Les « Mémoires d’un Canardier » ont été publiées en 1925 dans le journal de la corporation des canardiers : « Le journal des dépositaires de journaux ». L’auteur de ces mémoires est Romain ROSTAGNAT. C’est mon grand-père que je n’ai pas connu. Il est né en 1883 et il est mort en 1947 à 64 ans alors que mon père n’en avait que 23. Il raconte, du boulangisme jusqu’au début des années 1920, sa vie « dans le papier ». Elle débute à Paris comme crieur de journaux dans les années 1890 et se termine comme inspecteur principal du « plus fort tirage des journaux du monde entier », le Petit Parisien, en 1922, où il fait pratiquement toute sa carrière. L’affaire criminelle Bompard, l’alliance Franco Russe, l’affaire Dreyfus, l’affaire Brierre, la guerre de 14 et la crise des années 1920 émaillent ce récit d’une carrière toute dévouée à la presse d’un autodidacte, grand voyageur, épris de liberté, créatif et tragiquement marqué par le destin.
Je ne suis pas un enfant de la balle : parmi mes parents les plus éloignés, il n'en a jamais existé aucun qui, de près ou de loin, ait appartenu à la corporation du papier. Je suis né eu pleine brousse dans un patelin de 3.000 habitants où l'on ne vendait pas cent canards par jour à l'époque où je vis le monde.
Et cependant, dès mon plus jeune âge, j'avais une prédilection marquée pour le papier imprimé. Avant de savoir lire, je trouvais le moyen de chiper à mes parents l'hebdomadaire local qui faisait leurs délices et de confectionner soit un chapeau de gendarme, soit des petits bateaux, soit même des petites cocottes en papier (comme dans la chanson).
Ces exploits m'ont valu maintes fessées, mais ne me corrigeaient pas. Mon entrée à l'école, on j'avais à gâcher du papier à discrétion, permit à l'hebdomadaire du patelin de rester sur le bureau de mon pète ce qui valait mieux que de finir dans la corbeille aux vieux papiers.
A 11 ans, je passais mon certificat d'étude avec la note « très bien ». J'adorais la lecture, mais les seuls volumes que je pouvais me procurer étaient « La Veillée des Chaumières (reliée) et « L'Ouvrier », lectures éminemment pieuses, mais qui ne convenaient pas à mon goût du roman d'aventures et de voyages.
Un jour, le fils du boulanger me dit en secret qu'il avait trouvé-dans le grenier de son père un grand livre où il y avait des histoires magnifiques. Il me promit de me les montrer à condition que je vienne le lire en cachette chez lui. Il ne fallait pas songer à l'emporter, le volume était lourd. C'était en effet une année complète reliée du journal La Petite Presse des années 1868-1869 et donnant en feuilleton « Les Aventures de Rocambole » par Ponson du Terrail.
Je ne saurais exprimer la joie que j'ai éprouvée en mettant le nez pour la première fois dans ces histoires rocambolesques…