Jean Echenoz Envoyée spéciale chronique par Hervé ROSTAGNAT

📅 20 février 2018

Un militaire, dont on apprend plus tard qu’il fait partie des services secrets, appelé le général Bourgeaud et accompagné de son fidèle lieutenant Paul Objat allias Victor, souhaite une femme. Il fomente le rapt d’une dénommée Constance[1]. Elle est mariée à un ancien producteur à succès de variétés Lou Tausk qui ne s’intéresse d’ailleurs que de très loin à son sort puisqu’il est entre les mains successives de deux secrétaires de l’avocat Hubert son demi-frère cadet.[2] Le kidnapping est exécuté par des hommes maladroits et bien gentils tels que Jean Pierre et Christian. Au début on croit que le général veut se la faire et que c’est une commande loufoque style abus de pouvoir, mais non. Il souhaite l’introduire en Corée du nord dans le but de séduire un apparatchik afin de l’exfiltrer. Pour réaliser cette opération racontée de manière burlesque, les hommes du général la détiennent dans une maison perdue de la Creuse puis, comme ils s’attachent à elle et elle à eux (syndromes de Stockholm[3] et de Lima[4] synthétisés dans un syndrome qu’Echenoz dénomme le syndrome de la Creuse), ils décident de l’éloigner et la cachent dans le cockpit d’une éolienne. Mais Victor finit par la découvrir et elle doit exécuter sa mission qui échouera lamentablement. N’oublions pas un certain Pognel, également membre des services secrets, un brin taré puisqu’il tire sur tout le monde sans nécessairement le vouloir et qui ne dédaigne pas non plus le coup de poing comme Paul Objat qu’on ne soupçonnait d’ailleurs pas d’être capable de se débarrasser des « combinaisons noires » avec autant d’efficacité.

On pourrait raconter encore des détails, évoquer d’autres personnages mais quelle importance car cette histoire d’espionnage n’est qu’un prétexte à comédie, à construction complexe (c’est le dada des Editions de Minuits) à de multiples digressions et à des apartés qui rappellent sans cesse au lecteur qu’il est dans une fiction mais ça, il lui est impossible de l’oublier.

Bon. A part ça, pas grand-chose. Il faut aimer les histoires d’espionnage. Je n’aime pas ça. Il faut aimer les comédies et je n’aime pas ça. Il faut aimer le genre burlesque et je n’aime pas ça. Il faut aimer les constructions complexes mais elles ne se suffisent pas en elles-mêmes. Et il ne faut surtout pas avoir lu San Antonio qui excelle dans l’apostrophe du lecteur et dans l’humour décalé. Et là, Echenoz est très loin de la truculence du feu Fréderic Dard. Si les Editions de Minuit sont connues pour avoir promu la nouvelle vague littéraire et des auteurs tels que Robbe-Grillet, Claude Simon, Nathalie Sarraute ou Samuel Becket, elles éditent là un roman dont les figures de style paraissent bien artificielles et éculées.

Quid de la réception critique du roman ? Excellente comme on pouvait s’en douter. Les chroniqueurs ne tarissent pas d’éloge et usent un peu facilement me semble-t-il de superlatifs tels que ceux qu’on lit dans les encarts publicitaires des journaux ou des revues littéraires : « l'écrivain tisse un dispositif romanesque complexe et génial » (Télérama), « Difficile d'imaginer plus beau cadeau de début d'année ; un joyau pur, un enchantement de tous les instants, un monument d'humour, un hymne à la langue française. » (L’Express), Un petit régal de cette rentrée d'hiver (Culturebox).

Il est même fait référence, dans un article[5], à Georges Perec et à son roman Les Choses au motif probablement qu’Echenoz use et abuse des marques de fabrique pour dénommer dérisoirement les objets qu’il évoque. Mais depuis bien longtemps, la littérature américaine est coutumière de ce procédé. En revanche, il n’est jamais fait référence à Frédéric Dard. Mais pourquoi s’en étonner ? Soit les chroniqueurs ne l’ont pas lu et ils ne savent pas qu’un maitre du polar dérisoire a depuis longtemps dominé le genre. Soit ils l’ont lu mais ils n’en parlent pas car le roman dit de gare n’est ni présentable ni objectivement concurrent de la prestigieuse ligne éditoriale des Editions de Minuit.

[1] Qu’un chroniqueur appelle Solange ! http://www.lacauselitteraire.fr/envoyee-speciale-jean-echenoz

[2] Et non son frère ou son cousin comme le précisent (mal) d’autres chroniqueurs littéraires qui ont adoré le livre mais ne l’ont pas bien lu. http://www.telerama.fr/livres/envoyee-speciale,136362.php ou https://fr.wikipedia.org/wiki/Envoy%C3%A9e_sp%C3%A9ciale

[3] Syndrome selon lequel les victimes d’un rapt défendent leurs agresseurs.

[4] Syndrome selon lequel les agresseurs défendent leurs victimes.

[5] http://www.telerama.fr/livres/envoyee-speciale,136362.php