Coronachronique N°22 14/4/2020

📅 14 avril 2020

Coronachronique N° 22 14/4/2020

 

Vingt-neuvième jour de confinement.

98 076 personnes déclarées atteintes du coronavirus.

2 673 de plus qu’hier.

14 967 personnes décédées (décès en EHPAD inclus).

574 de plus qu’hier.

Le taux de létalité est de 15 %.

La courbe des cas recensés de coronavirus continue de s’infléchir.

 

Suite de l’épisode précédent.

 

Mes lunettes sont embuées. Je ne vois plus devant moi et même si je les déchausse, les cataractes qui s’effondrent sur moi font un rideau si dense qu’elles compromettent toute visibilité. Le poids de l’eau me cloue au sol et m’oblige à descendre de vélo. Sur ma gauche, une jolie maison de pierre est assise dans un coquet jardinet. Sous l’auvent, une femme regarde la pluie tomber. Je m’approche du portillon. Je la hèle. Son port est altier. Elle est élégamment vêtue d’une robe longue de style champêtre cependant incongrue dans cette châtaigneraie demeurée très rurale. Je lui demande quelque hospitalité le temps que l’orage se calme. Je sens bien qu’elle se méfie bien que j’aie enlevé mon casque et mes lunettes. L’eau me ruisselle sur les cheveux et les cheveux, sur le visage. Alors, elle me montre du doigt un magnifique sapin bleu déployant ses branchages jusque sur le toit de lauzes et dans un geste large, elle m’offre cet abri en espérant, dit-elle, que j’y prenne une pause. 

Je n’insiste pas. Sans autre forme de procès, je quitte ce lieu où l’on se moque de moi. En vérité, cette donzelle est sans aucun doute une citadine venue jouer en cette période estivale à la bergère comme le fit en son temps, dit-on, Marie Antoinette en son hameau du château de Versailles. Tandis que j’enfourche mon vélo pour aller me faire voir ailleurs, cette aventure me rappelle une histoire que me conta un de mes amis : Un pauvre hère sans le sou broutait, comme une manière de repas, une herbe rare. Le châtelain du lieudit sortant de sa demeure voit cet homme démuni. « Hé bien, lui dit-il, que faites vous en ces lieux ? ». L’autre lui répond : « Voyez-vous, je déjeune en ces temps difficiles ». « Mais quelle indigne situation ! » s’émeut le châtelain. Il ouvre au mendiant toutes grandes les grilles du château et lui montre d’un large geste l’étendue de ses terres. Puis, l’invitant à pénétrer en son domaine, il lui dit « Installez-vous mon bon ami, ici l’herbe est haute comme ça ». 

Le souvenir de cette histoire, dont je ne me serais jamais douté que j’en puisse vivre une expérience similaire, me fait rire. Mais il ne règle pas mon problème. Maintenant, la foudre et le tonnerre sont presque simultanés. Et quoiqu’en dise Marie-Antoinette, je ne peux me permettre de m’abriter sous les arbres qui sont, au demeurant, légions en ce coin de la Corse. 

C’est un peu plus loin que j’aperçois un cabanon de pierres sèches dans un enclos longeant une rivière noueuse. Je pose mon vélo contre la clôture que j’escalade. Je me précipite vers la porte que, par bonheur, je trouve ouverte. La pièce est meublée d’une grande table et de deux bancs de gros bois. Elle s’appuie au fond sur le rocher. Le sol est en terre battue. A ma droite, se tient une cheminée où j’entends le vent s’engouffrer. A gauche, claque le vantail d’une fenêtre mal fermée que je repousse et bloque définitivement. La poussière et les toiles d’araignées qui recouvrent les murs laissent deviner que le cabanon est rarement occupé. Mais il y a des fagots de petit bois et des buches près de la cheminée sur la tablette de laquelle des allumettes sont posées. Je sais qu’elles ne sont pas là par hasard. Ici, parfois, le bien privé est aussi le bien commun. 

Dehors, l’orage s’est déchainé. La foudre siffle, elle crépite. Le tonnerre claque immédiatement après. La rivière gronde. Le toit résiste et sur la tôle la pluie fait un terrible tintamarre. Voilà un confort bien spartiate que j’estime à sa très haute valeur et je ne dédaigne pas d’écouter sur les carreaux le claquement de la pluie que j’ai laissée dehors. J’allume un feu. Je me déshabille et pose sur le dossier d’une chaise bancale mes vêtements détrempés. Il me reste à étaler sur la table le contenu de mon sac : mon téléphone marche encore, ma carte routière n’est plus qu’une soupe de papier, mon portefeuille de cuir a doublé de poids et ma petite lampe de poche s’allume intempestivement. Je m’assieds près du feu et malgré le mois d’aout, j’apprécie de sentir, contre mon dos, la chaleur de l’âtre.  

Quelques minutes passent. Je laisse s’égarer mon regard qui se trouble et mon esprit qui s’apaise sous l’effet de quelques endorphines. Combien de temps l’orage va-t-il durer ? Je suis à soixante dix kilomètres de chez moi… 

A suivre…