Coronachronique N° 41 (7/5/2020)
Texte et dessins d’Emma Brouillet
Au début du confinement je suis entrée dans un vortex peuplé de créatures familières et bienveillantes avec lesquelles je communiquais par ondes électromagnétiques.
J'y ai aussi croisé d'étranges volutes poétiques sorties de mon imaginaire fécond. J'ai navigué entre réalité et fabulation.
Il a fallu lutter contre mes gorgones intimes, se battre contre l'invisible. Et pour se faire, fixer un cadre et s'y tenir. Que celui ci fut d'un tableau ou d'un emploi du temps.
Manger à heure fixe, essayer de dormir, travailler, sans oublier d'ouvrir sa fenêtre, de regarder vers l'horizon, tendre l'oreille au moindre murmure de la ville interdite.
Je quitte cette vie suspendue toute interrogative, emportant avec moi de drôles de sensations sur lesquelles il faudra revenir.
Pour l'heure j'ai envie de courir, de marcher pieds nus dans l'eau, envie que le vent me décoiffe, de serrer dans mes bras mes vivants.
Textes de Charles Baudelaire, Pierre de Ronsard, René Char.
Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,
Ma langue sinon vous ne sait autre langage,
Si je souhaite rien vous êtes mon souhait,
Et seulement en vous tout mon rond se parfait.
Il cherche son pareil dans le vœu des regards.
L’espace qu’il parcourt est ma fidélité. (…)
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse.
A son insu, ma solitude est son trésor.
Dans le grand méridien où s’inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Coronachronique N°33 (27/4/2020)
Emma BROUILLET
C'est quoi un confinement ? Je suis née avant ou pendant ? Et c'était quoi mon métier d'avant ? Ah parce ce que j'ai pas toujours fait ça ? Ah bon ! J'aime bien pourtant.
Lever, lavage de dents puis direction cuisine, thé et tartines, parfois de la confiture mais pas tant ! Ouvrir en grand les fenêtres pour respirer le vent face à la colline comme à la proue d'un navire filant... tailler les crayons, non ! M'habiller avant... puis ranger les gommes dans le frigo, en sortir les feuilles de canson, Non ! Non ! > Je reprends.
Eliminer les traces du vivant sur la table de cuisine, ranger tout bien dedans le frigo le beurre mais pas le miel.
Aligner face à moi livres de poèmes, tailler les crayons, aligner règle , tubes de colle et ciseaux… et puis chercher l'inspiration écoutant la radio, sauter le repas de midi, ne plus répondre au téléphone...il est déjà minuit...et je suis qui ? Et on est quand ?
Textes de Jules Supervielle, de Jean Genet et de Christiane Singer
Ce qu’il faut de nuit au dessus des arbres
Ce qu’il faut de fruits aux tables de marbre
Ce qu’il faut d’obscur pour que le sans batte
Ce qu’il faut de pur au cœur écarlate
Ce qu’il faut de jour sur la plage blanche
Ce qu’il faut d’amour au fond du silence
Et l’âme sans gloire qui demande à boire…
Je roule sous la mer et ta vague au-dessus
Travaille ses essieux tordus par tes orages
Pourtant j’irai très loin car le ciel à l’ouvrage
Du fil de l’horizon dans un drap m’a cousu.
Mon voyage s’est transformé au fil des lignes, en simple errance (…)
Je sais que partout ne m’attend que l’énigme.
Elle seule.
L’espoir d’arriver un jour quelque part où me soit servi le thé du sens ultime m’a quittée.
J’erre sans angoisse, pire encore sans déplaisir.
Je n’ai même plus honte de balbutier.
Ni de n’avoir pas raison.
Coronachronique N° 27 20/4/2020
Le petit train des mots d’Emma BROUILLET
Les mots ne se composent pas seulement de sons et de lettres assemblées, ils sont comme des petites portes qui s’ouvrent sur l’imaginaire. Et les phrases me direz- vous ? Elles ne se composent pas seulement d’une suite de vocables alignés les uns à coté des autres qui le plus souvent donnent sens et cohérence.
Prenez la poésie, elle ne tient compte ni des lettres, ni des sons, ni des mots, ni des alignements. La poésie c’est la langue qui vagabonde, le mot qui s’affranchit, l’énoncé libéré qui s’évade, revendiquant sa liberté. Seul le lecteur décide.
Ainsi associer une image à un phrasé poétique c’est de la magie pure, presque un miracle. Un vers, un alexandrin, une strophe s’accroche à mon imaginaire et comme par enchantement l’image vient et s’impose. Parfois l’association est incongrue mais qu’importe, c’est le tracé, le voyage qui compte. Aller loin, le plus loin possible, le poème devient bateau m’embarquant vers le grand large pour fêter les épousailles flamboyantes de la plume et du dessin.
Textes d’Arthur Rimbaud et d’Ernest Ganay
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Il est parti me regardant et posant
ses doigts sur mes lèvres,
Mais je savais déjà quelles longues
fièvres unissaient sa vie à ma vie
Il est parti en me regardant, et plaçant
Sa main sur son cœur, puis
il a clos les yeux, dès lors, je sais
l'ardeur qui scelle sa vie à ma vie.
Coronachronique N°15 6/4/2020
Confinée : Emma BROUILLET
Confiné : vivre à l’écart sans égard, reclus, isolé, éloigné, écarté. Il va falloir apprendre à intégrer ce nouveau vocabulaire, il va falloir faire avec, ou plutôt faire sans.
Sans les visages et le toucher si doux de ceux que j’aime, sans le regard de l’autre, l’aide à donner et recevoir, sans le partage. Sans les rivages de la mer, sans le vent, sans les odeurs des glycines éphémères, sans le tracé des oiseaux dans le ciel. Il va falloir faire petit, étriqué, faire avec. Avec ce que j’ai à portée de main pour m’évader, sans me laisser prendre par les idées noires, mais chercher les couleurs, trouver du souffle, du mouvement mais sans bouger.
Rester immobile, figée.
Ma table de cuisine sera mon univers, ma galaxie. Mes pinceaux, gommes et crayons, gouaches, aquarelles et pastels mon armée des ombres douces sur le papier Canson. Et mes modèles alors ? Ustensiles, tasses et bols, napperons et serviettes, pots et vases des étagères sans oublier les stickers du frigo.
Un livre de poèmes sera mon inspirant. Extraire du phrasé qui sonne, qui claque, respire et vagabonde. Dessiner de l’ordinaire en y mêlant des mots, et la magie opère. Qui a dit confiné ? Je suis si loin de ma cuisine, je suis dehors, je suis à l’air et libre.
Textes de Paul Eluard et de Evarite Désiré Forges de Parny