Coronachronique N°6
Onzième jour de confinement.
25 233 personnes déclarées atteintes du coronavirus.
2 933 de plus qu’hier.
1 331 personnes décédées.
231 de plus qu’hier.
Le taux de létalité dépasse les 5%.
La courbe n’a pas commencé à s’infléchir.
Si en grec, le terme économie veut dire « gestion de la maison » et si par extension le mot signifie gestion de la répartition des richesses d’une société, il ne faut pas se tromper : on ne gère pas un Etat comme on gère une maison. Partant de ce constat, il faut clouer le bec à ceux qui comparent la gestion de la maison par le bonus pater familia à celle d’un Etat. Car le bonus pater familia ne fait pas de dette et il équilibre son budget. Un Etat qui a le sens du bonheur citoyen et de la chose publique ne doit pas avoir cette préoccupation ou alors il est soumis au dogme des libéraux qui, avant d’exiger de l’orthodoxie financière au titre d’une gestion saine des affaires, assèche le circuit financier en liquidité (en réduisant de manière démagogique les impôts par exemple) pour mieux installer son crapuleux dessein.
En économie, il y a ceux qui font semblant de croire à la magie du marché et ceux qui préfèrent l’arbitrage des hommes par le truchement d’un Etat. La magie du marché c’est son autorégulation que des modèles mathématiques abstraits - voire abscons - tentent de rendre crédible. Abstraits parce qu’ils tournent en laboratoire sur des ordinateurs et qu’ils font fi de l’humain. Abscons parce qu’il y a ceux qui savent et les autres, et les autres sont toujours intimidés par la morgue de ceux qui savent.
L’économie s’est dotée d’une science appelée la science économique. C’est une science humaine c'est-à-dire en réalité un oxymore puisque les comportements humains sont, par nature, imprévisibles à plus forte raison lorsqu’on tente de les agréger dans des chiffres qu’on appelle des agrégats. On sait qu’en matière de comportements humains, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets. Par exemple, l’augmentation du revenu des ménages ne va pas nécessairement fouetter la consommation s’ils décident, notamment, d’épargner. A ce titre, les mathématiques sont donc lettres mortes. Mais qu’importe car ces fictions séduisent tellement notre désir de rationalité qu’on va jusqu’à « nobéliser » (nobé-lisser ?) leurs auteurs et par voie de conséquence leurs écoles (de Chicago). Les hypothèses qu’ils posent sont censées déboucher sur des perspectives tellement normatives qu’elles frisent le dogme au point que les propositions alternatives lancées par l’opposition (qui n’est plus que très minoritaire) sont perçues comme fantaisistes. C’est l’argument massue du TINA : « There Is No Alternative ».
L’autorégulation dogmatique suppose donc que l’Etat n’intervienne pas dans l’économie. D’où son désengagement, notamment dans les services publics. Par une pirouette rhétorique, on laisse entendre qu’ils constituent des monopoles néfastes pour le marché et pour les grands équilibres défendus bec et ongles par les tenants de l’orthodoxie financière, (la fameuse gestion du bonus pater familia). A ce titre on les ouvre à la concurrence et on transforme une nécessité régalienne en produits ou en services marchands dans un but de profits exclusivement réservés aux apporteurs de capitaux qui se prennent pour l’élite. Ils sont donc soustraits à la collectivité qui y aurait eu accès gratuitement. La santé, les transports, l’éducation, les retraites et même l’armée sont, depuis une trentaine d’année, en voie de privatisation.
Même les américains qui ne sont pas réputés pour être de dangereux gauchistes sont interventionnistes a fortiori en temps de crise. La nouvelle donne de Franklin Roosevelt en 1930 est un exemple de politique économique réussie grâce à l’instauration d’une régulation des marchés que le libéralisme avait négligée. Depuis la crise du coronavirus, c’est l’exemple historique qu’on cite le plus souvent pour se dire que finalement, l’Etat (et corrélativement les impôts versés par les contribuables car on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre) c’est pas si mal que ça.
Mais l’homme a la mémoire courte et la dérégulation a repris malgré d’autres crises et d’autres krachs boursiers. Le dernier, antérieur à la crise du coronavirus, date de 2008 où l’on se souvient comment les Etats sont encore intervenus pour soutenir les banques en grandes difficultés qui avaient spéculé sur des titres pourris.
Hier monsieur Macron, avec un air affecté, s’est exprimé à Strasbourg, dans la région du grand Est particulièrement touchée par la contamination. Il a promis, outre le paiement d’heures supplémentaires et de primes qui constitue une insulte au personnel soignant revendiquant depuis des années une amélioration du système de santé, un plan d’investissement et de revalorisation des carrières. En attendant, on court toujours après les masques, les respirateurs et autre matériel indispensable pour sauver les personnes atteintes par la maladie.
Ainsi, à chaque crise se repose la question du changement de paradigme économique. Combien de morts faut-il pour comprendre que le rôle d’un Etat est de dépenser pour la collectivité qui n’est d’ailleurs pas étrangère à ce financement du bien commun et que le terme de rentabilité doit être proscrit du discours politique quand il s’agit du bien-être national ? Parler d’argent, de coûts, de charges, de budget déficitaire, de critères de Maastricht est non seulement injurieux et mesquin pour la collectivité mais n’a pas de sens lorsqu’on a compris que l’argent n’est qu’une pure fiction facilitant les échanges dans un monde que la massification des structures déshumanise. Et que sur ces considérations théoriques, doit primer la joie et le bonheur de l’homme.