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Paris, le 12 juillet 1965 |
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Louis Hérault
10, Avenue des Ternes
Paris 17ème
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Sion sur l’océan
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Canard salé et rougi par la mer et le soleil,
Tu vois que je ne fais pas de progrès pour la rapidité ! Ta lettre est arrivée depuis huit jours, et depuis huit jours, je me promets d’y répondre. Devant tes justes réprobations, je ne peux que me voiler la face. Je commence donc par répondre à ta question : oui, ma mère sera là, nous avons l’habitude de louer chaque année un studio à la pension de La Corniche. Tu vois sûrement où se situe cette pension, juste devant la plage des Bussoleries. On trouvera l’occasion de boire un apéritif avec maman mais, je te préviens, elle est un peu sauvage, assez solitaire et pas très communicative.
Ton deuxième reproche consiste à m’en vouloir de ne pas me confier plus ouvertement. Si je te disais tout de ma vie de garçon, tu serais horrifiée. J’ai été gourmand (tous les jours), léger, prodigue, jouisseur, paresseux, j’ai de plus levé les yeux sur la femme de mon prochain, tu vois je n’ai pas à me vanter de mes activités parisiennes ! Si tu ne m’avais pas abandonné, je n’en serais pas là, à donner des coups de pied aux mendiants comme je le fais tous les soirs.
Trêve de plaisanterie. Fait-il toujours beau ? Les nombreuses (si l’on veut) lettres que je reçois de là-bas me donnent des informations contradictoires. Avant de partir, j’aimerais bien savoir ce qui m’attend. Je te prie donc à genoux de me faire parvenir un bulletin très détaillé de la situation météorologique.
Je travaille modérément juste histoire de conserver des habitudes réputées bonnes. Ici la chaleur est étouffante, je sors car on a moins chaud au cinéma. J’ai vu ou revu plusieurs films : Quai des brumes, Drôle de drame, Hiroshima mon amour, et YoYo de Pierre Étaix. Je mange raisonnablement, et me couche tôt. Hantes-tu toujours la pénombre de la boîte de nuit La Croisette ? Je ne sais que penser de tes fréquentations estivales. Profites-en car au mois d’août tu vas trouver du changement ! Heureusement que tes occupations commerciales de la journée ne te laissent que peu de liberté !
Dis à Martine que j’arriverai le 2 août, elle m’a téléphoné hier et je ne savais pas encore la date exacte de mon départ, dis bonjour au reste de la bande. J’ai hâte de vous voir. À partir de cette date nous ne nous quitterons plus.
Je t’embrasse. Louis.
Photo Michel Rosse
