Aux glaciers des siècles de bravoure
je rends l’hommage qu’on rend aux mourants
une visite émue à ce qui fut
mon pays de légendes
sauvage et triomphant
d’un inaccessible tourment
aux mille ventres d’effroi
aux passages d’insolence
et cette robe blanche
bien avant fêtes
revêtue
Au regard que je porte sur les lauzes des masures
s’éclairant lentement des rayons qui sautent la muraille
tout en profondeur
me reviennent les manières qu’avait Charles Ferdinand Ramuz
d’envelopper êtres
vie et violence de notre terre
dans des écrits rugueux et ciselés
Ainsi la montagne chut
Ainsi le soleil disparut
Ainsi la glace se rompit
Ainsi la terre grilla
et nous étions de cette grande terreur
humains revenus ou revenants
figés et immuables mortels
Aux êtres portés par une discrète sagesse
de démêler croyances et prétentions
quérir dans ce chaos une once de lucidité
et se réinventer
Photographie Jean-Marc Feldman
On dit que tout là-haut
des lois de la physique
l'air s'émancipe
que les pupilles font entrer
plus de matière qu’à l’ordinaire
que l'ombre des pas
devance la silhouette
On dit
et les paroles au vent s'agrippent
et le silence suffit à la conversation
On poursuit les indices d’une énigme
celle d'un liseré de roches
qui fut point de mire
d’une hauteur indéchiffrable
Et nos vagabondages
se résument à reprendre le fil
à transformer le plus haut en plus bas
à métamorphoser le regard qu’on porte
sur une formidable éruption
à réinventer la géométrie
et communier enfin avec un dieu visible
pour s’offrir sans bagage
Rapporter cette poussière de lumière
et d'immortel
redevenir mortel
Photographie Jean-Marc Feldman
Vient la nuit
et me voici comme au premier âge
fils du vent et de la voie lactée
Pour couche
un tapis d’herbe rase et sèche
Des roches qui bercent mon repos
une sourde et puissante pulsation
mon sang à l’unisson
tambours du corps
rythme entêtant dans le profond silence
et le trouble qui saisit
Suis-je éveillé
ou sombrant entre deux eaux
lourd et léger à la fois
yeux grand ouverts derrière les paupières baissées
pénétrant la mémoire de toute chose
cherchant le salut dans l’expiration
moi Homme nomade déposé cette nuit
au cœur du minéral
qui interroge des allégories de l’Alpe
ma divine providence
sous l’éclat des galaxies
Photographie Jean-Marc Feldman
Chemin de Sud
chemin de folie
ruisselle ce qui fait corps
si tôt le soleil
la braise
Chemin de folie le monde
ses nœuds
ses pantomimes sidérantes
et nos arrangements bancals
Que sont mes pas qui si peu touchent terre
et mon corps
entre gravité et apesanteur
Je m’élève aimant
intentions sans lendemain
promontoire après promontoire
l’altitude m’absorbant
La pente m’accompagne
s’élève de concert
s’étire
laissant entrevoir des failles
vilenies
coupe-jarret
narrations secrètes
Où suis-je dans l’instant
unique et multiple à la fois
projeté
dans le val profond
à mi-chemin sorti du bois
sur la lèvre d’une eau turquoise
ou déjà dressé sur le piton sommital
tout à la fois rompant du temps
sa sagesse linéaire
et fléchissant l’espace
Ma semelle divague
convoque mille et une traces
autant de montagnes ascendances
Dans un coulis de gneiss
l’herbe se disloque
Barrières osseuses
lames coupantes
ardoises se libérant de toute politesse
Je me glisse dans ce corps souffle court
tâtant les bords d’une main malhabile
De toute cette hauteur nouvelle
se confondent toutes heures
passées et futures
en l’instant
Photographie Jean-Marc Feldman
Et me voici sur la tour de guet
aux effleurements
à l’herbe miséreuse
aux pinsons aux mésanges aux rouges-queues livré
à l’orée du jour
éclairée
enchantée et volubile
Je m’attarde
balayant du regard
l’éveil des vigueurs
coucous et violettes hérissées
spectateur indolent d’une mélodie
jamais saisie à temps
A peine l’oreille et la rétine
Est-ce les timbres
le son suspendu d’un carillon
ni aubades ni œillades
C’est un vent de printemps
qui rabote
soumet l’altérité
calibre l’aspiration
A peine l’ouïe et la vue
Aurais-je trop longtemps fermé la fenêtre
dormeur aux trous béants
narcisse en son miroir
En aurais-je oublié
du céanothe rampant et de l’aubriète
des racines des acanthes et des anémones
l’insistance
la chaleur du roc
la résilience vaincue
Le sienne se couvre l’audace juvénile
la maladresse d’un sol
aux rigueurs soumis
écorche la tristesse
Des entrailles du monde
persiste la rage d’un magma en sourdine
et au courbe des reins
il me faut puiser
pour reprendre en chemin
la pierre que je roulais
Et au creux du ventre
attiser le lit de braises
pour de la fouille dans la houle froissée
trouver matière à renaître
Photographie Jean-Marc Feldman
Un ciel d’argile embrasse le crépuscule
Nuée de terre qu’agite l’horizon
Résistent à la cuisson d’Ouest
au ciel qui s’obscurcit
les faces blanchies et résolues
sentinelles d’une saison racornie
sœurs siamoises
pics scellés dans la mémoire des êtres
Ce sont années de neiges aléatoires
celles de l’accomplissement des temps modernes
quand la marche de l’Homme
fracasse raisons comme saisons
rend friable la matrice
efface ce qu’on croyait inscrit
Voici la grande nuit sans lune
intense et tragédienne
Nous nous y enfouissons
Nos rêves sont abrupts
cousus de fil blanc
et aux chants véhéments
d’oiseaux si tôt rentrés
nous nous éveillons
groggy dubitatifs
Quels lendemains ma mie
rêver les yeux ouverts
pour se rassurer
porter notre semence
quand se pavanent
dans les langues feutrées
fourbes et menteurs
impostures que seule la rue dénoue
Quels lendemains ma mie
boucle rompue
et fugues indociles
Photographie Jean-Marc Feldman
J’ai frotté mon museau aux semonces des songes
C’est ainsi
quand des visages
on s’absente trop longtemps
on cause chiffon avec le minéral
Il y a tant à raconter
pour s’éviter les pires
pirates et seigneurs de guerre
On délie des narrations de sciures
de bois secs
paroles d’anges ou d’absents
On interroge
le destin les insectes en hiver
cette flamme malhabile les matins de gel
la valeur d’une chimère
Je me balance d’un pied sur l’autre
pour me nourrir d’un semblant de chaleur
hoche du menton
parce qu’il faut bien donner le change
Et puis
c’est fou les cheveux tirés courts du jour
et les rideaux si vite
sur les papillons survivants
clos
Je range à la hâte ce que le froid torture
Bol chaud pour raviver le sang
et s’enquillent dans les doigts
des volées d’insectes
Maisons du silence
repliées en quatre
en deux
en solo
seule la face noire
à peine visible
quand on remonte la route du Col
Est-ce ainsi que l’hiver nous rend à la poussière
On entendrait les cordes
une sonate de Ludwig
Il y en a tant
Photographie Jean-Marc Feldman
Au revers des portes
l’inquiétude
et de notre fortune l’ubac
Par précaution
nous arrachons
aux lueurs des lunes pleines
plus de lumière que nécessaire
Balayer les miettes d’ondes
les cauchemars des pauvres gens
leur faire prendre l’air
pour du futur
conjurer le sort
Aborder la pente
de celles qui nous préparent au rugueux
le souffle sifflant des poumons d’automne
la faiblesse de l’être
qu’on mettra sur le compte
des froidures du matin
Et accorder notre flux au Flux
notre pouls au Pouls
Photographie Jean-Marc Feldman
Te souviens-tu des matins et des soirs
Nous regardions le grand frêne
Celui qui apparut au secret de l’an
imprécis et né du hasard des vents
à présent charnu
d’entrelacs exultant
bleu à l’aurore
orangé au couchant
Te souviens-tu de ce presque demi-siècle
qu’il nous montre du doigt
effeuillant notre existence ici-là
lissant les paumes du champ d’en face
pour assoir tout à fait sa présence
et la grande montagne
lui faisant place de choix
par derrière la fenêtre
Photographie Jean-Marc Feldman
Tout revêt un semblant de chamade
Entre abandon et assouvissement
les nuées hésitent
A l’éclaircie qui insiste
aux errances singulières
le portail s’ouvre
D’un bouquet de fleurs de pissenlits
elle habille cet instant
Élégance du pas qui sillonne la piste
et en lisière du vide
chaloupe
quand du fond et du fleuve
remontent assourdis les flonflons d’une vogue
Paillettes assoupies au bout du bras
qui maintient sur le fût couché
d’un hêtre
l’équilibre du pas
Et toujours intègre la mue d’une fleur
lorsque d’un élan
le pas traverse de pierre en pierre l’onde
Et la voici soudain immobile et songeuse
à pleine goulée aspirant la nature
avec dans le regard
l’esquisse d’une espièglerie
Je m’en remets alors
au prompt zéphyr
au vol éphémère des parachutes fruités
et dans son regard d’enfant
la jubilation