POWRIE Phil

Phil Powrie est professeur de cinéma bilingue à l’université de Surrey au Royaume Uni. Il a écrit de nombreux travaux sur le cinéma en anglais et en français. Ses poèmes en anglais ont paru dans des revues anglophones (South, Ink Sweat and Tears, October Hill, Pulsar, Shot Glass Journal) et une suite de poèmes en français paraîtra en 2023 dans la revue française Lichen.

Prenant son inspiration du roman-collage de Max Ernst, Une semaine de bonté, et des sept chakras de la philosophie hindoue, Sept sonnets pour la semaine sainte est un contre-bréviaire pour un travail sur soi par les mots. C’est un recueil dans le sens propre du mot, une réflexion sur la pensée dans toute sa pesanteur, et dans ses prises de tête avec le corps. Le livre (se) referme (sur) le corps tout en l’ouvrant et en s’ouvrant sur lui.

"K ou l'entre-deux" de Phil POWRIE

📖 Essais
📅 dimanche, 07 avril 2024 17:17

     Phil Powrie propose un texte sur la difficulté de l’entre deux. Sa double origine franco anglaise, son bilinguisme, les vicissitudes qu’il raconte à maitriser, dans sa jeunesse, les deux langues, l’empêchent de se poser. Il devient ou il vient de. Mais il n’est pas, ontologiquement. A moins qu’ontologiquement il ne soit que par l’altérité. Partout et nulle part. Comme le centre dans l’univers si tant est que l’univers soit infini. Cette modestie, n’est-elle pas la plus belle des politesses face à la mesquinerie des nationalismes qui s’exacerbent ? 

 

      Je me suis toujours senti à cheval entre deux cultures. Je suis né d’une mère française et d’un père anglais. Nous parlions français à la maison. Mon premier choc linguistique s’est produit lorsque je suis allé à l’école primaire du coin et que j’ai dû apprendre l’anglais. Par la suite, la famille – j’ai un frère et une sœur – parlait un franglais incompréhensible pour les étrangers, conjuguant des verbes français en anglais, conjuguant des verbes anglais en français. Nous parlions rapidement, donc c’était ce qui nous venait à l’esprit en premier : une expression faite de vagabondages, de passages fluides entre les deux langues, le frisson d’une langue secrète, les clins de langue.

      Le système scolaire anglais et le franglais que nous parlions à la maison ont finalement compromis mon français à tel point que je découvris au moment des examens que je ne maîtrisais pas la langue française. Ce fut mon deuxième choc : mon matrimoine était perdu dans le marais grammatical du franglais. Déception à la fois pour moi-même et pour les autres, car on me supposait bilingue. On me faisait la moue. C’était bien d’avoir deux langues, oui, mais pas dans la même phrase, et surtout pas en prenant des libertés qui auraient fait pâlir Grevisse. Ballotté d’une chaise à l’autre, j’ai donc dû apprendre le français, tout comme quelques années plus tôt j’avais dû apprendre l’anglais.

      L’aspect linguistique de mon éducation était embrouillé ; l’aspect culturel l’était encore plus. On m’avait élevé dans la foi catholique, la religion de ma mère. Du côté de mon père, mon grand-père était presbytérien écossais et n’avait jamais pardonné à son fils d’avoir épousé une catholique. Je n’étais plus entre deux chaises, mais entre deux prie-Dieu. Nos dimanches étaient piquants. Mon père revendiquait astucieusement une position non-religieuse. Du côté de ma mère, c’était donc l’encens et les chasubles, les litanies et les saints. Quand je rendais visite à mes grands-parents paternels, c’était le sol dur près du lit où l’on s’agenouillait pour prier avec ferveur. D’un côté la communauté, la communion et le théâtre ; de l’autre, parler à Dieu en huis clos et en solitude, d’homme à homme, pour ainsi dire.

      Ma vie intellectuelle s’est transformée en un lent apprentissage de ma langue et de ma culture maternelles, et surtout la gestion de l’entre-deux. Comme beaucoup de bilingues, je n’ai jamais su si le français était un espace hétérotopique à l’intérieur de l’anglais, ou si c’était l’inverse. En fin de compte, je soupçonne que cela a toujours été une effervescence linguistique dans un entre-deux constamment changeant. Et à l’intérieur de cet entre-deux, les mots que j’utilise se déplacent constamment, se dédoublant, s’émiettant et se superposant comme des strates archéologiques dans leurs connotations multilingues.

L’écriture de l’entre-deux

      Il y a du pathos dans l’entre-deux de l’écriture. On souffre parce qu’on n’est ni ici ni là. Il est rare que ceux qui parlent de l’entre-deux évoquent la liesse. Nous sommes dans un lieu qui est plus ou moins un non-lieu, un lieu d’exil ; nous sommes déchirés, l’écriture est (auto)torture. Et ainsi de suite.

      Dans ce non-lieu de l’entre-deux on ne peut écrire que sur l’impossibilité d’écrire ; l’écriture constitue mon impossibilité, me propulsant dans un incompréhensible ailleurs. Je ne suis pas autre, car cela me constituerait en sujet intégratif momentanément déplacé ou mal placé. Je suis un moi qui se désintègre au moment de l’énonciation, fendu, entrecoupé, entre parenthèses : j/e ou (j)(e). Le lieu de l’entre-deux est le trait oblique, ou plutôt la conséquence de ce trait, la plaie qui s’ensuit, l’écart entre les parenthèses, un no man’s land fait de munitions non-explosées.

      Le souffle de l’autre, son énigme, m’interloque. Parce que cet autre, c’est moi-même. Je ne peux jamais être là où je suis.

      Ce sont aussi des métaphores qui constituent leur propre impossibilité.

      Le paradoxe de l’entre-deux c’est qu’on passe par une porte sans porte, la porte du soi. Je ne peux m’imaginer que dans deux endroits à la fois, intervenant dans cette porte (ce qui n’est pas la même chose que d’y entrer ou d’en sortir). Mais au moment où j’interviens je ne suis pas conscient que la porte est moi-même et non pas ce qui précède, ni ce qui s’ensuit ; et que d’ailleurs la porte n’est même pas une porte : il n’y a qu’un passage, une traversée. Au pire, je n’interviens pas dans la porte, je la nie. Au mieux, il y a un nœud fait de voyages, une navette de va-et-vient, des sables mouvants, des épingles accrochées aux vagues.

      À cheval entre l’anglais et le français, je suis perdu dans un engrenage de nœuds dont le premier serait la traduction du mot français nœud – knot – les deux mots découlant du proto-indo-européen gnodus. En anglais, on peut voir K sur la page, la consonne occlusive sourde, mais on ne l’entend pas. Elle est là sans être là. Quand j’articule ce mot, on m’entend dire « not » en anglais, « pas ». Pas ici, pas là. Au moment du passage par la porte je suis là sans être là, un nœud de trous noirs.

  Première parenthèse : K

      Il y a plus de 400 mots commençant par la lettre K en français, presque tous d’origine étrangère (klaxon de l’anglais, calqué sur le grec), ou modifié pour ressembler à autre chose (khâgne, à l’origine cagne, insulte modifiée pour « faire grec »).

      K n’est pas un signe discret. Il explose visuellement sur la page. En tant que signe, il trouve son origine dans l’image d’une main ouverte, l’offrande sans offre.

      K est doublement paradoxal. Les Grecs adaptèrent la lettre de l’alphabet phénicien, mais l’ont inversée. Le phénicien est devenu κ ou, encore plus crucialement, une lettre qui ressemble mais qui n’est pas tout à fait une croix : ϰ. C’est le signe du nœud qui n’est pas un nœud, de la croix qui ne croise pas, un croisement, c’est-à-dire une croix qui ment. C’est le paradoxe de l’entre-deux en une seule lettre.

      Et pourtant, n’y aurait-il pas une joie, voire une jouissance, à être écartelé, émietté, dispersé, ni ici ni là, c’est-à-dire éventuellement partout ? Quelle liesse que d’être à la fois soi-même et autre ! N’y a-t-il pas une exultation dans l’exil ?

      L’entre-deux est l’endroit où l’implosion (la quête) et l’explosion (la fuite) se rejoignent en un équilibre précaire, une friction de fictions.

 Deuxième parenthèse : l’altérité et la mémoire

      Revoir le passé pour comprendre les passages. Ce que l’on essaie de préserver dans la mémoration n’est pas la chose remémorée elle-même. Elle ne        peut être saisie car elle est fantôme, et restera toujours fantôme. Ce que l’on essaie de préserver n’est pas la conséquence de l’acte, les restes récupérés, mais l’acte lui-même, l’acte de la récupération. À cet égard, l’écriture est une hantise, une « fantomatisation », une exhumation de corps altérés.

La métaphore et le voyage

      J’en reviens encore à la métaphore, qui serait le langage ultime de l’entre-deux. Metapherein (μεταϕέρω) en grec signifie être transféré et modifié, rendu autre dans ce transfert. Dans la métaphore un concept est « transporté au-delà » de lui-même. L’écrivain de l’entre-deux est toujours déjà une métaphore, un sujet « transporté au-delà », un transfert pour reprendre le terme latin.

      Il y a cependant un décalage, une erreur qui se transforme en errance. Le suffixe « -pher » du mot grec métaphore et le « -fer » du mot latin transfert signifient la même chose – porter – dans leurs différentes langues. Mais les préfixes sont décalés : « meta- » signifie au-delà, tandis que « trans- » signifie à travers. Cette erreur même – la légère mais évidente différence entre « pher- » et « -fer », entre l’au-delà et l’à travers – est la substance du changement qui se produit dans un transfert. L’écrivain de l’entre-deux est pris entre l’au-delà (meta-) et l’à travers (trans-), pris entre un lieu (meta-) et un voyage (trans-).

      On a l’impression qu’ils devraient se plier l’un dans l’autre – quand j’entreprends le passage par la porte de soi, je voyage d’un endroit à un autre – mais ils fonctionnent à des niveaux différents. Je ne voyage pas vers l’autre endroit. Je voyage vers un endroit autre, mais il ne constitue pas la fin de mon voyage. Le lieu et le voyage sont parallèles. Pour être plus précis : le voyage et le lieu se déplacent ensemble ; au fur et à mesure que je voyage, il y a toujours un lieu qui est déplacé.

      Pour l’écrivain de l’entre-deux, le voyage est le lieu, et le lieu le voyage.

 La nostalgie

      Quel est le but de ce voyage pour l’écrivain de l’entre-deux ? La nostalgie est la douleur que l’on ressent pour le pays perdu (νόστος/nóstos + λγος/álgos). Mais quel est ce pays pour l’écrivain de l’entre-deux ? Le pays où l’on ne vit plus, que l’on ne vit plus ? Ou le pays dans lequel on vit, sachant qu’il y a un pays autre qui nous fait également appel ? Est-ce la nostalgie pour l’écart entre le présent et les restes du passé, donc le désir du retour au passé ? Ou la nostalgie du présent continuellement écartelé par le passé, donc le désir d’être dans un présent impossible ? Le pays que l’on a abandonné est-il l’enfance ? Ainsi, de façon banale, le présent de l’âge adulte serait traversé par un retour à l’innocence antérieure ? Ou y a-t-il une simultanéité de la nostalgie, une nostalgie pour les deux pays dans le courant de la vie ? Aucune innocence possible, que la culpabilité de ne jamais être là où l’on est ?

      Je suis ici tout en étant aussi là-bas, et là-bas tout en étant aussi ici. Écrire entre les deux, c’est l’entre-deux géographique : entre deux terres (geo/γεω), entre deux langues (graphia/γραφία). Écrire entre les deux c’est toujours être en transit. C’est une mobilité qui aspire à l’immobile ; le mouvement qui tente de fixer le fantôme aperçu, furtivement, du coin de l’œil, du coin de la langue. Cette mobilité est tangentielle, asymptotique, décalée. Comme l’asymptote, les deux aspects convergent continuellement, mais ne se rencontrent jamais. Dans le sens grec originel de l’asymptote, ils ne parviennent jamais à « se rejoindre » (asumptotos/σύμπτωτος : + σύν + πτωτ-ός). Comment pourraient-ils le faire, puisqu’ils sont déjà projetés vers leur chute toujours différée ?

      Je suis décalé comme une voix off, un hors champ, une étoile déjà longtemps disparue lorsqu’on l’aperçoit.

 Première conclusion : l’inutilité d’un passeport

      L’écrivain de l’entre-deux est figé dans l’attente d’un passage. Un passeport est une absurdité. Je suis toujours dans le port, sur le point de partir ou sur le point d’arriver. J’ai un moyen de transport, mais pas de passeport. La preuve se trouve dans les verbes : lorsque j’écris, je suis transporté, mais je ne peux pas être « passeporté ».

Deuxième conclusion : l’impossibilité d’être

      Mouvances et passages. Je ne peux saisir le verbe « être » au temps présent. Je peux l’utiliser, mais je ne peux le saisir. Il me possède, mais je ne le possède pas ; donc je ne me possède pas. Je suis ce que j’étais, et ce que je serai quand j’aurai terminé cette phrase. Cette phrase sera toujours sur le point d’être mal comprise. Je ne peux jamais la terminer car les mots ne cessent de se transformer. Il n’y a pas de fin à la phrase, et j’ai oublié le commencement.

      Je ne peux donner un sens à la lumière que lorsque je la vois à travers les ténèbres. Sinon, la lumière me rendrait aveugle.

Lette K

Phil POWRIE Le fantôme (Sahasrara)

📖 Poésie
📅 lundi, 11 septembre 2023 21:00

7. le fantôme (sahasrara)

 

je souris au sommet de l’entonnoir

or dur enfoui dans le limon où s’éveille

au grand jour les ombres

mon œil se déplie mon corps s’aplatit

 

qu’ils viennent de moi qu’ils sortent du fond de mon oreille

les paroles sortent de toutes les orifices

me soudant mêlant mes propres frontières

je tourne je suis la roue qui fait tourner le monde

 

tout à coup le soleil s’ensevelit au fond de mon nombril

je m’approche d’Amalthée je suis le moyeu

il y a des vitesses imperceptibles dans les quatre coins de mon corps

 

je suis azur et arc-en-ciel

mon corps est un œil s’ouvrant sur

les quatorze paroles du souffle parfait

 

Notes de la revue :

Le chakra qui signifie disque en rotation est un point d’énergie situé le long de la colonne vertébrale. Il en existe sept principaux dont chacun a une couleur de l’arc-en-ciel. Dans la doctrine religieuse du tantrisme, le sahasrara, signifiant “lotus aux mille pétales” est le septième chakra appelé aussi chakra couronne car il est situé sur le dessus du crâne, directement en rapport avec la glande pinéale et l’hypophyse. C’est le chakra du détachement corporel total, celui de la plus haute conscience et de l’illumination car il relie l’être au divin. Il est souvent représenté par la couleur mauve. Son élément est la conscience. Le son qui lui est associé est le Aum, la vibration vitale, le son par lequel l’univers serait apparu.

 

7ème chakra 2

 

 

Phil POWRIE La glande pinéale (agnya)

📖 Poésie
📅 dimanche, 03 septembre 2023 13:00

6. la glande pinéale (agnya)

 

l’épiphyse est une pierre fluide et mobile

une colorature dans les éponges marines des sinusites

le jour point et l’aubade absurde sourd comme une encre

étalant des mots impossibles sur les papiers humides

 

le rêve de l’épiphyse est de capter l’arc-en-ciel

dans sa nasse de couleurs secondaires

ce rêve est d’azurite car l’arc-en-ciel est composé

de sept arbres dont le septième est l’Inde

 

je me retrouve au bout du promontoire

je hurle de joie car mon corps est sage

je déplie mon filet fauchoir

 

nous arrivons au bout du chemin de halage

la péniche est pendue aux nuages

je souris au fond de l’entonnoir

 Gloses

i.    Je suis africain ; les gazelles s’enfuient dans les savanes. Le guérisseur sort son gris-gris où sont entassés les osselets. Il fait brûler les peaux de serpents. Il taille la formule sur mon dos avec un bistouri, et frotte les cendres dans mes plaies. Je suis extérieur à moi-même, un espace autre, tremblant.

ii.   J'ose poser la question, enfin : qui je hante. Je suis l’explosante.

iii.  Mon corps est un gaz, c’est-à-dire chaos, à la fois miscible et comprimé, faille ouverte au monde.

 iv.  La forme du troisième œil : cruciforme et mathématique. Le troisième œil est une écriture, parfois cunéiforme, parfois hiérogrammatique. Une série de paradoxes. Le troisième œil serait une sphère plus fluide que l’œil normal, une amibe (je n’aurais pas dû douter des microorganismes, ni des buvards). Sa circonférence serait, de façon pascalienne, plus étendue que le corps ; toutefois, à la différence de Pascal, la circonférence n’est pas nulle part ; elle est présente mais indiscernable. Les parois du troisième œil seraient des miroirs, mais ils seraient également transparents.

v.   La dernière étape, vers l’infini, le trou où se confondent l’œil et le nombril.

Notes de la revue : L’hypophyse : « chef d’orchestre » endocrinien puisqu’elle détermine le fonctionnement normal de l’organisme (croissance, pigmentation de la peau, stimulation des hormones, gestion du stress, des émotions, du rapport à autrui).

Glande pinéale (épiphyse) : elle ressemble à un pignon de pin d’où son nom. Elle contribue à la régulation du cycle biologique, à la sécrétion de la mélatonine et à la maturité sexuelle.

Le chakra qui signifie disque en rotation est un point d’énergie situé le long de la colonne vertébrale. Il en existe sept principaux dont chacun a une couleur de l’arc-en-ciel. Dans la doctrine religieuse du tantrisme, le agnya, signifiant “cercle du pouvoir illimité” ou “centre des commandes” est le sixième chakra situé au point de croisement des nerfs optiques (le chiasma optique). C’est le troisième oeil figuré entre les deux sourcils. Il régule les glandes pinéale et pituitaire (hypophyse). C’est le siège de l’âme, le centre de l’intuition. Sa couleur est l'indigo. Son élément est l’ether. Son animal est l’antilope. Son sens est la perception extra-sensorielle.

 

6ème chakra

 

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Phil POWRIE "Jupiter (Vishudda)"

📖 Poésie
📅 mercredi, 23 août 2023 18:07

5. Jupiter (vishudda)

 

les anneaux de poussières s’enroulent dans mon larynx

les tempêtes rouges tourbillonnent dans mes artères

le roi m’ordonne de ne plus peser les matières

prince vêts-toi de fumées voltige comme la lumière

 

j’avale la lune Io et je deviens aurore

enfin mon silence vibre comme un champ magnétique

je m’approche d’Amalthée je suis excentrique

je suis une grande marée avalant les galets

 

mon œil rouillé donne sur une plage vide

les embarcadères tout à coup s’écroulent

les poissons bégaient en silence

 

j’arrive au bout du promontoire

Jupiter me dit de ces doigts :

au grand jour il n’y plus d’ombres

 

 Gloses

i.    Je souffrais de laryngites, toujours le cinquième jour, ou le cinquième mois. Les mots se bousculaient dans ma gorge, et devenaient subitement blancs de plomb, chenus. Les moines me donnaient du lait de chèvre en perfusion, chaulant les murailles de mon corps. Il y avait des lacunes qui perlaient au bord de mes lèvres ; on me demandait de mâcher la craie pour le tableau noir. Ainsi, les mots sortiraient enfin, crayonnés par les écoliers ; presque une défaite. On me rappela alors, pour me remonter le moral, que la craie que je mâchais assidument était composée des squelettes de microorganismes marins. Je fus océanique dans mon désespoir.

ii.   Il existe quelques bribes d’une glose supplémentaire : « écluse musculeuse du luxe sensuel » ; « le rouge-gorge étoilé s’étiole sans sa gouge cramoisie ».

 Notes de la revue : La lune Io est un satellite de Jupiter.

Amalthée est la chèvre qui à l’origine a nourri Zeus et produit l’amrit (boisson des dieux) qui rend immortel.

Le chakra qui signifie disque en rotation est un point d’énergie situé le long de la colonne vertébrale. Il en existe sept principaux dont chacun a une couleur de l’arc-en-ciel. Dans la doctrine religieuse du tantrisme, le Vishuddha, signifiant “centre de la purification” est le cinquième chakra situé dans la région de la gorge mais toujours au niveau de la colonne vertébrale. Sa couleur est le bleu. Son élément est l’ether. Son animal est l’éléphant. Son sens est l’ouïe. Le chakra Vishuddha reçoit les ondes émises par les personnes de l’entourage. Le chakra de la gorge assure une fonction dans l’expression de soi et la communication juste des sentiments.

5ème chakra

Phil POWRIE "Le cœur (Anahata)"

📖 Poésie
📅 mardi, 22 août 2023 17:51

4. le cœur (anahata)

la pensée est attirée par le poids du plexus annulaire

l’œuf de l’œil s’écoule comme une planète autre

je rêve dans le noir

c’est le point de cri muet peuplant l’orbite

 

les douze pétales sont aspirés par l’anus

le cœur s’ouvre tel une paupière de syllabes imprononçables

je tourne je suis une roue moulinant dans le vide

j’arrive au bout du promontoire

 

viens — fuis chevreuil — le roi joue du corps

étire-toi le jour point

les filles de l’air te sourient sifflant leurs chaconnes

 

mon cœur s’éclaire comme le soleil

j’entends des cris de joie et je ne comprends pas

qu’ils viennent de moi qu’ils sont au fond de mon oreille

Gloses

i.    Je ne dormais plus que quatre heures, toujours du côté gauche ; je passais souvent mes nuits dans la forêt, chassé par les loups. Le roi m’arrêta dans une clairière où les arbres étaient maculés d’orseille, et exigea mon cœur d’antilope. Sa main droite était couleur sang-de-dragon, ses ongles étaient de cinabre, et le bout de ses doigts crépitaient de flammes. Il leva son surin avec sa manche d’unicorne. Je m’évanouis.

ii.   Il y a une deuxième glose, plus rare : le cœur est la quatrième mer, celle qui se trouve exactement au milieu des sept corps fluides. D’un côté, il y a les trois ivresses de la parole ; de l’autre, les trois ivresses du silence. Certains avancent que l’ivresse de la parole est verticale et enthousiaste ; d’autres qu’elle est circulaire et euphorique. Nul ne fait mention de sa couleur, comme si le fluide avait un substrat de vapeur gazeuse et non-systémique.

Note de la revue :

Plexus annulaire : ensemble des nerfs entourant la cornée.

Le chakra qui signifie disque en rotation est un point d’énergie situé le long de la colonne vertébrale. Il en existe sept principaux dont chacun a une couleur de l’arc-en-ciel. Dans la doctrine religieuse du tantrisme, le Anahta, signifiant “souffle non frappé” est le quatrième chakra situé dans la région du coeur. Souffle non frappé veut dire son non produit car il n’a pas de réalité physique. Il vient de l’intérieur. Il est spontané. Sa couleur est le vert. Son élément est l’air. C’est le siege de l’amour de soi et des autres et du désintéressement. Son sens est le toucher. Ce chakra constitue le lien entre les trois chakras inférieurs (matérialité) et les trois chakras supérieurs (spiritualité).

Quatrième chakra ter

Phil POWRIE "La parole (Manipura)"

📖 Poésie
📅 dimanche, 13 août 2023 17:00

3. la parole (manipura)

 

lieu autre cerveau d’épiderme — le nombril

à la naissance on étrangle le cordon ombilical

redoutant la parole qui s’y love

incrustée comme un œil de corail

le plexus est le centre de tout et de rien

le fondement de la parole qui gronde au fond des poumons

la parole sort de toutes les orifices

mercure transparent sans cesse en fusion

une pierre sans conscience s’éveille

dure comme une ferraille abandonnée

je fixe ce miroir et la ville d’émeraudes peu à peu s’érige

au grand jour il n’y plus d’ombres

il y a une flamme bleue qui comme une colère illimitée

me fend arrachant mes propres frontières

Gloses

i.    Le soleil se lève sur la ville de pierres précieuses. Je fus à l’aube « dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats ». Mon oreiller était rempli de pierreries : aigue-marine bleutée, serpentine glauque, œil-de-tigre zébré, et la célestine, plus pale et fragile qu’une aube d’hiver. Mes larmes nocturnes s’étaient cristallisées en paroles amazonites. Je cueillais les roses des sables, et les ampoules de jaspe écrasé. Le soleil me jeta son écrin en riant. Mais j’étais encore trop jeune ; il ne me fut permis qu’une tunique de schistes bruts.

ii.   Une deuxième glose propose simplement une liste de métallifères sans exposer leurs propriétés : la marcassite, la serpentine, l’écume de mer, l’or potable.

Note de la revue : Le chakra qui signifie disque en rotation est un point d’énergie situé le long de la colonne vertébrale. Il en existe sept principaux dont chacun a une couleur de l’arc-en-ciel. Dans la doctrine religieuse du tantrisme, le Manipura, signifiant “abondant en joyaux” est le troisième chakra dit chakra du plexus solaire. Il est situé dans la région de l'estomac, quelques centimètres au-dessus du nombril. Il innerve de nombreux organes de l’abdomen et jouerait un rôle décisif dans notre système digestif.  Sa couleur est le jaune. Son élément est le feu. C’est le siège de la vitalité. Les yeux sont les organes qui y sont liés. La Manipura marque le départ de la vie humaine contrairement aux deux premiers qui restent liés aux vies animales antérieures.

 3ème chakra

Phil POWRIE "La vision (svadhistana)"

📖 Poésie
📅 lundi, 07 août 2023 09:00

2. la vision (svadhistana)

 

la pensée est un œil qui enregistre l’image en l’inversant

géométrie des architectures liquides

l’œil s’étale sur tout le corps par à-coups

se durcissant comme une écaille ouverte aux écritures

 

au grand jour il n’y plus d’ombres

tu marches soutenu par les arcs-boutants

ton œil se plisse ton corps se hisse

le monde se cache dans les replis de ta peau

 

la parole est la naissance de ton regard

la parole fait sauter les nœuds musculaires

lambeaux s’affolant à la lumière du phare

 

les six pétales ne cessent de vibrer

les mots s’envolent comme des aigrettes de vent

tout à coup la nuit s’ensevelit au fond du deuxième chant

Gloses

i.    Sensuel, je sortais de ma coquille. J’étais prince. Mon nombril se déroulait afin d’interroger mes premiers interlocuteurs. Je construisais des galeries de miroirs pour capter la mobilité du monde. Il y eut plusieurs symptômes, dont un tourbillon Möbius ; je remarquais une fluidité à fleur de peau, comme si mon corps était un delta. Pourtant je mangeais bien ; mon nombril s’enroulait sagement après mes journées de travail, tel un escargot.

ii.   On parle de l’origine de la parole comme une vibration chuchotée. L’œil ne se voit pas.

 

Note de l'éditeur : Le chakra qui signifie disque en rotation est un point d’énergie situé le long de la colonne vertébrale. Il en existe sept principaux dont chacun a une couleur de l’arc-en-ciel. Dans la doctrine religieuse du tantrisme, le Svadhistana est le second chakra. Il se situe dans la partie supérieure du sacrum, au niveau du pubis. Sa couleur est l’orange. Son élément est l’eau. C’est le siège du Soi et de la création. C’est ici que résiderait le karma des vies précédentes, toujours prêt à se réveiller. Ses graines nous conduiraient à réaliser ce qui est écrit dans notre passé et à en subir les conséquences positives ou négatives. Le karma comprend ce qui peut être rapproché de notre notion d’inconscient.

 

Second chakra

 

Phil POWRIE "La naissance (Muladhara)"

📖 Poésie
📅 jeudi, 27 juillet 2023 11:39

1. la naissance (muladhara)

 

la naissance a lieu un jour où la pluie fait jaillir la lumière

au grand jour il n’y plus d’ombres

on sent le cri qui s’écrase contre la peau de la nuit

une joie terrible se love dans son éclat futur

 

la pensée est l’œuf du souffle

situé à la base de la colonne vertébrale branché sur l’anus

or dur enfoui dans le limon où sommeille

le serpent enroulé dans sa coquille d’air comprimé

 

l’œil somnole pensant sa naissance

lieu de passage — entre-texte — béance

épousant l’univers par le trou de son orbite

 

l’afflux écarlate du souffle torsade les muscles et les ligaments

il y a des vitesses perceptibles à la seule ouïe

dans les quatre coins du corps

Gloses

i.    Ce texte fut retrouvé à la base de ma colonne vertébrale. Je survivais en tant que racine ; chaque souffle me demandait un poids. J’étais éventuel. Deux siècles plus tard on retrouverait un autel fait d’ossements, avec une corde enroulée autour d’un coccyx, et une sève en poussière. Mais le roi ne parlerait plus de moi.

ii.   Il y a une deuxième glose – mais cachée – qui exprime bien la vélocité paramétrique du papillon que je deviendrais. Elle est provisoire.

iii.  Chaque sonnet cristallise une condition de parole. Le problème de l’existence (ou de l’inexistence) est posé dans les deux quatrains, et à la façon pétrarquéenne, la volta des tercets commente et tente de trancher le nœud ontologique et les rhizomes de la parole.

 

Note de l'éditeur : Le chakra qui signifie disque en rotation est un point d’énergie situé le long de la colonne vertébrale. Il en existe sept principaux dont chacun a une couleur de l’arc-en-ciel. Dans la doctrine religieuse du tantrisme, le Muladhara se situe au niveau du périnée. Sa couleur est le rouge. Il ancre notre corps à la terre.

 

 Illustration L'Altérité

Chakra terre