TOKARCZUK Olga « Dieu, le temps, les hommes et les anges ».
Le village d’Antan se situe nulle part mais il se situe en Pologne. Il est au milieu de l’univers mais il est sur la terre. Il n’a pas de frontières mais il est délimité. On ne peut les franchir mais elles sont franchissables puisqu’au-delà de cette utopie, il est possible de se rendre ailleurs. Mais « Qu’est-ce qu’on en a à faire d’autres mondes ? »[i] Quelle utopie d’ailleurs puisque le quotidien de ses habitants est le quotidien de tous avec l’amour, la haine, la politique, l’ennui, le péché, les mariages, les naissances et les décès. Le temps passe comme partout et même très vite puisqu’en 400 pages, trois générations se succèdent. Le lecteur (comme les membres des familles Divin ou Céleste) s’étonne d’en être là où il est (là où elles sont) sans avoir vu venir l’instant fatal du livre qui se ferme (ou de la vie qui s’éteint).
Et quid de Dieu dans le temps de cette fiction qui n’en est pas une ? Car la guerre est présente comme dans l’Histoire. Celle de 14 et celle de 1939 avec leurs horreurs caractéristiques d’un vrai passé. Un passé qui pèse sur des mémoires pourtant aussi volatiles que l’esprit d’un châtelain Popielski, d’une Glaneuse ou d’un Mauvais Bougre.
Ce petit peuple est lesté à Antan par un quotidien d’une affligeante banalité. Il est confiné entre deux rivières, la Noire et la Blanche, d’où sourdent, comme l’eau vive, la poésie d’un conte de noël et le chant d’une nature aussi vivante que lui.
Et Dieu, donc ? Il est un bon comptable et surveille les rubriques « crédit », « débit »[ii] comme le Dieu de Leibniz qui recherche l’optimum de bonheur dans un monde ou il n’a pas de pouvoir sur le mal qui est. Le mal est, un point c’est tout. Il faut faire avec. Mais l’homme n’est-il pas à l’image de Dieu également comptable de sa foi qui lui sera comptée[iii] ou des zlotys qu’on lui calcule à la messe lorsqu’au cours de la quête il achète son enterrement avant d’acheter son salut ? Dieu est bon mais il est méchant car dans sa multiplicité créatrice, il divise pour mieux régner. Mais Dieu est-Il le Créateur ou la Créature ? Il est infini, éternel, immuable et parfait mais il s’est arrêté en chemin de la perfection et se désintègre. Tout cela n’est, finalement, que vanité. Le châtelain Popielski a la « certitude que le monde va à sa fin, que la réalité se désintègre comme du bois vermoulu et que tout cela est dénué de sens »[iv]. C’est le leitmotiv d’Olga Tokarczuk qu’elle raconte aussi avec beaucoup de poésie dans « Sur les ossements des morts ».
Dieu est-il ? Ou les hommes sont-ils Dieu ? Il sont Divin et Céleste. Divin siège sur le toit du château et de son souffle immense, il chasse les gens dans tous les sens. Et le vieux juif n’est-il pas plus puissant que Dieu car il rassérène le châtelain Popielski avec sa philosophie. Comme Socrate, il n’a pas réponse à tout. Il a question à tout. Et Olga Tokarczuk, n’a-t-elle pas aussi question à tout ?
[i] Olga Tokarszuk, « Dieu, le temps, les hommes et les anges » chez Robert Laffont, collection Pavillon poche, page 168.
[ii] Op. Cit. page 15.
[iii] Op. Cit. page 197.
[iv] Op. Cit. page 110.