Dans Ecrits Pacifistes Giono revient sur « Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix » (1938) et regrette d’avoir été à l’égard de la classe ouvrière si sévère en considérant notamment que la révolution individuelle était exclusivement entre les mains de la paysannerie. Il constate dans ses écrits de 1938 que les ouvriers avaient la maturité et l’autonomie nécessaires pour opposer le pacifisme « de huit-cent mille ouvriers du sous-sol, inscrits maritimes et ouvriers des Ports et Docks » au bellicisme du gouvernement, voire même des partis politiques et des syndicats.
Toute la question se pose alors de savoir ce qu’il entend par révolution individuelle qu’il promeut dans toute son œuvre en raison de sa farouche indépendance d’esprit et de son rejet du grégarisme comme potentiel risque d’hétéronomie, incarné par toute forme d’organisation qu’elle soit étatique, juridique ou idéologique.
Qu’est ce que la révolution individuelle ?
La révolution individuelle, selon Giono, c’est de « vivre dans la mesure de l’homme ». Et l’état de mesure est la pauvreté. Mais qu’on s’entende bien sur le terme pauvreté qu’on pourrait traduire par l’antonymie que Giono emploi lui-même dans un de ses ouvrages intitulé « Les vraies richesses », dans lequel il oppose au monde des villes et de l’industrie la simplicité du travail paysan et de l’artisanat. Voilà la révolution. Il s’agit de rompre avec les désirs artificiels créés par la société industrielle et la vie citadine où le travail « n’est plus à la mesure de l’homme » et produit des biens dont la matière « est agonisante ». Sa philosophie participe donc de l’Epicurisme selon lequel l’homme doit avoir un usage raisonnable des plaisirs en favorisant ceux qui sont naturels et nécessaires car ils lui permettront d’accéder au repos de l’âme. Ainsi, la pauvreté est tout ce qui suffit à la satisfaction de l’homme qui n’a pas d’autre occupation que de vivre en parfaite symbiose avec la nature. Il suffit qu’il ait le manger et le boire. Qu’il ait une terre pour cultiver. Et, cette terre doit être aussi à sa mesure sinon elle perd ses qualités naturelles qui se calibrent à l’aune de ses besoins.
Vivre dans la pauvreté est une révolution individuelle car l’homme est perçu par Giono dans sa pureté : « c’est l’homme qui n’a pas besoin de société, qui ne compte pas sur la société, qui se suffit à lui-même ». Quels sont les hommes capables de faire une telle révolution ? Ce sont les paysans auquel Giono adresse sa lettre parce que, dit-il « vous êtes les maitres de votre nourriture et de la nourriture de tous les hommes. Votre libération entrainera la libération de tous ». Ainsi, l’homme pauvre est un homme riche. Désormais, il invite aussi le prolétariat à faire cette révolution individuelle après l’avoir écarté à cause « de l’image que le parti communiste faisait des ouvriers » .