« En Corse » de Jean-Claude Crespy ou une recherche de la vérité.

📅 04 juin 2025

   Dès le premier poème, « La rade de Toulon » Jean Claude Crespy donne le ton de son recueil « En Corse »[1]. Le titre, d’abord, rappelle le carnet de voyage de Joseph Kessel intitulé « En Syrie » qui évoque la complexité pour le colonisateur de faire de la politique étrangère au Moyen-Orient en raison d’une diversité culturelle que l’occident est incapable de maitriser : « vingt-sept religions, écrit Kessel en parlant de la Syrie, dont chacune tient lieu de nationalité ».

   « En Corse » est le carnet de voyage de Jean-Claude Crespy sur l’ile, qui avance dans Le Palais Vert avec les précautions et la délicatesse d’un homme éclairé. Non seulement il évite l’écueil des clichés pittoresques qui participent d’une ignorance de l’ile par ceux qui la réduisent à un pur objet de consommation, mais il progresse dans son ouvrage avec un souci historique qui lui ouvre les portes d’un Palais dont il n’ignore pas les ruines d’une malheureuse sanctuarisation. Quid en effet de « La rade de Toulon » ? Ici, ça pue le Styx et le vieux telle la dernière traversée vers le monde perdu que rejoignent des retraités en adoration du Dieu Napoléon. Ça pue le tour opérateur et le paradigme capitaliste inspiré de l’hégémonique plan Marshall tandis que çà et là gisent les carcasses d’une flotte sabordée en réponse à un autre colonisateur venu occuper la France libre dans le but de participer, avec les italiens, à la « protection » de la Corse.

   Voilà, nous montre Jean-Claude Crespy, dans une trentaine de textes d’une grande beauté poétique, une Corse qui se construit, de l’antiquité jusqu’à nos jours, contre la convoitise et l’oppression, abritant un peuple habitué à la sédition face à l’ennemi – phéniciens, étrusques, carthaginois, romains, pieds noirs et flics en tout genre – forgeant une résistance résistant jusqu’à l’illégitimité de bandits, nationalistes, justes et maquisards.

 

« Il a tout essayé rencontré chaque édile

sondé les autochtones, trublions et factieux

passé des nuits à parcourir des cartes

où tout semble proche et soudain si facile

s’il n’y avait le passé les luttes d’Aléria

les morts si lourds sur les balances d’Etat

Qu’est-ce que la vérité ? - ... »[2]

   

   Jean-Claude Crespy poursuit son voyage entre le lustre du républicanisme Paolien et la luxuriance de l’oubli, entre la pubescence d’une ile hérissée d’arbousiers, de châtaigniers, de chênes dévorés de lichens et de lierre et de chemins perdus autant dans les restanques au vert flocage que dans l’indépendance politique, entre les plages désormais vaines, fluorescentes de parasols et la gloire de l’antique commerce alimentant Rome d’huitres, de sel et d’amour, inhumée sous les tumulus. A quoi bon la citadelle de Corte et la tour de Nonza si la Corse reste béante aux déferlements saisonniers et aux subsides continentales palliant une désertification néanmoins richement sauvage de fruits pourrissant profitant aux porcs en divagation ; à quoi bon les leçons de Ponte Nuovo si l’indigène à son tour est venu grossir la coloniale pacifier l’Algérie.

   Mais comme cette mort lente est belle et délectable. Telle que l’ocre pelage de la vache sacrée, telle que l’octobre aux talures surées résonnant des chasses et du tintement des cloches. Telle que la messe des morts ou le chant des anciens aux âmes mortes dans les ténèbres urbaines, dernières vigies postées dans les villages accrochés au flanc de la montagne et chauffés au feu d’arbousier.

 

« J’inspire l’automne et les bois consumés

sous ce culot de feuilles grasses et humides

bridant la flamme à un faible tirage

déliant lentement les parfums du bois mort

pour des bouffées de cuirs de chypre et de boisées :

bûches de hêtres de chênes morceau de liège

châtaigniers réhaussés d’herbes aromatiques

quand le feu ouvre leurs gousses de brindilles

se fondant en un encens léger

rustique immémorial qu’on reconnaît –

dernier parfum de cette terre avant l’hiver »[3].

   

   Voilà la Corse de Jean-Claude Crespy, ode d’amour et de nostalgie, de convictions et de circonspection. Voilà la Corse entre le beau et le laid, entre l’avant et l’après, entre l’ancien et le moderne. Mais si le moderne est triste dans le silence et l’abandon, l’ancien est pauvre et frugal. Qui est juste ou criminel ? Oppresseur ou libérateur ?

Mais qu’est-ce que la vérité ?

 

[1] Jean-Claude Crespy « En Corse » chez Encres Vives Collection Lieu N° 416 Printemps 2025

[2] Ibid. page 37 poème intitulé « La sainte face » (II).

[3] Ibid. page 12 poème intitulé « Les feux d’octobre ».

 

Photo L'Altérité

José N et B