Le Cafard de Ian McEwan, du manichéisme en politique.
Par Eole TOUTAIN
Difficile d'évoquer le dernier roman de l'écrivain anglais sans aborder le Brexit tant ce dernier hante l'esprit de Ian McEwan qui a décidé de régler ses comptes avec les « populistes » dans une satire « à la Jonathan Swift » dixit la 4ème de couverture.
Résumons la pensée de l'auteur. Les Anglais sont des veaux. En juin 2016, le Gouvernement anglais proposait un référendum à ses concitoyens sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne. Le choix était simple et évident. Le Leave (quitter l'UE) c'était la déraison, le ressentiment, la bêtise, le populisme, la guerre, la démagogie alors que le Remain (rester dans l'UE) représentait le pragmatisme, la raison, l'intelligence, la paix. Malheureusement, au grand dam de McEwan et d'autres, les anglais ont voté Leave alors qu'ils devaient voter Remain et l'auteur du Cafard n'a, quatre ans plus tard, toujours pas digéré la décision de ses compatriotes.
Dans sa préface, l'auteur exprime tout le mal qu'il pense des politiciens ayant respecté la décision du référendum, le tout gratiné d'une certaine détestation du peuple. Les trois quarts des députés ont voté pour rester dans l'UE, mais la plupart d'entre eux se sont détournés de l'intérêt national pour se retrancher derrière une loyauté partisane et la « voix du peuple », cette sinistre expression soviétique, cette poudre aux yeux qui a embrumé les cerveaux, endormi la raison, et réduit les chances pour nos enfants de vivre et de travailler librement sur le continent européen1. Ian McEwan déraille totalement dans ses propos dès les premières pages. Si l'on peut reconnaître que le terme « voix du peuple » est souvent galvaudé tant les politiciens de tous bords se prévalent de la porter, on peut difficilement réfuter que le référendum reste l'un des meilleurs représentants de cette « voix du peuple » : on a appelé les électeurs à s'exprimer sur un sujet particulier et ces derniers ont répondu majoritairement à cet appel avec 72,12% de participation. On est quand même loin des bolchéviks ! De plus, Le Cafard a été publié en 2019, soit trois ans après le référendum et l'auteur n'a visiblement pris aucun recul sur les événements. La catastrophe annoncée n'a pas eu lieu. Il est vrai que, dès les résultats, les marchés financiers ont chuté et les agences de notation se sont affolées. Les Cassandre ont jubilé. Pourtant, début 2017, le FMI a annoncé que l'économie britannique avait connu en 2016 la croissance la plus rapide parmi les membres du G7 avec 2 % de croissance, malgré le Brexit et a reconnu que ses prévisions sur ses effets étaient beaucoup trop négatives2. Ian McEwan critique l'impulsivité des politiciens, il pourrait penser à contenir la sienne.
Mais Ian McEwan est chafouin. Au moment de lancer le référendum, le Premier ministre qui était alors David Cameron, avait appelé les électeurs à voter Remain. Mais les Britanniques n'ont pas suivi cette consigne. Imaginez donc : un élève a le choix entre deux réponses, une bonne et une mauvaise, le professeur donne la réponse correcte à l'élève qui n'a plus qu'à l'entourer mais ce dernier choisit la mauvaise, il y a de quoi bouillonner ! On imagine alors la peine de Ian McEwan et son envie d'en découdre avec ces arriérés irresponsables.
Les Français ont commis la même erreur en 2005 suite au référendum français sur le traité établissant une constitution pour l'Europe. Cette fois, il fallait voter Oui, mais les Français se sont trompés et ils ont glissé majoritairement un bulletin Non dans l'urne. A ce moment-là, Philippe Val, directeur de Charlie Hebdo enrage et signe un édito au vitriol contre les personnes de gauche ayant voté Non. Il les désigne comme des "socialistes et nationaux" comprenez donc : ce sont des nazis.
Ce sens de la mesure se retrouve chez le Philippe Val anglais : Ian McEwan qui dans son roman Le Cafard propose une métamorphose façon Kafka inversée. Un cafard se retrouve incarné dans le Premier ministre britannique et va devoir mettre en place la réforme du Réversalisme qui consiste à inverser les flux financiers. Ainsi, le salarié paye son patron, le propriétaire paie son locataire, le client est payé pour récupérer des produits. C'est absurde, mais pas autant que le Brexit ! Le roman est présenté comme une satire. C'en est une. Mais l'auteur se trompe de cible ou alors il n'utilise pas les bonnes cartouches pour ridiculiser la classe politique qui pourtant se démène dans le ridicule. La surenchère ubuesque entre des Boris Johnson, Nick Farage et Donald Trump devrait donner suffisamment d'idées pour les caricaturer sans avoir à pleurnicher ni à dégueuler des jérémiades à longueur de pages car le résultat d'un vote nous contrarie.
Malgré un postulat détestable, quelques satires provoquent un léger rictus. Les passages concernant les réseaux sociaux et notamment Twitter visent assez juste. On se gausse des propos de Trump, Tupper dans le roman, dégainant ses tweets ridicules, sans recul, à la manière d'un poivrot de comptoir. On acquiesce quand l'auteur met en exergue les faits divers instrumentalisés par les politiciens par cynisme et en dépit de la peine des véritables victimes. Mais l'on ne peut s'empêcher durant notre lecture de penser que ce roman est né de la pleurnicherie d'un auteur, vexé et contrarié de la décision de ses compatriotes, qui a décidé de déverser son fiel sur les personnes, stupides, ayant un avis contraire à son opinion. Je ne suis pourtant ni un partisan, ni un opposant du Brexit mais au fil de la lecture, on ressent l'envie pressante de sortir dans la rue avec un drapeau de l'Union Flag sur les épaules, même sans être anglais. On espère toutefois que les prochaines élections britanniques ne seront pas contraires aux convictions de Ian McEwan car l'écrivain pourrait être tenté de faire un nouveau pastiche de Kafka contre ses compatriotes sans aucune autre forme de procès.
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2The UK economy grew the fastest among all advanced economies in 2016 despite Brexit, IMF says » sur dailymail.co.uk, 16 janvier 2017.