liquidité de la monnaie et du travail convertible immédiatement en argent) nécessaire pour acquérir le bien sans oublier le profit que l’entrepreneur tire de sa spéculation c’est-à-dire de son espérance de profit.
Or, montre Anselm Jappe, le béton est la manifestation concrète de l’abstraction de la valeur travail. Il adopte exactement les mêmes propriétés que le travail abstrait c’est à dire liquidité (on coule le béton) et donc polymorphisme, amorphisme, uniformisme, universalité, indifférenciation, standardisation, géométrisation, adaptation. La caractéristique du système capitaliste, c’est son aptitude à passer d’une société de la permanence à une société de la fugacité, de l’éphémère, du consumable, du volatile. On pourrait donner des exemples de ce glissement vers une liquéfaction sociétale que ne cite d’ailleurs pas nécessairement Anselm Jappe mais qui sont également significatifs de l’extrême fragilité de nos structures exclusivement fondées sur la valeur : glissements de la richesse immobilière vers la richesse mobilière (valeurs boursières), de la richesse corporelle vers la richesse incorporelle (propriété intellectuelle, industrielle et commerciale), de la réalité formelle vers la réalité virtuelle (qui est un oxymore), de l’art immémorial vers l’art éphémère voire titrisé, de l’information matérielle vers l’information digitale, de l’or vers la monétique voire de la crypto monnaie, de la mémoire longue vers la mémoire courte précarisée par la disparition de son socle historique et, en l’espèce, architectural.
Que je fasse évaluer ma maison par un expert, il m’en donnera x €. Mais moi je n’en veux rien car elle est inestimable. Et quand bien même. Il n’est expert qu’en quantité. Il n’est pas expert en histoire, ni en naissances et en décès desquels la maison pourrait témoigner. Ni en beauté. Ni en écologie. Ou alors peut-être en greenwashing…
[1] Les six premiers cimentiers contrôlaient environ 10 % de la production mondiale en 1990, leur part avoisine aujourd'hui entre 25 et 33% du marché selon les sources (et 45 % si l'on exclut la Chine). Le gouvernement chinois encourage la consolidation d'une industrie nationale très morcelée ; d'importants acteurs apparaissent, comme Anhui Conch Cement Company Limited, China National Building Material Group Corporation, Heidelberg Materials et Holcim, chacun ayant des capacités de production de plus de 120 Mt. Sources :
(https://www.mordorintelligence.com/fr/industry-reports/cement-market). (https://www.proparco.fr/fr/article/ciment-et-croissance-tendances-mondiales).
Un lieutenant japonais et son épouse décident de se suicider par seppuku (éventration) après l’échec d’un coup d’Etat organisé par les nationalistes de l’armée impériale japonaise le 26 février 1936. Ce film est un choc morbido-esthétique surtout lorsqu’on sait que le diptyque que constituent la nouvelle « Patriotisme » et « Yûkoku » sont une répétition de son suicide en 1970. Il est même très surprenant que, dans un film plutôt artisanal, la scène du seppuku soit rendue avec un réalisme aussi traumatisant. Ne parlons pas des intestins de porc que Mishima a voulu utiliser afin d’accroitre l’impact émotionnel du suicide. Cela reste, à notre sens, un détail qui participe peut-être de la même volonté fétichiste que d’obtenir une reproduction parfaite de la casquette d’officier qu’il porte dans le film. Car le noir et blanc édulcore l’impression que pourrait laisser ce bain de sang. De la même manière, l’attitude hiératique des deux personnages et l’expressionnisme des visages et des corps autant dans l’amour que dans la mort créent une distanciation dans la représentation de la tragédie inspirée d’un théâtre (théâtre Nô) précisément caractérisé par la mascarade. Une distanciation encore accrue par le mutisme du film et les cartons manuscrits que Mishima intercale entre les scènes. Et pourtant, la scène reste épouvantable. Alors quid ? Où chercher cette extraordinaire aptitude à la suggestion ? La musique de Wagner ?
La scène de l’exécution du chat, de son éviscération et de son dépeçage constitue également dans le roman de Yukio Mishima « Le marin rejeté par la mer[2] » un prélude à l’esthétisation de la mort que très poétiquement, Marguerite Yourcenar magnifie en disant : « la mort réelle est l'œuvre achevée, elle est même son chef-d'œuvre[3] ». Ryûji, le marin rejeté par la mer, n’a pas été le héros qu’il aurait souhaité être et il est, à ce titre, méprisé par son beau-fils qui le condamne à mort avec ses amis dans un nihilisme très protéiforme[4]. L’exécution de Ryûji sera sa dernière gloire et il s’y prête d’une certaine manière avec cette volonté de mourir telle que la mort pourrait être son chef-d’œuvre.
Cette remarque résonne avec ce que dit Roland Barthes dans « Sade, Fourier, Loyola » : il aurait aimé que, dans la mémoire des autres, sa vie se réduise à quelques biographèmes (anecdotes) au même titre que la mort de Mishima est à la fois un évènement négligeable de sa vie néanmoins constitutif de son œuvre[5]. Voilà peut-être une poétique un peu cynique qui consiste à oublier l’œuvre du vivant en réduisant une biographie à un évènement si tragique qu’il soit. A moins évidemment que l’esthétisation de la mort réelle, préméditée, planifiée, assumée, rituelle, participe d’un projet artistique que Mishima est peut-être le seul à connaitre.
Ce que dit Fabien Gaffez au sujet de la photographie des amants de « Patriotisme » est aussi très intéressant lorsqu’on pense au livre de Barthes « La chambre claire[6] » qui résonne de manière particulièrement pertinente avec l’esthétique qui redonne vie au temps que la fixité de la photo arrête. Si nous avons bien compris Barthes, il dit cela en substance : si en effet la photographie comme support est et devient (vieillissement, jaunissement), la photographie comme représentation d’un référent (une personne surtout) est mais ne devient plus jamais. A ce titre, la photo ne peut être une représentation de quoi que ce soit parce que quoi que ce soit est, par nature, en constant devenir. C’est pourquoi d’ailleurs la photo est un « contre-souvenir (mot de Barthes) car elle ne donne pas à la mémoire la mouvance dont le souvenir est constitué et qui est l’essence même de l’identité du référent.
Sur certaines photos, comme le mort « sans âme », un portrait n’est pas reconnaissable. Il n’y a, en effet, pas plus d’âme (par définition anima) dans une image fixe comme la photo que dans le visage d’un mort. L’étincelle, qui constitue le fondement du reconnaissable, a disparu. Il en va différemment d’une (bonne) peinture car le référent est représenté. Il est, à ce titre, interprété. Et c’est cette interprétation qui lui donne « l’anima ».
C’est ce que plus loin dans le livre, Barthes appelle « l’air » et qui est « l’ombre lumineuse qui accompagne le corps ». Je note : si l’air est l’âme, si l’âme est le temps (se construire), alors, l’air est le temps. La photo est bien une antithèse du devenir.
Sauf si le talent transcende l’absence de signe qui rend, selon Barthes, la lecture d’une photo impossible. Mais la photo d’art, ne donne-t-elle pas à voir et ne dit-elle pas ? Sans quoi, la sémiologie de l’image n’a pas de sens. Une photo construite tient du discours. Mais la photo d’art ne tient-elle pas alors plus de la peinture ?
Barthes dit que la photo d’art n’est pas de la photo car si la photo est la folie du « ce n’est pas » (ne pas confondre le référent et son support) et du « ça a été » (la photo authentifie), une construction photographique est aux antipodes du « ça a été » puisque justement cela n’a pas été mais cela a été créé (illusion et non plus histoire ou authentification). La photographie d’art n’a donc plus cette dimension hallucinante (comment est-ce que cela a pu être alors que ce n’est pas ?).
Il n’y aurait alors de « survivance des morts » que dans l’esthétique picturale (peinture ou photographie assimilable à la peinture par la construction dont elle fait l’objet). Ce discours ne peut-il pas finalement s’appliquer au film de Mishima en transposant l’image fixe à l’image animée sachant que cette animation n’est finalement qu’une succession d’images fixes dont la photographie est, en l’occurrence, particulièrement soignée. Et l’intéressant concept de « devenir photo » et l’évocation de « l’image qui se décolle du corps comme une dépouille[7] » prennent toute leur pertinence dans la mesure où elles expliquent peut-être l’épouvante qui sourd de ce film que hante avant l’heure le spectre de Mishima. Le chef d’œuvre alors c’est la prouesse de montrer le devenir de ce qui n’est pas encore. Il me revient à l’esprit, en disant ça, le cinéma expressionniste de Fritz Lang avec son génial Docteur Mabuse.
Photographie Kimio Watanabe
[1] Yukio Mishima « Le marin rejeté par la mer » aux éditions Gallimard collection Folio novembre 1979.
[2] Voir la chronique publiée dans la revue L’Altérité : https://www.lalterite.fr/revue-epistolaire-litteraire-et-numerique/item/129-mishima-yukio-le-marin-rejete-par-la-mer-une-chronique-par-herve-rostagnat
[3] Voir à ce titre le cours donné par Fabien Gaffez, directeur artistique au Forum des images le 25 novembre 2022 intitulé « La mort à l’œuvre ».
[4] Ibid. chronique L’Altérité.
[5] Ibid cours de Fabien Gaffez, Forum des images.
[6] Roland Barthes, « La chambre claire note sur la photographie », cahier du cinéma, Gallimard Seuil.
[7] Ibid. cours de Fabien Gaffez Forum des images.
Ici l’eau de la cruche
Est chaude et amère
Et le loup n’est que merluche,
Né de la mer louche
Qu’on apprivoise
Pauvre saumure qu’au large
Les bateaux croisent
Profonds comme des cambrures
Au bas de leurs reins
Que mouche la vague.
Du chalut qui divague
Le soleil forge l’airain
L’or et l’argent qui frétillent
Dans des cales bourrées d’arc en ciel
Comme la mer qui brasille.
De ce pétillement
On n’en verra pas la couleur
Nulle irisation, point d’enchantement
Dans l’assiette qui pleure
Triste comme un chantier
Un jour de pluie
Un jour d’ennui
Tout entier.
Ici tant amer est le petit noir
Qu’il tire sur les lèvres
Une grimace mièvre
Et laisse au visage la mémoire
De regrets remâchés.
Ici tant acide est le petit vin
Autant que le pichet
Qui rebaptise en vain
La misère de la vigne.
Et le pain trop blanc
Et le sourire semblant
Convenir aux consignes
Loin d’une bouche amène
Aux dents éclatantes.
Ô rêve, ici on te malmène
Malgré la route des sentes.
Des sillons au cordeau
Conduisent le regard
Jusqu’au falaises au bord de l’eau.
Parfois tu te demandes si on t’égare.
Photo L'Altérité
Jardin
Jardin, din, din,
Dingue, dingue.
Couper, tailler,
Elaguer, petit boué,
Arracher, débiter,
Attacher. Vite, vite,
Le printemps,
Le jardin est hirsute,
Il déborde ; coupe, coupe,
Cours, cours
Derrière les fourmis
Qui mangent le mur
Pour faire le nid.
Volent, volent
Les flocons de coquilles
Et le sable qu’elles éparpillent.
Taille, taille, taille !
Insectes infectent !
Tayaut ! Tayaut ! Tayaut !
ùn ci hè pane
Y’a pas de pain
Y’a pas de beurre
A ct’heure
Mais malin
Deux en un
J’prends des croissants au beurre.
Abrasif
Pluie de sable cette nuit
Pluie d’Arabie sur l’érable
Et ma voiture et ma peinture
Toutes abrasées de papier de silice.
Sur les marches
Sur les marches avec Cathy
Jacky, Jacquis, Marie
Rimes embrassées
Puis, s’égrainant
Ils se couchent.
S’éparpillent, s’effarouchent
Comme grains de raisins
Dans ma bouche.
Et nous restons, Louise et moi.
Elle, dans une menthe à l’eau qui cliquette
Et moi, ajoutant au vert de son verre
Une sucette d’acide citrique jaune et glacée
La nuit est encore chaude
Et résonne sous les claquements,
Çà et là, des voix qui se détachent dans l’air
Comme l’écorce des arbres aux contours
Ronds et nets.
Peter Flabby est un peintre plasticien américain né en 1950 qui a consacré aux USA et en France quelques années de sa carrière d’artiste à travailler dans les centres d’art thérapie spécialement destinés aux personnes âgées.
"Entre l’art contemporain qui ensemence nos têtes, et le tout est art pourvu qu’on l’explicite, il y a parfois confusion. La taille du panneau qui accompagne une pièce est inversement proportionnelle à la vanité et à la vacuité de l’œuvre. Allan Dorster montre ici, dans une composition triptycale où fusionnent dynamisme et staticité, la genèse de cette confusion. Le tout est art se présente d’abord comme un amalgame de productions désorganisées rasant le fond d’un mouvement pictural d’autant plus identifiable qu’il n’est que la récupération opportuniste d’un marché qui s’enlise dans des préoccupations plus quantitatives qu’esthétiques.
L’homme poisson
Il a des algues sous les seins
Et des palourdes accrochées
Dansant sous les rochers
Un va et vient de moulin rouge.
Les moules sur son dos
Affleurent le récif
Sous la main du ressac
Elles bougent en cadence
Dans la moire de l’eau ça balance
Dansent, dansent, dansent en frac
Les sars hilares et furtifs
Swinguant de droite et de gauche
Tout autour de l’homme poisson
Au vaste caleçon
Où d’autres danses s’ébauchent
Une murène je crois
Toute petite s’y cache
Elle y attend sa proie
Un rien qui s’y attache
Une vierge mineure
Intriguée par le membre
Glisse à l’intérieur
Sa jolie main d’ambre
Qu’une décharge pétrifie
De douleur et horrifie.
Il quitte un banc de mulets
Au festin de la mort
Glisse dans l’eau du port
Les algues dissimulées
Sous les seins
Rabattues comme chevelure
De fringants chevaux marins
Juste à quelques encablures
Il cherche une autre destin.
Peuples ! écoutez le poète !
Ecoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Des temps futurs perçant les ombres,
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
Le germe qui n'est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme.
Dieu parle à voix basse à son âme
Comme aux forêts et comme aux flots.
Victor Hugo La fonction du poète 1840
Parfois l’on se demande s’il ne vaut pas mieux retourner dans le désert, s’en aller, chanteur inutile, par la porte de la cité pour y prêcher. Prêcher dans le désert, n’est-ce pas ce qu’il reste au poète d’impact sur les consciences résignées, saturées d’une information banalisée. Banalisée car marchandisée comme vulgaire denrée alimentaire où le pire des scandales, loin d’être dénoncé, n’est exposé que dans sa dimension sensationnaliste constitutive d’un avantage concurrentiel sur un marché de l’information pléthorique, néanmoins univoque car oligopolistique. L’auditeur, le lecteur, le spectateur secoue sa torpeur et son ennui par de l’émotion facile et retourne se coucher avec assez d’adrénaline pour se convaincre d’avoir vécu.
Et pourtant, il nous tente tellement de vous avertir, lecteur, des dangers de la manipulation dont nous sommes l’objet à force d’invoquer les valeurs de la République et la démocratie depuis longtemps vidées de leur substance. L’antienne consistant à convaincre l’électeur de voter en faveur de l’establishment pour résister au risque anti démocratique de l’extrême droite ou de l’extrême gauche (quel extrême à gauche sinon l’aile gauche d’un parti socialiste que le pragmatisme des affaires pousse à se droitiser[1] ?) est précisément anti démocratique et contreproductive. La presse, farouche gardienne de la pensée unique capitaliste, s’érige en gardienne des valeurs de la République (liberté, égalité, fraternité) en mettant dos à dos, dans un discours moralisateur, manichéen et corrélativement culpabilisant, les gentils démocrates et les méchants extrémistes pourtant démocratiquement sortis des urnes. Car de deux choses l’une. Ou les partis extrémistes sont illégaux car ils constituent, par leurs propos, par leurs statuts ou par leurs actions une menace à l’ordre public et ils doivent être dissouts. Ou ils font partie du paysage politique et ils doivent être admis comme participants à la diversité idéologique sur le fondement des libertés fondamentales que garantissent les constitutions française et européenne. Soupçonner un parti tel que le Rassemblement National d’être fascisant c’est faire les choses à moitié et démontre la déloyauté d’un Etat qui, depuis déjà près de 40 ans[2] l’instrumentalise à dessein : diviser le corps électoral pour s’assurer des voix qu’il est incapable d’engranger autrement que par des stratégies politiciennes à cause d’une politique sciemment inégalitaire (tournant de la rigueur sous Mitterrand en 1983).
Cette manipulation consistant à fabriquer un citoyen à la pensée hétéronome participe du manque de volonté d’un Etat à imposer une autorité que seule la cohérence entre discours et actes rend effective et respectée. Dissuader l’électeur comme le fait Gabriel Attal de voter à l’extrême droite en arguant que ce qui sous-tend un geste politique doit se fonder sur des valeurs et non sur des opportunités est juste sauf que dans le discours du premier ministre le terme valeurs est largement emprunt du soupçon matérialiste inhérent au paradigme capitaliste qu’il défend, loin de tout contenu éthique ou philosophique. Nous dirons qu’effectivement on ne vote pas pour un parti qui défend des valeurs historiquement anti démocratiques afin d’essayer une nouvelle alternative quand les partis traditionnels ont échoué à l’instauration d’un bonheur collectif. Le moteur de l’action politique c’est l’éthique. C’est elle qui constitue la colonne vertébrale de toute réflexion et de toute la réglementation, présente en filigrane dans un texte constitutionnel supérieur hiérarchiquement à toutes les autres sources du droit. Dans le même ordre d’idée, l’abolitionnisme en matière de peine de mort ne peut être sélectif et fondé sur la nature de l’infraction commise par son auteur. L’abolitionnisme est absolu et fondé sur l’idée selon laquelle un Etat doit respecter la vie et ne peut y porter atteinte quelles que soient la gravité des faits et l’horreur qu’ils sont susceptibles d’inspirer. Autrement dit, la politique n’est pas une affaire de fait mais de principe. La crise économique, le chômage, le dérèglement climatique, le contexte international ne constituent aucunement une légitimation d’une réglementation opportuniste discriminatoire, attentatoire aux libertés et au respect de la personne humaine dans toute sa diversité politique, ethnique, religieuse, sexuelle.
Mais s’il est difficile de faire admettre aux citoyens qu’un principe doit primer sur les pénibles réalités d’une vie précarisée, il est encore plus ardu de le leur faire admettre lorsque que le pouvoir en place empile les réglementations opportunistes comme palliatif à la schizophrénie d’un système qui promeut la suprématie du marché dans un cadre qui affiche sa volonté républicaine et démocratique. Si, par exemple, on analyse les occurrences lexicales de la Constitution européenne, on constate que le terme concurrence figure 38 fois, que le terme marché figure 140 fois, que le terme entreprise figure 159 fois, que le terme banque figure 174 fois, mais que le terme service public ne figure que 5 fois et que le terme de démocratie ne figure que 9 fois.
Le concept d’entreprise est caractéristique de l’ambigüité des intentions européennes qui, loin d’instaurer « un espace privilégié de l’espérance humaine », une communauté de destin fondé sur la diversité et la tolérance, sur le respect des droits et devoirs de chacun notamment à l’égard des générations futures[3], créé sous le terme fallacieux de Constitution une véritable machine de guerre économique et libérale. On ne combat pas l’extrémisme par des stratégies politiciennes de dernière minute mais par la mise en place d’un programme susceptible de permettre au citoyen de réaliser des choix éthiques et philosophiques susceptibles d’instaurer le bonheur collectif. Celui-ci passe par la présence d’un Etat fournissant à son peuple, dans le cadre du contrat social, les services indispensables à l’égalité de traitement des citoyens comme contrepartie de l’aliénation d’une partie de sa liberté. C’est précisément l’ambiguïté du concept d’entreprise qui leurre le citoyen sur la pseudo volonté de l’Europe de le protéger contre les risques anti concurrentiels : monopole, oligopole, abus de position dominante, politique de stabilité des prix. L’objet du traité européen n’est pas de fournir une définition juridique de la notion d’entreprise mais au contraire d’entretenir le flou sur ce concept en laissant à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne le soin de respecter l’esprit dans lequel il a été rédigé. La malléabilité du concept est au service de raisons uniquement répressives : il s’agit de désigner l’auteur d’une infraction au droit de la concurrence susceptible d’être sanctionné[4]. Selon l’arrêt Klaus Höfner et Fritz Elser c/ Macrotron GmbH, « la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement[5] ». Il peut donc s’agir d’entreprises commerciales par la forme (S.A, S.A.R.L. etc.), de groupes, de filiales, de succursales, d’entreprises individuelles commerciales ou artisanales, de personnes physiques ou morales mais aussi de services publics. Si l’Europe ne souhaite pas ouvertement supprimer les services publics non marchands[6] (justice, police, éducation) elle soumet les SIEG (Société d’Intérêt Economique Général) au droit de la concurrence, c’est à dire les entreprises publiques fournissant des services marchands dans un but d’intérêt général (énergie, communication, poste, transport). Elle est opposée aux monopoles d’Etat au motif qu’ils peuvent pratiquer des tarifs trop élevés. Mais elle donne ainsi au marché des opportunités de profit précisément confisquées par ces monopoles d’Etat. L’ouverture à la concurrence de ces secteurs donne l’illusion que le consommateur européen profitera de conditions favorables en termes de prix et de qualité de service sauf que cette ouverture reste limitée à un système oligopolistique : le marché de l’électricité par exemple est ainsi dominé par quatre acteurs[7] (EDF détenant 70% du marché de la production et RTE détenant le monopole du marché du transport de l’électricité), ce qui limite nécessairement la concurrence[8]. Que dire d’ailleurs des services publics dits non marchands qui ne le sont que parce qu’ils sont dispensés par l’Etat. Certains pouvoirs régaliens (police, défense, justice) connaissent progressivement une privatisation : armées privées (appelées SMP ou ESSD[9]), services de sécurité privée. L’enseignement privé hors-contrat connait également une croissance non négligeable[10]. Or, si les services publics non marchands ne sont pas visés par le droit européen de la concurrence, ils sont indirectement touchés financièrement par les règles européennes de l’orthodoxie financière qui poussent les Etats à lutter contre les déficits et à réduire leurs budgets. Cette politique d’austérité permet une ouverture corrélative du marché à ces services qui connaissent une privatisation de fait, rompant ainsi l’égalité des citoyens préconisée par le préambule de la Constitution. L’Europe[11] justifie la présence des SIEG par la nécessité d’assurer une cohésion sociale et territoriale dans la distribution de ces services en les assurant notamment dans les régions isolées et peu peuplées. Sauf que précisément ces régions souffrent par exemple de l’insuffisance de bureaux de poste. Quant aux services publics de la justice[12] et de la santé[13], soi-disant intouchables, ils s’éloignent de plus en plus des usagers en substituant à l’indispensable proximité, des effets de synergie comptables exigés par l’Europe.
Quid alors de « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités ? Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes »[14].
De quel respect de la dignité humaine parle-t-on lorsque les immigrés sont accueillis en France sous les tobogans du périphérique ? Si l’extrême droite, notamment, est claire dans ses discours en promouvant la préférence nationale, la gauche n’a pas eu le courage d’assumer sa responsabilité politique en faisant des propositions d’intégration.
De quelle égalité parle-t-on lorsque le coefficient entre les hauts et les bas salaires approche le chiffre de 7 (écart entre le 1% des personnes touchant plus de 10 000€ par mois et celles des 10% les moins bien payées touchant 1 420€ par mois[15]). Sans oublier que les salaires chez les hommes sont plus élevés que chez les femmes malgré une réglementation[16] qui reste lettre morte.
De quelle tolérance parle-t-on lorsque Emmanuel Macron qualifie le programme du Nouveau Front Populaire relatif à la simplification du changement d’état civil des personnes, « d’ubuesque » alors qu’il avait promis en 2022 de faciliter la transition de genre, comme il l’avait expliqué auprès du magazine Têtu : « Les personnes qui s’engagent dans un processus de transition doivent être respectées dans leur choix et leur vie ne doit pas être rendue plus complexe par des procédures administratives si elles sont inutiles ».
Outre le mépris total des principes fondamentaux sur lesquels reposent les valeurs républicaines, Emmanuel Macron prouve par la même occasion l’inanité du mouvement qu’il a initié, fondé sur des références marketing plus que sur des références politique, philosophique et éthique. Le « parti » prend successivement les noms de « En Marche » puis de « La République en Marche (LREM) » puis de « Renaissance ». Voilà une pluralité d’appellations emblématique d’une absence d’identité ; un parti sans politique, sans saveur qui pourrait partiellement expliquer la montée des extrêmes dans un pays qui n’a finalement pas la culture de la soft idéologie et du bipartisme souple équivalent au bonnet blanc/blanc bonnet[17] idéologique spécifique aux systèmes anglo-saxons[18]. « L’époque durant laquelle le terme de parti se prononçait en amont d’une préférence idéologique ou d’un courant de pensée, à l’instar du Parti radical ou du Parti socialiste, semble révolu »[19]. La désignation du mouvement de Mélanchon « La France insoumise » (LFI) participe de la même démarche.
La professionnalisation de la politique constitutive d’une véritable rente de situation pour le personnel concerné (rémunérations, cumul et renouvellement des mandats, sanctions très hypothétiques des infractions commises par certains de ses membres), la Constitution française qui privilégie un régime présidentiel au régime parlementaire, l’absence totale de transparence d’une réglementation à la fois pléthorique et techniquement incompréhensible pour les citoyens, la massification des structures augmentée par les zones de commerce international comme l’U.E. rendent incompatibles la démocratie et la politique, de même que sont incompatibles l’écologie et le capitalisme. Après que François Mitterrand ait dénoncé « Le coup d’Etat permanent[20] » gaulliste, nos systèmes ne fonctionnent-ils pas dans l’anticonstitutionnalité permanente ? Etonnons-nous alors que le pragmatisme l’emporte sur l’éthique.
[1] LEFEBVRE Rémi, « « Dépassement » ou effacement du parti socialiste (2012-2017) ? », Mouvements, 2017/1 (n° 89), p. 11-21. DOI : 10.3917/mouv.089.0011. URL : https://www.cairn.info/revue-mouvements-2017-1-page-11.htm
[2] https://www.liberation.fr/politique/proportionnelle-en-1986-cetait-un-coup-politique-de-mitterrand-20210220_XQE5EOMTNRALTHP64S72N7LPHM/
[3] Préambule du traité établissant une Constitution pour l’Europe.
[4] https://www.concurrences.com/fr/dictionnaire/Entreprise
[5] CJCE, 23 avril 1991, Klaus Höfner et Fritz Elser c/ Macrotron GmbH, aff. C-41/90, pt 21.
[6] Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.
[7] Les 4 acteurs sont les producteurs d’électricité, les transporteurs, les distributeurs et les fournisseurs. Le gestionnaire de réseau de distribution est ENEDIS sur 95% du territoire. TotalEnergies détient 15% du marché de la fourniture d’électricité sur un marché de plus de 40 fournisseurs. (https://www.hellowatt.fr/contrat-electricite/marche-electricite).
[8]https://www.alternatives-economiques.fr/europe-services-publics-un-bilan-liberalisations/00088240
[9] Société Militaire Privée, Entreprises de Services de Sécurité et de Défense.
[10] En trois ans, le hors contrat dans le premier degré a gagné 11 200 nouveaux élèves, passant de 4,9 % à 6,2 % des élèves inscrits dans le privé ; les effectifs ont ainsi presque triplé en 10 ans. https://www.futuribles.com/essor-de-lecole-privee-hors-contrat-en-france/#:~:text=L'augmentation%20du%20nombre%20d,contre%207%20%25%20en...
[11]https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/les-services-d-interet-economique-general-sieg/
[12] La réforme mise en œuvre par la ministre de la justice Rachida Dati en 2011 a supprimé près de la moitié des tribunaux d’instance pour des raisons obscurément budgétaires. Voir « La suppression des tribunaux d’instance : la fin d’une justice accessible à tous » par Odile Barral. https://www.cairn.info/revue-pour-2011-1-page-57.htm
[13] https://www.ccomptes.fr/fr/documents/66873
[14] Article I-2 : Les valeurs de l’Union.
[15] https://inegalites.fr/inegalites-salaires-deciles.
[16] Article L 3221.7 du code français du travail et article 2, article 3, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne (traité UE), articles 8, 10, 19, 153 et 157 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (traité FUE) articles 21 et 23 de la charte des droits fondamentaux.
[17] En 1969, après avoir récolté 21,3% des voix au premier tour, les communistes refusent de choisir entre les deux candidats de droite qualifiés pour le second tour, Alain Poher et Georges Pompidou, alias « blanc bonnet et bonnet blanc » (N.D.E.).
[18] Il existe assez peu de nuances politiques entre les démocrates et les républicains américains et entre les Conservateurs et les Travaillistes anglais (N.D.E.).
[19] Julien Fretel, « Un parti sans politique. Onomastique d’une innovation partisane : En Marche ! », Mots. Les langages du politique, 120 | 2019, 57-71. https://journals.openedition.org/mots/25201
[20] François Mitterrand « Le coup d’Etat permanent » chez Plon 1964.
Je lis la poésie de Catherine Andrieu et je ne comprends pas tout de ce que je lis. Oserais-je alors écrire sur son œuvre ? Qu’importe le contenu, me dirait Mallarmé, laisse-toi bercer par les mots. Par la langue. Par la musique d’une langue que tu n’as pas apprise. Par la langue de Catherine Andrieu. Par l’objective beauté de l’œuvre qui s’offre à toi, par son immatérialité. La musique est typiquement l’art qui, selon Jankélévitch,[1] n’exprime rien au sens où il n’y aurait rien à décoder lorsqu’elle est exécutée. Il suffit qu’elle soit écoutée pour ce qu’elle est[2]. Ecoutons alors la musique de Catherine Andrieu. Hé quoi, me dit encore Paul Sanda, « Quant au mystère définitif, il faudra le découvrir entre les lignes, car les secrets véritables ne se donnent pas facilement[3] ».
« La lune est glauque dans la nuit rousse qui ondule comme chevelure sous la pluie. Je suis dans la Grande Barque. Je suis dans la forêt. Je suis en éclats de renards griffus, vibrations vertes, toi sur leur dos pour filer comme comète, toujours plus vite. Les griffures sous la peau, je suis Van Gogh, à l’envers de mon état d’usage quand on se sert de moi en guise de lame de rasoir. Tu coupes et coupes encore mes cheveux d’argent et ma corne frontale dans un pastiche d’Œdipe. Mais les cheveux repoussent et tu me vénères en tant que sorcière pulsionnelle qui a mis ta vie à sac, les deux heures de correspondance par jour, la défécation et le reste[4] ».
« Je pense, dit Catherine Andrieu, que mon travail sur l’onirisme n’est pas compris. (…) Quant à savoir pourquoi beaucoup (de lecteurs), a fortiori des poètes, restent à l’orée de mon travail, je crois que ça tient à l’imaginaire que je développe et qui nécessite d’avoir gardé un esprit d’enfance[5] ».
Qu’ai-je à comprendre finalement du rêve qui n’est pas le mien et qui peuple la poésie de cette auteure ? Et qu’ai-je d’ailleurs à comprendre du mien ? Il existe en soi. Posé là pour moi. Comme posé là pour elle dans une histoire immémoriale tout droit venue du cosmos au service de laquelle elle se trouve dans un impératif de « reconfiguration intérieure[6] » destinée à s’apprivoiser elle-même. Elle est assise à côté d’elle. Chamane, elle s’écoute dicter le long poème de sa vie qu’elle transcrit lorsque la nature la traverse[7] : « cet univers n’est pas le fruit d’un don, c’est un héritage de sang à travers les siècles[8] ».
« Elle est un autre », comme on le verra plus loin. « Cette femme est une chienne que quiconque prend dans la rue, sur le trottoir, une saleté de chienne qui me tient lieu de Dieu[9] ».
Si elle est une autre et si l’autre est Dieu, elle est Dieu.
« Voilà pourquoi j’écris, pour m’ouvrir les veines sur le papier seulement. Et pour être Dieu aussi. Quand j’écris, je regarde mon double sans avoir à vivre ma propre vie. Je suis assise au bord du chemin, je n’ai pas à subir une vie matérielle, à être un personnage, puisque je suis Dieu[10] ».
Mais qu’en est-il de cette déité ? Catherine aurait pu dire « puisque je suis Déesse ». A cela, lecteur, vous auriez demandé, « mais quelle Déesse ? ». Et pourquoi ne l’auriez-vous pas fait pour Dieu ? Parce qu’il est unique ? Mais qui conçoit l’unicité de la Déesse ? Car Dieu a été polymorphe. Mais il n’était alors que dieu. Ainsi en était-il des déesses. Tous et toutes avaient un nom. Et un ministère. Telle Léda devenue Ménésis et immortelle grâce à Zeus. Ménésis dont la colère et la vengeance tombent sur les hommes coupables du péché de l’hubris. Ha ! mais voilà l’avènement du monothéisme. Dieu est absolu et polyvalent. Et les femmes sont écartées de la suprême gouvernance. Pire. Elles n’appartiennent plus qu’à la damnation : elles sont harpies, dames blanches[11], démones, sorcières, goules, vouivres etc… Elles sont « Elle », incarnation selon le peintre Gustave Adolf Mossa d’une conception névrotique de la Femme, sadique qui dévore ses proies »[12]. Et quid de Catherine Andrieu ?
Déesse ou harpie ? Peu importe. Car n’est-elle pas d’abord démiurge d’elle-même ?
Sortir du monde réel
Deux évènements sont déterminants dans la vie de Catherine Andrieu. La mort de son petit oiseau[13] qu’elle garde dans sa poche pour aller voir son psychanalyste avant de le jeter dans un canal. Et la mort de son amour[14]. L’oiseau mort et la détresse qui s’ensuit se présentent comme des évènements qui présagent des morts, chats et suicidés, qui jalonneront son existence. Si elle aspire au confort ouaté de l’amour, il en sourd aussi haine, violence, obscénités[15], couteau, jalousie et dévoration : « Et t’absorber d’un coup de langue comme une amante vorace/Infernal succube qui n’a pas de contours/Qui lui soient propres[16] ». Sait-elle pourquoi, à huit ans, elle pousse son amie dans la mare aux poissons[17] ? Elle ne trouve la paix qu’auprès de son chat Paname ou de sa chatte Lune. Mais là aussi, cet amour présent est torturé par la mort future de l’animal qu’obsessionnellement est ne peut s’empêcher d’envisager[18].
« Je vais crever s’il meurt ça n’était pas faux[19] »
« Treize ans d’amour fou c’est pas des choses qu’on oublie, alors je te regarde dormir. Tu respires paisiblement, calé contre mon corps. Et un jour, toujours calé contre mon corps et rattrapé par les statistiques, tu auras cessé de respirer. Et j’aurai cessé d’aimer[20] ».
Il n’y a pourtant ni préscience, ni chamanisme dans ce pressentiment de la mort. Juste un peu de statistique pour un chat qui approche des treize ans et un intérêt pour la science qu’incarne Stephen Hawking[21] auquel Catherine Andrieu s’identifie corps et âme. Parce que leur corps est prison et leur âme, brillante. La complexité des recherches d’Hawking en physique quantique et en cosmologie fait son admiration car elle éprouve une fascination sans borne pour l’intelligence et une déférence presque excessive pour les intelligents : « J’ai toujours pensé que l’intelligence était érotique[22] ». Mais cet amour qu’elle lui voue dépasse la rationalité scientifique. Il déborde sur ses intuitions cosmiques. Son dieu à elle n’est ni le produit d’un anthropomorphisme naïf[23] ni celui de la religion. Il est intime conviction, énergies, puissances occultes. Elle cherche, comme le dit si bien sa sœur Jacqueline, à humaniser le cosmos par l’opération de son amour[24]. C’est la puissance de ses sentiments qui lui ont permis d’avoir un contact avec son chat Paname peu de temps après sa mort. Elle dit « Je crois aux forces de la nature et à la magie[25] ». Et cette expérience avec l’au-delà est d’autant plus touchante qu’elle s’en étonne elle-même, parce qu’elle est unique et qu’elle a lieu avec un animal. « …comment un amour trans-espèce aussi intense a-t-il pu exister ?!!![26] ». Elle cite Schopenhauer qui dit que « l’animal est éternel retour du même[27] » et voit dans son chat Paname la réincarnation de son oiseau mort[28].
Le rejet du monde réel auquel, dit-elle, elle ne s’intéresse pas, est le rejet de la mort[29]. Son œuvre n’est qu’émotion et traduction d’une grâce qui transcende le réel. Est-il besoin de savoir si la puissance de ses affects a engendré sa maladie psychique ou si la psychose décuple sa fantasmagorie ? Elle puise son art dans un matériau qui lui est consubstantiel et consacre sa vie à « mettre en scène le beau jusqu’au seuil de sa propre mort », dit-elle en paraphrasant Kundera[30]. C’est pourquoi elle refuse, ajoute-t-elle, d’être dans la mystification de la poésie qui pourrait-être sociale et politique[31]. En tant que poète, sa fonction n’est pas hugolienne, elle n’est pas d’alerter ou de changer le monde ni de produire un art engagé[32]. C’est de se sauver elle-même en produisant du beau. Pas nécessairement le beau formel, objectif : « Je ne suis pas mallarméenne[33] ». Mais l’art pour crier quelque chose[34]. Crier pour être aimée : « …car ce sont eux qui me sauvent de ma folie. Il suffit d’un seul lecteur pour être sauvée[35]. » D’où la nécessité de réinventer le monde.
« Toute création est reformulation. Ça fait longtemps que je vis dans ma légende personnelle. N’avoir pas de récit de sa propre histoire, c’est ça être fou. Mieux vaut un récit mensonger que pas de récit du tout[36] ».
Je est un autre
Cette reformulation du monde, voire cette réformation suppose deux préoccupations chez Catherine Andrieu. La question qui se pose à elle est de savoir situer son moi, soit comme identité ontologique, soit comme identité politique. Le « Je est un autre » qu’évoque Arthur Rimbaud dans sa lettre à Paul Demeny le 15 mai 1871 et qui sourd en permanence des écrits de Catherine Andrieu, s’apparente plus à la philosophie de Nietzsche qu’au cartésianisme. Le cogito de Descartes « Je pense donc je suis », n’écarte pas le doute relatif à la fiabilité de ses pensées qui l’étreint mais constitue avec certitude le fondement de l’être qui suppose précisément une maitrise de ses pensées et de ses responsabilités. Chez Nietzsche comme chez Rimbaud cette maitrise est altérée par l’empire des pulsions à l’origine d’une multiplicité identitaire c’est-à-dire à une absence d’identité, celle-ci se caractérisant précisément par « la qualité de ce qui est le même[37] ». « J’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute[38]… ».
… c’est éveillée que je fais mes rêves et mes cauchemars, c’est là ma folie. « Je est un autre[39] ».
C’est ce déplacement permanent du moi qui nourrit la poésie de Catherine Andrieu. Elle dit : « Je suis guidée par une « logique » d’abolition des principes d’identité et de contradiction[40] ». Son onirisme, sa fantasmagorie sont issus non pas « d’un esprit dérangé[41] » mais d’un véritable travail qui marque une volonté de puissance issue d’ajustements permanents dans la création. Même si son corps est sédentaire, nostalgique de Collioure et de la maison bateau[42], son esprit n’est pas installé. Elle est devenir. Malgré des études de philosophie et un travail difficile d’accès sur Spinoza[43], Catherine Andrieu se refuse à être une intellectuelle. C’est l’émotion qui conduit son œuvre. Mais l’émotion dit-elle est ce qui nous met en mouvement. « Le vivant, c’est l’ému[44] ». Et l’ému c’est « cette faculté d’adaptation et de survie de l’organisme vivant » selon la définition qu’elle donne de Charles Darwin[45].
Cette distanciation d’avec elle-même s’apparente à celle qu’elle a du monde dont elle crève car il lui fait peur. Et plutôt que d’être absorbée par lui, elle préfère être Dieu c’est-à-dire celui qui l’englobe et l’observe. Être Dieu, c’est inventer sa vie, c’est créer une réalité alternative[46]. Ecrire, c’est s’asseoir à côté de soi, être un personnage et regarder vivre l’autre soi-même[47].
Ainsi, Catherine Andrieu devient démiurge d’elle-même. Elle développe une esthétique de soi. Est-elle finalement si loin de la fonction hugolienne du poète ? Elle nie sa fonction sociale puisque le monde l’ennuie. Mais si elle s’exclut du réel, elle revendique sa fonction mythologique comme didactique esthétisante de l’inconnaissable. Elle reconnait son but cathartique : exilée de la société, marginale mais catalyseur de consciences[48]. Elle est un « médium qui communique avec les Esprits de la nature, des animaux, des défunts[49]… ». Elle est « un passeur entre les mondes[50] ». Elle a la capacité de l’enfant : elle est rétive « aux exigences de la vie matérielle[51] ».
Art, esthétique de soi
Catherine Andrieu construit sa légende personnelle[52]. Tout le champ lexical de son travail tourne autour de la scène. Elle est à la fois metteuse en scène[53], décoratrice[54] spectatrice de sa vie[55], tragédienne[56], comédienne[57], auteure d’autofiction[58], mystificatrice[59], théoricienne de la représentation lorsqu’elle dit qu’une fiction peut-être plus juste qu’un documentaire[60]. Elle est maquillée et maquilleuse. Belle comme une actrice. Gonflée d’égo et de narcissisme. « J’attendais Dieu. Je croyais en moi, en cette partie du corps qui me serait révélée tôt ou tard. C’est cette attente que j’appelais mon narcissisme, ma seule foi[61] ». Lorsqu’elle décrit « Le nu de dos au lys sur fond Outremer[62] » du peintre Anora Borra, on dirait qu’elle parle d’elle dans son ancienne beauté charnelle dont le traitement de sa maladie psychique dégradera la perfection. La déchéance du corps laisse une réalité alternative substituant la mascarade à l’éclat, le maniérisme au réalisme, puissant vecteur de vérité. Comme dans le travail d’Otto Dix[63], le peintre révèle cette émouvante vérité, une beauté magnifiée par l’histoire du corps qui s’oppose à la lisseur des images conventionnelles et policées[64]. « Et n’est-ce pas là justement le travail du peintre, perfectionniste et déçu par le réel, de proposer une réalité alternative, celle de la sublimation par l’Art ?[65] ». Catherine Andrieu n’est, ontologiquement, que par l’art. Elle crée. Elle est sa création. Elle est aussi la fille de l’amour[66], de celui, professeur de piano, qui l’a « aimée laide /Et malade, lorsque tout le monde et les sourires gênés. /C’est dans mon amour pour toi que s’origine ma création[67] ». L’univers recomposé de Catherine Andrieu est un univers de papier[68], matériau évoquant à la fois l’univers graphique protéiforme de l’artiste, un certain détachement non dénué d’humour mais aussi la fragilité, la précarité, la non permanence de son identité. Elle est aussi iridescente qu’une bulle. Elle est Bulle dans « Ce monde m’étonne[69] ». Et la candeur qu’elle arbore dans cette mise en scène continue de sa vie n’est qu’une « forme de technique qu’elle a dû développer et qui pourtant la dépasse[70] ».
« Les personnages font ce qu’ils veulent, le cliquetis des touches d’ordinateur devient leur battement de cœur. Pourrait-on imaginer, dans ce monde de papier, un être réel dont le cœur battrait tout seul et qui vivrait ainsi dans un monde illusoire, avec un chat en papier, un amour en papier, un attentat en papier ? Cet être s’y serait réfugié à cause d’une réalité trop douloureuse… Enfin, à ce qu’il me semble… Ce ne serait pas si grave un suicide en papier[71] ! »
Comme dans un théâtre de marionnettes, il y a dichotomie entre le corps et l‘intellect. Catherine Andrieu est objet. Elle s’objective. Dans cette mise en scène, elle est objectivée, corps brisé, souillé, violé[72]. « Son corps m’inspire, c’est le metteur en scène qui parle » dit-elle en parlant de l’autre, Bulle[73]. Elle a offert un rôle à son corps qui joue, qui rit, qui danse, à ce corps dont les marques sont celles « du douloureux effacement d’une histoire dont on doit pressentir, sans le savoir, qu’elle est celle d’une déchéance radicale[74] ». Ce corps là, est bien le corps Nietzschéen en proie à une multitude de forces plurielles que Freud nomme les pulsions. Eh bien Catherine Andrieu a donné des mots à ce corps et Bulle, son corps à Catherine Andrieu.
« Je respire cette femme, j’ai l’odeur de son sang quand elle égorge les monstres qu’elle enfante l’hiver sur les plages désertes et qu’elle les enfouit dans le sable, blottie contre son oubli. Je n’ai pas le temps, entendez-moi bien, de dire la pureté de Bulle lorsque leurs squelettes minuscules craquent sous ses dents aiguisées aux reflets de la lune[75] ».
De ce corps, elle a rêvé l’enfantement dans le giron d’un amour conventionnel. Mais menaçant d’un couteau le jeune homme qui saute par la fenêtre, elle tue son rêve et l’enfant, réalise qu’une histoire avec Luc n’est qu’une histoire de cul, ouvre le ventre du chat et, en y cherchant Dieu, elle ne découvre qu’un god[76]…
Image drôle nonobstant sa crudité, la déception est sa vie et la Nature, le souffle qui lui permet de respirer. Catherine Andrieu ne s’intéresse pas au monde ? Mais de quel monde parle-t-on ? De celui de la démesure qu’impuissante à châtier elle ignore désormais. Et quid du théâtre de la Nature, panthéon de ses amis, chats et oiseaux qui le peuplent, ainsi les étoiles qui sont les anges de son paganisme. Cherche-t-elle comme Jean Giono « Les vraies richesses » ? Son pécule n’est que pecus. Elle est déesse parmi les dieux.
« Je boirai au calice de la Nature et de sa Mémoire j’irai chercher
Sur ta langue le goût de l’Autre dans le sable emporté par le vent
Et la Lumière[77]… »
Gustave Adolf Mossa "Elle" Huile sur toile 1905 Musée des Beaux-Arts Jules Cheret Nice
[1] Matthieu Chenal, « Jankélévitch et la musique » Arkhai.com « La musique est victime d’un rapprochement abusif avec le langage. On la considère comme un langage pouvant exprimer quelque chose. Or la musique ne produisant que des sons ne peut exprimer d’idées, elle n’est pas “ porteuse d’un sens préexistant à son exécution ”
[2] André Suares in « Jankélévitch et la musique » : “ le pouvoir de la musique tient beaucoup à ce qu’elle a d’indéterminé, d’insaisissable et de si intime que chacun le transpose dans le ton et la couleur de son propre sentiment.
[3] Catherine Andrieu « Des nouvelles du Minotaure » chez Rafael de Surtis 2019 page 125.
[4] Ibid. page 29.
[5] Catherine Andrieu « Des nouvelles de Léda » chez Rafael de Surtis 2024 page 197.
[6] Ibid. « Des nouvelles du Minotaure » p 121 postface de Paul Sanda.
[7] Ibid. « Des nouvelles de Léda » page 26.
[8] Ibid. page 120.
[9] Ibid. page 16.
[10] Ibid. « Des nouvelles de Léda » page 209.
[11] Catherine Andrieu « Nouvelles lunes » aux Editions du Petit Pavé 2014 page 19.
[12] Gustave Adolf Mossa (1883 – 1971) est un peintre symboliste, expressionniste niçois. Il exprime, notamment dans une œuvre de 1905 intitulée « Elle », une « femme monstrueuse de violence et de cruauté. Elle apparaît monumentale et hiératique dans une nudité agressive, sorte de poupée d’amour extrêmement féminine et pulpeuse, la peau blanche avec des énormes seins globulaires, suggérant avec une grande puissance plastique à la fois le désir et la mort ». bit.ly/3z2jrSU
[13] Ibid. « Des nouvelles de Léda » page 83.
[14] Ibid. page 237.
[15] Ibid. page 28.
[16] Ibid. page 21.
[17] Ibid. page 16.
[18] Ibid. page 25.
[19] Catherine Andrieu « Piano sur l’eau » page 45 chez Rafael de Surtis 2021.
[20] Ibid. page 26.
[21] Ibid. Sur Hawking, voir aussi « Piano sur l’eau » page 37.
[22] Ibid. « Des nouvelles de Léda » page 223. Sur la question de l’intelligence et de la séduction-soumission voir aussi les pages 17, 81, 89, 93, 95, 99, 101.
[23] Ibid. page 225.
[24] Ibid. page 235.
[25] Ibid. page 203.
[26] Ibid. page 238.
[27] Ibid.
[28] Ibid.
[29] Ibid. page 225.
[30] Ibid. page 194.
[31] Ibid. page 195
[32] Ibid.
[33] Ibid. page 233.
[34] Ibid.
[35] Ibid. page 195.
[36] Ibid. page 235.
[37] Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.
[38] Arthur Rimbaud, Lettre à Demuy.
[39] Ibid. page 212.
[40] Ibid. page 200
[41] Ibid.
[42] Jacqueline Andrieu, dans la préface de « J’ai commencé à dessiner des anges » appelle sa sœur « La voyageuse immobile ». Aux Editions Rafael de Surtis, 2020.
[43] Catherine Andrieu « De l’éternité du mode fini dans l’Ethique de Spinoza » chez L’Harmattan 2009.
[44] Ibid. page 205.
[45] Ibid.
[46] Ibid. pages 200, 210.
[47] Ibid. page 209.
[48] Ibid. page 199.
[49] Ibid. page 212.
[50] Ibid. page 213.
[51] Ibid. page 215.
[52] Ibid. page 207.
[53] Ibid. « Des nouvelles du Minotaure » pages11, 16.
[54] Ibid. page 13.
[55] Ibid. page 11.
[56] Ibid. « Des nouvelles de Léda » page 194.
[57] Catherine Andrieu, « Le cliquetis des mats » chez Rafael de Surtis, 2023, page 34.
[58] Ibid. page 235.
[59] Ibid.
[60] Ibid. page 236.
[61] Ibid. « Des nouvelles du Minotaure » page 12.
[62] Ibid. « Des nouvelles de Léda » page 183.
[63] Otto Dix est un peintre allemand expressionniste 1891 – 1969.
[64] Ibid. page 172.
[65] Ibid. page 183.
[66] Le mot amour dans l’œuvre de Catherine Andrieu figure à la première place des occurrences lexicales avec plus de 13%.
[67] Ibid. « Le cliquetis des mats », page 15.
[68] Ibid. page 236.
[69] Ibid. « Des nouvelles du Minotaure » page 11 à 21.
[70] Ibid. page 17.
[71] « Ibid. « J’ai commencé à dessiné des anges » quatrième de couverture.
[72] Ibid. « Des nouvelles de Léda » page 20.
[73] Ibid. page 19.
[74] Ibid. page 17.
[75] Ibid. page 15 et 16.
[76] Ibid. page 21.
[77] Catherine Andrieu, « Le cliquetis des mats » page 14.