LEPRINCE RINGUET Grégoire

Acteur au cinéma et au théâtre depuis une vingtaine d'années, Grégoire Leprince-Ringuet est également l'auteur d'un long-métrage, La Forêt de Quinconces, et de plusieurs poèmes. Fasciné dès l'enfance par la beauté des vers réguliers et rimés, il découvre à l'adolescence les œuvres de Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, et enfin de Valéry dont l'influence sera déterminante. Si ces quatres poètes forment une chaîne chronologique et esthétique cohérente, il entend, dans la mesure de ses forces et de ses audaces, participer à l'esprit qui la sous-tend, et y ajouter un maillon. Parallèlement à ces activités d'interprète et d'auteur, il enseigne l'art dramatique et la versification au Conservatoire National d'Art Dramatique, aux Cours Florent et à la Fémis.

 

Grégoire Leprince Ringuet "Tombeau de Paul Valéry"

📖 Poésie
📅 lundi, 17 avril 2023 08:42

Sunt lacrimae rerum et mentem mortalia tangunt1

 

Ce toit sur l’ombre où retombe sa cime

Aveugle donc - pourtant simple victime

De vouloir voir et se désespérer –

Un long regard toujours désemparé

Sur la hauteur de ce quelconque abime.

 

 Longtemps suivi, le nom m’est inconnu

Que porte ici le marbre dépourvu

De quelle opaque et pénétrante vie !

 L’âpre vision toujours inassouvie

Ne comprend pas le moindre individu.

 

 Ce tombeau ment. Sa raideur fait sourire.

 Songe trop pur ou lucide délire,

 Rien ne s’agrège au funèbre trésor.

 La mort est fausse étant celle d’un corps

N’ayant vécu qu’aux heures qu’on peut lire.

 

 Aussi nûment, la plate soustraction

D’un nombre à l’autre, infaillible portion

D’ans contenus entre deux sourdes dates...

 Comme les faits sont faibles que relatent

Ces signes creux, moins graves que bouffons !

 

 Tu es l’absent de ces pâles ténèbres,

 Chantre serein, secrètement célèbre

De part en part d’un univers surpris

Par sa beauté tandis qu’il reproduit

Ton élégance à justesse d’algèbre.

 

 Ici la mer ne plie jamais assez

Qui commença à se recommencer

Sous ton regard... Épousant ta cadence

Chaque pensée qui s’élance devance

L’effacement du rivage effacé.

 

Esprit tout seul, que tant de force affecte

A la mission de s’en faire architecte,

 Maitre du sens, ton sort accidentel

D’insignifiance injurie l’essentiel,

 Qui fut d’un ange à patience d’insecte !

 

 Ce rameau pousse ou ploie selon la loi

Qu’a découverte un de tes bons emplois...

 Je vois sur l’eau des becs avant des proues.

 Les vérités que l’univers avoue

Sous ta question vraiment je les perçois.

 

 Toi qui veux, vois et vibres par ce mode,

 Remplis ton souffle à cette gorge d’iode,

 Ouvre un regard où se plaisent les dieux !

 Incarne-moi qui rénove en ce lieu

Ta saine, longue et valable période !

 

 Triste parent, meurs encore et toujours !

 Mon cœur fécond n’a pas besoin d’amour :

 Il te récite et comble ton silence.

 Je suis vivant... que mon sang t’en dispense

Qui te transporte et longtemps me parcourt !

 

 Aucun serment ne veut que je respecte

Le sanctuaire aux dépouilles infectes !

 Un tout puissant décret spirituel

Vous a banni, cheveux d’ambre ou de sel,

 Œil sympathique et moustaches correctes...

 

 Ô corps trivial, comme tu as pensé,

 Pourtant ! Grands Dieux, vous êtes donc passés

Par cette tête où logea, mais quoi d’autre

Qu’un peu de chair, de sang pareil au nôtre,

 De nerfs, peut-être, autrement agacés ?

 

Visage absent de la page d’un livre

Mais trait pour trait l’image qu’il en livre

Quand le on lit, tu t’es donc comporté

Parfois sans art et sans lucidité !

 On t’a vu rire, et craindre... on t’a vu vivre !

 

 Je vis moi-même autant que je voudrais

De me tenir auprès de ton secret.

... Si près que fuit ma déférence obscure.

 Le néant hurle et ta gloire murmure

Quand m’apparait ton trop juste portrait.

 

 Oui, en ce lieu ton absence me manque,

 Génie couché au-dessus des calanques ;

 Le vent qui rompt ton sépulcre idéel

Bientôt soulève un si poudreux rappel

Qu’il pique aux yeux les joueurs de pétanque.

 

 Maitre, mon maitre, être désagrégé,

 Débris très purs, sédiments propagés,

 Vie que j’inspire à sa funèbre source,

 Ce temps me plaint, terme absent d’une course

Qui fait de moi ton intime étranger !

 

 Sentant gésir tes restes sous la pierre

Dont les pensées dissipent la frontière,

 Je tiens ce sol pour ta continuité.

 Rien ne sépare en matérialité

Mes os charnus de ta lente poussière.

 

 Comme ce jour touche son lendemain,

 Je touche ici tes vénérables mains.

 Leur poids m’appuie que sentent mes épaules,

 Ou ce surcroit de sagesse qui frôle

Mon sort si près qu’il se change en chemin.

 

C’est bien l’endroit : sous un manteau de terre

L’homme est un mort et l’âme une matière.

 La tombe expie ce long mystère au ciel.

 L’ombre la mord : arbre superficiel

Au pied de l’arbre atteint par la lumière.

 

 Regarde-moi maintenant sans hauteur,

 Mon fier semblable, et termine mes pleurs.

 Profère ici la seule loi qui vaille :

 L’adieu brutal que ces tombes travaillent

Achève ici l’élan de ma candeur.

 

 Car tu es mort et mes vœux sont profanes.

 Je ne crois pas que tes illustres mânes

Veillent jamais sur mes assiduités.

 Revis plutôt, qui veilles d’augmenter

L’occupation dévolue de mon crâne !

 

 Regard sans yeux mais impérieux regard,

 Structure offerte à tout fécond hasard,

 Fonctionnement réduit à l’ossature,

 Ô raison-même immortellement mûre

Qui n’entend plus mais répond sans retard,

 

 Comble d’esprit, conserve-moi ton ombre !

 La liberté de mes destins m’encombre,

 Embrasse-les dans ton simple avenir.

 Je vis d’envier ton vivant souvenir,

 Je tiens debout de fouler tes décombres.

 

 Alors que passe en décomposition

Paul Valéry sans autre solution

Que de se fondre à la douceur d’un havre...

 L’âme ayant fui ce quelconque cadavre

Honore ici sa dernière mission !

 

Toujours son œuvre, éphémère vendange

Pour une bouche aussitôt qu’elle mange

Le verbe pur dans le poème exact,

 Frappe d’une âme au plus fort de l’impact

La chair, puis l’arme et longtemps la dérange !

 

 Adieu vieux temple, un élan de mon mieux

Vivra longtemps de te redire adieu.

 Et toi, douteuse évocation des âmes,

 Cesse un trop vague et futile amalgame ;

 La mort soit simple et l’avenir curieux !

 

 Le vent soulève une régate au large.

 La mer s’émeut de l’insensible charge.

 Le tendre flot berce ces quelques flancs

Sur sa hauteur essayant leurs ballants ;

 La houle admet telle flotte à sa marge...

 

 De proche en proche ils sont déjà bien loin,

 Ces fronts plantés d’indéfectibles pins !

 A l’horizon où sa couleur s’émaille

Le dos de mer qui s’hérisse d’écailles

Lentement mue comme ils virent soudain.

 

 L’heure se ferme autour de ma prière.

 Une douceur surprend le cimetière

Quand un nuage en atténue l’éclat.

 Son ombre éteint toute ombre... sous l’aplat

Le toit de brume efface un toit de pierre.

 

[1] « Il y a des larmes dans les choses mêmes et ce qui est périssable frappe l’esprit » (VIRGILE, Énéide, liv. I, v. 462)

 

 Photo L'Altérité

Voiles

Grégoire Leprince Ringuet "Jardins de l’Hôpital Sainte-Anne"

📖 Poésie
📅 lundi, 10 avril 2023 10:05

A Augustin Le Coutour

 

C’est une enclave étrange au milieu de la ville.

Des chats errants et flegmatiques, c’est touchant,

Y ont comme les fous établi leur asile ;

C’est qu’on doit les nourrir... Ils ne sont pas méchants.

 

Les parterres sont pleins de fleurs, toutes sauvages :

On n’entretient qu’en dernière nécessité.

D’ailleurs un peu partout ce grand terrain ménage

Une place étonnante à l’inutilité.

 

Il plane ici comme des faux airs de campagne.

Le gardien à l’entrée ne vous demande rien,

Et la grille, évoquant celle des anciens bagnes,

Reste presque toujours ouverte : on va, on vient.

 

En marchant quelques pas on croise quelques blouses

Qui vous sourient avec amusement, sachant

A votre air niais et à vos regards qui ventousent

Qu’il s’agit d’un curieux et non pas d’un patient.

 

De ceux-là, certains sont d’allure bien portante

(On soigne ici des sains de corps) : le mal mental

Ne se remarque pas de manière évidente.

De même, cet endroit qui reste un hôpital

 

N’en présente jamais la saine effervescence.

Ici le promeneur se tient discipliné

Par le respect de l’enveloppe de silence

Qui épaissit jusqu’au prochain cri d’aliéné.

 

Alors on se recueille sans s’en rendre compte

A force de rester attentif et discret.

Puis de sa profondeur l’âme humaine remonte

Et se présente à nous sans plus aucun apprêt.

 

Car enfin, saturée d’expédients sans remède,

Cette enceinte à demie sacrée n’accorde pas

La plus petite place aux honneurs qui obsède

Le monde à l’extérieur de ce petit état.

 

Dans la sécurité de ses strictes frontières

On s’autorise à croire aux jardins enchantés,

Et nous voilà bientôt admis au sanctuaire

Dès lors qu’on se soumet à la divinité

 

Protectrice des plus frénétiques chimères

Comme des plus lascives taciturnités

Et propice au poète dont le caractère

Emprunte au grand morose et au grand exalté.

 

...Des câbles sont fixés à même les façades...

Le provisoire dure ici, mais rien n’est laid.

On adopte en effet le regard du malade

Qui s’est habitué au marasme complet.

 

Le désordre charmant qui règne sur les choses

Tout naturellement passe pour merveilleux,

Et quand dans une brèche il fait pousser des roses

On voit sa signature de génie des lieux.

 

Cet esprit tutélaire a pour mission cruciale

De noyer dans un océan d’oisiveté

La terriblement triste misère morale

Engendrée par l’échec des bonnes volontés.

 

Donnez-y rendez-vous... Les allées, les coursives

Ont tant connu l’ennui et le désœuvrement

Que les conversations s’y font contemplatives,

Et les aveux plus purs dans les chuchotements.

 

Vraiment, quelle apogée de l’humaine faillite :

L’orgueil étant vaincu, la honte est abolie !

Et cette liberté nouvelle nous invite

A nous glisser dans la douceur de la folie.

 

Car on se sent serein dans ce profond refuge

Qui n’a rien à envier aux plus sûres prisons.

Alors nous bénissons le parfait subterfuge

De ces hauts murs où s’épanouit notre évasion !

 

Ah, quel soulagement d’être faible à l’extrême !

Ici l’humanité n’a plus la prétention

D’être autre chose pour soi-même qu’un problème

Avec beaucoup de très précaires solutions.

 

La première n’est autre que cette indulgence

Impérative envers Notre Déréliction.

Par ailleurs des panneaux indiquent : « neurosciences » ;

C’est la nouvelle mode, ou la dernière option.

 

J’aime de cet endroit la candeur pitoyable,

Et j’ai connu ici une félicité

Aux grands élancements de l’amour comparable.

Oui, parmi les déments et leur humilité

 

Je pourrais vivre heureux dans la pleine innocence

Et sans plus d’ambition que de passer mes jours

A soigner moi aussi mon intime démence

Qui en vaut bien une autre et que j’aurai toujours.

 

Voilà ce qu’on se dit en sortant de Sainte-Anne

Pour n’y avoir connu la paix qu’une heure ou deux ;

 Et le portail à son passage nous condamne

A retourner parmi les nôtres : les envieux.

 

Illustration L'Altérité/Craiyon

craiyon 104006 near a wild rosebush a tender madness man is sitting on a park bench Birds are flyin 3

Grégoire Leprince Ringuet "Eurydice"

📖 Poésie
📅 mardi, 04 avril 2023 09:56

Eurydice


A votre nuit précoce, ô nullement caduques
Ténèbres, celui-là que cernent ces lauriers
M’arrache s’il poursuit ses pas aventuriers
Jusqu’au jour ambitieux où mon amour l’éduque.


Nous marchons. Je retrouve aux pointes des fétuques
La sensibilité de bras suppliciés
De n’épouser jamais que le balancier
Du faisceau de soupçons rassemblés sur sa nuque.


C’est moi pourtant, moi débordante d’abandon,
Mais muettement moi telle criante offrande,
Et d’avance fidèle à toute prévision


Superbe d’une perte immortellement grande :
Je suis la vérité vivante à condition
Qu’un pur aveuglement longuement l’appréhende.

Grégoire Leprince Ringuet "Epilogue"

📖 Poésie
📅 lundi, 27 mars 2023 09:11

Epilogue

 

Selon une improbable et fantasque légende,

Les âmes des pauvres mourants

Se changent en poème et vont à la demande

Enchanter l’esprit des vivants.

 

Bien sûr, vous ne croyez pas aux métempsycoses,

Vous vivez avec votre temps...

Mais si vous refusez l’idée que je propose

Ne l’oubliez pas pour autant.

 

Car, n’ayant jamais cru à rien qui vous dépasse,

Postmodernes de peu foi,

A votre dernière heure et sentant la menace

D’une mort en plein désarroi

 

Vous en serez réduit, sur le funeste seuil

A forcer votre identité,

Et ne pourrez choisir qu’entre le vain orgueil

Et la médiocre humilité :

 

Les uns diront "je fus un être intelligent ! "

Mais l’ordinateur aujourd’hui

L’est aussi, parait-il, et plus correctement

Que mille cerveaux réunis.

 

Les autres gémiront des plaintes en cortège :

« Je suis faible, j’ai peur, j’ai mal ! ... »,

*Et mettront de ce fait leur honneur sacrilège

Plus bas que le moindre animal...

 

Bref, on ne prétend pas facilement au titre

Et attenante dignité

D’être humain pour en jouir à l’ultime chapitre

D’un destin tout désenchanté.

 

... Quand vous regarderez le ciel en y cherchant

Le prompt secours d’une croyance,

Que – vous précipitant vers quelque dieu méchant

Pour vous donner bonne conscience –

 

Vous prierez, soyez bons de dire à vos mémoires

Ce poème qui se termine

Et votre âme, changée en ma petite histoire

Pour échapper à la vermine,

 

Ira longtemps peut-être habiter dans des têtes

Tout occupées de poésie.

On y donne souvent de somptueuses fêtes...

Les invités ne sont choisis

Que parmi ceux qui croient aux fables des poètes.

 

Croyez-y, mortels, croyez-y !

 

Ilustration L'Altérité/Craiyon

craiyon 093451 a feather flyng above a man who is about to walk trough the door black and white 2

Grégoire Leprince Ringuet "Pachira"

📖 Poésie
📅 dimanche, 19 mars 2023 17:49

Pachira

 

Experte à feindre le repos,

L’élégante tend tout son être

Vers les entraves de son pot,

Mais ses chapeaux à la fenêtre !

 

Ah, comme sait lascivement

Faire semblant de ne pas croître

Depuis le terreau qui la cloitre

Une plante d’appartement !

 

Oui, la farouche aux mains de palme

Enfle si bien, restant si calme

Qu’elle en déconcerte l’esprit :

 

Tandis que ses tiges s’écartent

On voit se déplier la carte

Où leur réseau était inscrit.

 

Illustration L'Altérité/Craiyon

craiyon 181836 dessin stylis en noir et blanc d une pachira aux mains de palmes qui prend l air l 4

Grégoire Leprince Ringuet "Coquelicot"

📖 Poésie
📅 lundi, 13 mars 2023 16:17

Coquelicot

Fleur amèrement chérie,

Tu n’as donc pas attendu

La fin de cette prairie

Pour prendre du sang perdu

La sirupeuse texture !

Je me cherche une blessure...

Mais mon étrange douleur

Ne vient que de la couleur

De ta hideuse coulure ;

Et ce bras me lance où dure

Un stigmate accusateur.

 

La sentence instantanée

Tombe ainsi sur une main

Que la fraiche assassinée

Vient souiller de son carmin.

Le péché dont je relève

Au terme pur de la sève

A ravi son tendre teint :

A peine un baiser soutint

Qu’une douceur aussi brève

Détermine et parachève

Ce cadavre de satin !

 

Ainsi varie sa nuance :

L’écarlate s’assombrit

D’annoncer l’évanescence

Aux sources de mon esprit.

Mais il faut que mes yeux mentent

Ou que la pourpre apparente

Stigmatise un innocent !

Du sang suinte... est-ce du sang,

Ou la décalcomanie

D’un pur signe d’ironie

Moins sévère qu’agaçant ?

 

Parle, fleur... Pourquoi si vite

Après que ta cueillaison

A la mièvrerie m’invite

Faut-il boire le poison

Que me verse ton essence ?

Ténébreuse insignifiance

Infusant mes oraisons,

Sévérité de saison,

Venimeuse sarbacane,

Sont-ce nobles tes arcanes,

Ou fantasques mes raisons ?

 

Non, c’est ma très grande faute !

Tous, ils me montrent du doigt,

Ces pampres des herbes hautes.

Leur extravagante loi

Ne veut pas de peine exacte :

Elle doit dépasser l’acte,

Et la fleur y suffira

Qui longtemps rétorquera :

« Affliction, regret, déroute...

Ce que le remords te coûte

Jamais ne me payera. »

 

Ah ! Quelle seule innocence

Survit à sa cueillaison ?

Quel baiser se fait substance

Des lèvres que nous baisons ?

Par ces envieuses pulpes

Un soupir qui me disculpe

S’avère toujours trop court...

Coupable, l’air est si lourd

Aux environs qui te pèsent,

Et ce bout de gant de glaise

Qui se parfumait d’amour !

 

Mais que rien ne divertisse

Mon âme au suprême instant

De l’évidente justice :

Il vire à l’inconsistant,

Le châtiment qui me cingle...

Malgré sa minceur d’épingle

Il faut que m’afflige un brin

Que la pourriture étreint.

Oui, qu’elle me tombe en l’âme,

Et le baume de ce blâme

Où s’abime le chagrin !

 

Mais ma main répond sans ruse

Que son geste fut naïf.

L’insouciance est son excuse

Tout autant que son motif.

Coupable, certes, coupable...

Mais qui d’une fleur s’accable

Ne porte pas grand fardeau.

La pomme offre l’asticot...

Tout bienfait d’un mal s’accuse...

Qui cueille un rêve en abuse,

Et tout fin coquelicot.

 

Tout être n’est qu’un brin d’herbe...

La grande Nature qui,

Comme l’erratique gerbe,

Détermina qu’il naquît

Seule engendre, épargne et fauche.

La conscience qui L’ébauche

Avec assez de recul

Croit sortir de Son calcul,

Mais le cerveau même y entre

Où le remords se concentre

En Son plus rusé cumul.

 

L’évasive qui s’évase

Me verse le sang des bois

Avec une telle emphase

Que je crois que je le bois.

Et si ce bonheur nécrose

La plus fragile des roses,

C’est sa vie qui passe en moi !

Oui, je referais le choix

Que ma puissance propose :

Elle est belle, elle est éclose,

Je me l’offre et la reçois.

 

Nobles bulbes, simples pointes,

Superfétatoires fleurs

Que le vent glaneur a jointes

A la terre avec bonheur,

L’excès de vos tendres offres

Cache au fond de chaque coffre

Un trésor de vanité !

Le reproche supporté

Mène proche de l’extase

Un cœur que jamais ne blase

La mortelle intimité !

 

Photo L'Altérité

Coquelicots dans le jardin de la villa Torlonia