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"Dis, quand reviendras-tu" de Marie Christine ROSSE 18/103

📅 01 octobre 2025
Episode 18/103

 

Paris, le 2 juillet 1965

Louis Hérault
10, Avenue des Ternes
Paris 17ème
Lucie Dumontel
14, Avenue du Roule
Neuilly sur Seine

 

   Ma délicieuse Lucie,

   Vendredi en te quittant, j’ai eu de la peine à te voir partir en Vendée sans moi.

   J’espère en restant à Paris que le temps passera vite. Je vais me partager entre mon stage à Paris et mes weekends à Orléans où je dois aider ma mère à quitter son pavillon. Elle s’installe dans un appartement situé plus près de l’hôpital où elle travaille. Ce déménagement me fera perdre sûrement quelques précieux kilogrammes.

   J’ai repris ce matin le chemin du 68, Faubourg St Honoré. J’ai beaucoup de travail à EDF où je ne fais que vérifier des bordereaux et je crains qu’à ce train électrique-là mes bonnes résolutions ne disparaissent. Quand je pense que j’aurais à rendre un rapport de stage à la fin du mois, je désespère.

   Ce soir, je rêvais de te trouver à m’attendre devant ma porte. La chaleur torride qui règne à Paris me fait regretter mes laborieuses résolutions de travailler tout le mois de juillet. D’autant plus que certains privilégiés comme toi appellent de leurs vœux le soleil pour s’y brunir à leur aise. En un mot, mon épuisement est total et j’espère que tu voudras apprécier à sa juste valeur l’effort que je fournis pour toi ce soir. Heureusement, un orage providentiel vient d’éclater et va rafraîchir l’atmosphère.

   Tu te demandes ce que je fais pendant mes heures de loisir à part le foot. J’écoute du jazz : Louis Amstrong, Duke Ellington, Fats Waller, ou encore Art Tatum etc… J’ai toute une collection de 45 tours que j’écoute en boucle sur mon tourne-disque.

   Le soir je lis, j’ai dévoré le livre Georges Conchon : l’état sauvage. C’est une fiction formidable qui m’a fait voyager avec le narrateur en Afrique où il est parti en mission. C’est aussi une histoire d’amour assez triste.

   Tu trouves que je ne me livre pas assez. J’ai un peu peur de moi, je m’esquive souvent d’une pirouette pour ne pas en dire trop. J’attends toujours quelque chose et je ne voudrais pas hypothéquer aujourd’hui ce dont je pourrais avoir besoin demain. C’est peut-être une attitude égoïste mais je suis ambitieux et j’estime – à tort ou à raison – que pour réussir il faut d’abord penser à soi. C’est seul et capable de sacrifices que l’on réussit. L’idéal serait : une attitude égoïste dans le travail doublé d’un tempérament généreux dans les relations humaines. Je sais très bien que mon attitude est parfois trop tranchée et dure mais j’essaye seulement à ne pas faire trop de concessions.

   Je te décris mon comportement. Remarque bien je ne suis pas voyant et je peux me tromper complètement sur moi-même.

   Je t’écris maintenant une lettre plus sérieuse : Lucie, je veux être sûr que nous ne sommes pas ensemble juste pour un court moment. Je te préviens, je préfère m’enfuir en gardant le souvenir d’un amour très beau plutôt que te voir te désengager lentement. Je ne peux imaginer que tu me fasses regretter de n’avoir pas réussi à accéder à ton monde, un monde qui m’attire par sa diversité tellement différente de ce que j’ai connu. J’ai vraiment apprécié ce moment que nous avons passé chez ta grand-mère. Elle m’est apparue comme une dame très moderne qui ne s’encombre pas de principes un peu comme toi.

   Au fait, j’ai réussi tous mes examens, j’ai mon diplôme de Supelec en poche. J’ai très envie de me spécialiser en hydraulique.  On va faire la fête samedi soir, on nous prête la cantine pour y organiser un buffet campagnard, je vais tenir le bar.

   À la rentrée de septembre, je dois malheureusement penser au service militaire car je n’ai plus de sursis. J’ai envoyé des lettres de candidature pour un poste de coopérant à l’étranger, mais je n’ai reçu aucune réponse positive pour le moment.

   Je pense bien à toi et je t’embrasse. Louis.  

                                              

 Photo Michel Rosse

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