Jean-François Roth est né en 1956. Il est actuellement à la retraite. Il partage son temps entre le Tarn où il possède une maison et l'Océan indien où il se réfugie en hiver. Il a connu Madagascar alors qu’il était un enfant. Son père, militaire, y travaillait comme électricien. Beaucoup plus tard, après avoir pas mal voyagé et étudié l'arabe, il a obtenu un poste dans un lycée, à Mayotte. Île à laquelle il est resté fidèle.
Il a publié Galerie des illustres aux éditions la ligne d’ombre, et Pacage et autres cailloux au Chat noir éditeur.
Journal du cyclone Chido
aux disparus, que leur ombre reste vive
Jour zéro
Je me souviens encore de ce temps d’innocence
Matin d’hirondelles et de libellules
gloire des sauterelles aux cervelles nulles
des oiseaux ravissants aux lisières exultent
gavés de musiques et de jujubes
Sur la terre rouge et grasse
les vertueuses courges déploient
leurs vrilles virides mais lasses
où j’écrivais de ces vers j’menfoutistes.
Je composerai un poème de ciel et de terre
sur une planche de palissandre
Une colonne de corail perdra son faite
dans le brouillard de mes négligences
Puis je m’en laverai les mains
comme la mouche après la pluie.
Pourtant et sans forfanterie j’osais
Mes années passées sont filles qui se déhanchent
à cause des orties qui fouettent leurs jambes.
Par orties je signifiais cachots – périls en mer – chutes et rechutes – humiliations – blessures –
séismes – incendies – soif dans les déserts – désastreuses aventures – mais mon heaume et mon
armure
C’est pourquoi lorsque j’entendis à neuf heures la radio diffuser son bulletin météorologique je
couchais ce tercet parfaitement puéril
Il agite le cyclone
la jupe
du cocotier et sa jambe
Quand brusquement une griffe tombée du ciel
A la fenêtre des palmes
hirsutes
terrifiantes chevelures
suivie d’un horrible raffut.
Sa jupe envolée –sa jambe
brisée
laideur obscène de l’arbre
Bientôt
Les murs en briques qui vibrent
la pluie
mais est-ce encore la pluie
j’ai peur.
Contre la porte arc-bouté
un
vent
Et ce n’est pas le diable qui est au piano
(avec cette musique aucun pacte possible)
mais un enfant de quatre ans qui brise son jeu
féroce avec la toute puissance d’un dieu
Je tremble de nouveau.
Au sortir de l’œil le vent
forcit
encore – et l’épuisement
De l’école une tôle
une autre
enfin le toit qui s’envole
Ici
nos bangas sont des origamis
et le quartier un puzzle à trois dimensions
réduit à deux –écrabouillé
La couverture forestière est épilée
de même notre grand kapokier
Plus de fruits ni de feuilles
Revenus de leur enfer j’ai vu de pitoyables yeux.
Visite de lémuriens
errants
pour eux mon dernier fruit mûr
Jour plus 1
Je me souviens qu’il est des pihis
oiseaux d’une aile ils voyagent par couples
si j’en crois Guillaume Apollinaire
Ici les pihis saignent et mâchent la terre
Avec les culs-de-jatte et les manchots
ils se désaltèrent de la bave des escargots
Le pouvoir a ses tireurs d’élite
Ils placent dans leurs viseurs les paralytiques
Il y aurait deux mille morts jetés dans des fosses communes du côté de Kaweni
dans les bidonvilles des orgies de sang
Tout se dit
Au cœur du désastre on ne sait rien
Tout est possible
Rien ne fonctionne
Rien n’a été prévu
Dans la réserve sanitaire pour les sinistrés
237 petites bouteilles d’eau et rien à manger
Mon amante est je ne sais où
peut-être du côté de Mamudzu
Mamudz’où?
Nulle part on se trouve quelque part
Des tas de détritus bloquent les rues
savates câbles branches brisées cartons électro-ménager draps souillés
laine de roche en charpie plâtre restes incertains de meubles désarticulés
Le cyclone ignore le tri sélectif
On peine à trouver un anxiolytique
Autour du puits aux vaches pour une eau stagnante
munies de seaux des femmes tour à tour patientent
Serait-ce elle qui m’inspira un certain jour d’autrefois
De tête elle est nue
de cœur bariolée
Qu’elle monte un chignon
c’est le monde assemblé
De tête elle est nue
comme elle pousse à rêver
Cauchemars tourments de la faim et pleurs passent la barrière de la nuit.
Regardant le ciel limpide
Tant de grillons sous la lune
et elle
la lune toujours entière
Bientôt viendront les pontes bien chaussés
pour des selfies avec des visages maquillés
des sourires gorgés de larmes rentrées
et des pieds nus
"Ci-gît la France merde"
Reviennent le soleil de Pâques
mes prés mes amours négligées
Renaisse en un ruisseau mon Tarn
pour mon désir y abreuver
je tourne cette supplique en caressant
Un caméléon vert –ses yeux de porte-mondes.
Kahani, un mois plus tard
Je soigne à présent cinq makis
Ils étaient sept auparavant
puis six Mais je n’ai plus de pommes
Je leur donne des raisins secs.
Ils trouvent refuge où ils peuvent
surtout pas au sol Les enfants
quand ils coincent un estropié
lui font un triste sort Foussia !
C’est dire en mahorais fumier
Je ne mange plus que du cassoulet en boite – nourriture méprisée par les musulmans. Dans le
Douka Be du village hormis l’alcool on ne trouve plus rien.
La Faim et la Misère rodent sans relâche
C'est l'amie Mariama – tel est son nom d’usage
trois enfants à nourrir et toujours pas de riz.
Dans son congélateur reste un pied de zébu
Ah Mayotte Mayotte à qui t’es-tu vendue
Le groupe alpha 25 de la gendarmerie
le même qui œuvra pour mater les kanaks
se déploie au village avec engins blindés
Des clandestins des pauvres il mène la traque
Mieux vaut se cacher que circuler sans papiers
Menottes et rangers mais toujours pas de riz
Les Malgaches que je fréquente
(Faux ongles verts faux cheveux
faux cils
mes amies baudelairiennes)
ont un bar pour vendre la bière
mais sont résolument abstèmes
De leur terrasse j’ai vu hier
le neuf janvier par conséquent
seule grave et même très fière
(D’une épingle rapiécée
peau sombre
sous sa robe usée – gamine)
Béatrice neuf ans et rien de Florentine
Mais qui lui offrira
qui sa Vita nova
Parfois je vais pour me baigner
à Sakouli la renommée
J’y ai connu la joie d’amour
qui m’est propre Elle est sans objet
un oui qui vient de vivre ici
les baobabs au loin une île
(Quand l’âme aime elle s’anime
Kahani décembre 2024 janvier 2025