La femme brûlée
Un soleil sec, aveuglant.
Un maquis entêtant et le rocher.
Une auto qui s’arrête brutalement.
Un homme crie et sa voix projette à l’extérieur
Une femme en pleurs.
Il redémarre et l’abandonne
Dans un nuage de poussière,
Sous un soleil brûlant.
Comme les traces de la mémoire qui brûlent et éclairent l’intérieur
Pour l’amour d’eux, j’entretiens.
J’entretiens l’âtre. Feu mon père, ma mère
Je surveille la braise pour que le chagrin ne l’éteigne.
Que tous restent vivants
Umi
Sa maison pleine.
Elle m'appelle et elle pleure.
Elle respire et elle souffre.
J'ai peur de l'avoir abandonnée.
Je n'ai pas eu le temps.
Le temps de lui parler, de nous préparer,
De nous séparer.
L'absence est forte.
Elle et son amour.
Je ne peux plus la rejoindre. Le fil est coupé.
Je ne peux plus l'apaiser.
Comment vais-je pouvoir vider sa maison,
Pleine d'elle et de...lui et puis elle sans lui ?
Ma mère va mourir encore une fois.
Ce matin, j'ai vu Minna dans le ciel
Criblée de rayures.
Comme je l'ai vue au Lazaret,
Enfant, face à l'étendue bleue.
Pour la rejoindre, je plonge dans ma nuit.
Je m'enfonce dans les draps, je me perds.
Et là, elle apparait, sans vie.
Antoinette Rabazzani
Les éditions du Sous-sol ont publié la traduction française des deux essais autobiographiques de la romancière, poétesse et dramaturge britannique Deborah Levy. En effet, au milieu des années 2010, la romancière a fait paraître deux ouvrages sur son parcours de femme et d’écrivaine.
L’autrice écrit un premier essai dans sa langue maternelle en 2013 : « Things I Dont Want to Know » (Ce que je ne veux pas savoir). Elle nous fait écho de ses souvenirs d’enfance et d’adolescence liés à l’Afrique du Sud, à l’Apartheid, à un père militant de l’ANC emprisonné et à l’Angleterre comme pays d’adoption.
Après sa vie d’enfant abordée dans le premier ouvrage, Deborah raconte sa destinée d’adulte qui ressemble d’ailleurs à celle de beaucoup d’autres femmes. C’est là le thème du second essai de ce diptyque intitulé « The cost of living » (Le coût de la vie) que Camille Laurens, écrivaine française, compare à un feuilleton littéraire.
D’abord, la narration de cet itinéraire va lui permettre de retrouver des racines et de se réconcilier avec une mère décédée. L’enfant devenu une femme, Deborah a alors cinquante ans, se retrouve seule avec ses deux filles après vingt ans de mariage. Elle troque une vie d’épouse modèle contre celle d’une écrivaine qui a décidé de se reconstruire en élevant sa famille, à la force de sa plume. Son existence qui n’était faite que d’obligations, est devenue un combat pour la liberté. Elle parcourt les rues de Londres sur son vélo électrique puis, ayant gravi cette colline ardue, emblématique du coût de la vie, qui la mène au domicile, elle passe des journées entières à écrire dans un cabanon froid et humide.
Le miracle est que cette femme, malgré sa dépression, va garder tout au long du parcours, son humour, sa fraîcheur et surtout sa dignité. Même en colère, jusque dans ses positions féministes, on retrouve toujours ce sourire.
L’autrice fait de nombreuses références à des écrivaines : Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Charlotte Brontë, Emily Dickinson…
« Peut-être que la féminité, ainsi qu’on me l’avait appris, était arrivée à son terme. La féminité, en tant que personnalité culturelle, n’exprimait plus rien pour moi. Il était évident que la féminité, telle qu’elle était écrite par les hommes et jouée par les femmes, était le fantôme épuisé qui continuait de hanter le début du XXIe siècle. »
Deborah Levy, avec un style d’une grande élégance, aura su nous inspirer et peut être, chez certains, les pousser à s’interroger sur d’éventuels choix de liberté.
Un standard de la féminité au 19èmesiècle : La Castiglione, Gordigiani, 1862.
Coronachronique N°31 (24/4/2020)
Quarantième jour de confinement.
120 804 personnes déclarées atteintes du coronavirus.
1 653 de plus qu’hier.
21 856 personnes décédées (décès en EHPAD inclus).
516 de plus qu’hier.
Le taux de létalité est de 18 %.
Texte et dessin d'Antoinette RABAZZANI
L'état confiné
Remplacer les pas par les mots.
Remplacer l'extérieur par un jardin.
Pas si mal. Bien moins étouffant qu'un 30 mètres carrés sans balcon.
Partager avec l'autre, l'autre que soi, l'alter ego, LUI.
Partager des jours inhabituels, déréglés.
Partager des nuits inhabituelles, perturbées
Des rêves fatigants, émouvants.
Rêver de courir à perdre haleine.
Rêver de prendre ma mère dans mes bras, de lui parler doucement.
Rêver de mes enfants, tout petits.
Des jeux dans des vergers qu'on dévalait à toute vitesse, en plein été.
Parler plus que marcher
Parler plus que jamais à ceux, présents ou absents qu'on chérit.
Parler du passé.
Coronachronique N°24 (16/4/2020)
Chronique du Noir. Dessin et texte Antoinette RABAZZANI
L'encre de Chine glisse sur le papier. Parfois, elle l'effleure à peine, tombe dans l'eau et tourbillonne. Les volutes s'éclaircissent peu à peu comme de la fumée. Je peins.
J'aime aussi faire craquer ma plume fine sur le support granuleux. De minuscules éclaboussures éclatent et s'écrasent autour de mon trait. Comme un soulagement, le porte-plume se vide, se libère.
J'aime mes mains noires. Le choix du noir, mon attachement, est ancien et même culturel. Il m'émeut, me rappelle l'enfance. Une grand-mère vêtue de noir, de la tête aux pieds. Le feutre du grand-père en photo, dans la salle à manger, posant en costume sombre. Une conception familiale et surtout sociale.
C'est vrai que le noir a pu être une couleur sérieuse et triste. Il était question d'absence et surtout d'enfer, de maléfique, de deuil.
Oh oui, ce deuil a tant accompagné des hordes de femmes ayant perdu parents, époux ou enfants.
Aujourd'hui, je prends ce noir avec plaisir et générosité. Il ne s'agit bien sûr, ici, que de broyer le noir du fusain et de l'écraser légèrement sur la papier. Et l'oiseau est là qui s'envole.
Le noir peut donc être aussi source de joie et d'harmonie.
Coronachronique N° 17
Vingt-quatrième jour de confinement.
78 167 personnes déclarées atteintes du coronavirus.
3 778 de plus qu’hier.
7091 personnes décédées (hors EHPAD).
597 de plus qu’hier.
Le taux de létalité atteint les 9%.
La courbe des cas recensés de coronavirus s’infléchit doucement depuis le 1er avril.
Histoires courtes.
Le cauchemar d’une confinée par Antoinette RABAZZANI
Dehors le nombre des décès n’avait jamais été aussi important. Et pourtant…
Et pourtant, ironie du sort, le jardin était si doux et agréable. Au point de s’y laisser prendre.
Antoinette était là, sans plus oser sortir, au milieu de ce jardin.
Il ne cessait de fleurir, de s’épanouir et d’exhaler.
Fleur d’oranger, jasmin, sauge, thym, romarin…
Et pourtant, parmi ces fleurs, prospérait une plante sans nom.
Il ne s’agissait ni de narcisse ou de bégonia, pas même de la jonquille…
Non, c’était quelque chose d’inconnu au pistil rouge sang et aux étamines duveteuses.
Quelque chose d’étrange et même troublant.
Une plante qui se mit à attirer Antoinette, irrésistiblement.
Au point de s’en rapprocher quotidiennement comme aimantée.
Elle se mettait chaque jour à en inspirer le parfum.
Et pourtant, un matin…
Antoinette ne se leva pas et n’alla pas jusqu’au jardin.
Elle était là, couchée dans son lit, dormant enfiévrée
Et poussant des gémissements, horrifiée par la fleur
Qui occupait son délire.
Et pourtant, au plus profond de son sommeil,
Antoinette entendit une voix inquiète qui l’appelait :
Antoinette, Antoinette ! Mais réponds-moi !
Antoinette se réveilla brutalement et le vit devant elle.
Lui, si inquiet de nature à son égard,
Etait devant elle, un sourire en coin.
A ce moment précis, elle se sentit épargnée.
LA DISPARITION DE JOSEF MENGELE de Olivier Guez
Sur les traces de l'un des plus terribles criminels nazis, le médecin d’Auschwitz Joseph Mengele, Olivier Guez produit un roman plus proche du travail d'investigation que de la fiction en racontant la deuxième vie de « l’ange de la mort » en Amérique du Sud. C’est vrai qu’il est à la fois écrivain et journaliste et il le prouve avec son impressionnant travail de documentation proche de celui de l’historien.
Il semble que l’auteur ait eu plusieurs objectifs dans la réalisation de ce roman-vrai.
On perçoit cette dimension historique quand il donne une explication très fouillée du contexte politique. On y trouve l’Argentine complice du dictateur Peron qui l’accueille à Buenos Aires, le contexte de la Guerre froide et le conflit israélo-palestinien avec la guerre des six jours.
Car est-ce vraiment un roman ? Les rêves de Mengele sont sûrement romanesques mais ce n’est là qu’une enveloppe de ce qui est, avant tout, une démarche historique et politique.
Décrire le tortionnaire le plus redouté d’Auschwitz et le montrer ensuite dans toute sa médiocrité d’homme malade, mégalomane progressivement totalement paranoïaque, est probablement une des premières finalités de l’ouvrage.
On serait même tenté de penser qu’Olivier Guez est porteur d’une mission, celle de la mémoire. C’est en effet une façon de la raviver et de rendre hommage aux victimes du monstre. Celui-ci n’a pas eu de procès, contrairement à Eichman, l’officier SS responsable de tout le transport des déportés vers les camps de la mort, jugé et pendu en Israël en 1962 et qui lui inspirait tant de mépris.
Et pourtant, l’auteur qui insiste sur la lâcheté de Mengele, jusqu’à la paranoïa, semble avoir voulu développer cette idée de longue et lente torture qu’il aurait subie, au cours de son ultime période de fuite. Une torture finalement plus intense encore qu’un procès ou qu’une exécution. En effet, cette perte de dignité dans une situation totalement dégradante chez cet homme éternellement mégalomane, ressemble fortement à une descente aux enfers. Cet homme, auteur d’atrocités à Auschwitz, capable de collectionner les yeux bleus de ses cobayes, devient peu à peu une épave, obsédée par la justification de ses actes passés, ce qui lui donne finalement, un aspect étonnement… humain.