Un photographe professionnel décide de quitter le milieu de la photographie pour devenir écrivain. Mais alors que son premier métier permettait, à lui et à sa famille, de vivre confortablement, il doit désormais pour survivre, adopter mille et un métiers manuels qui le rémunèrent insuffisamment et qui lui font connaitre les affres d’une pauvreté dont il se dit, pourtant, que la sienne est relative.
Sa famille et son entourage se détournent de lui par honte ou par incompréhension en considérant que, de toute manière, il a cherché son nouveau sort et qu’en conséquence, il mérite ce qui lui arrive. Jusqu’où va le libéralisme…
Ce roman, bien construit, fluide et non dénué d’humour nonobstant la noirceur de certaines situations, présente trois aspects. Il raconte l’histoire très privée du narrateur, qui est aussi l’auteur, sur le ton de l’anecdote légère. Il évoque les différents métiers exercés, les difficultés rencontrées, les souffrances physiques où il voit son corps progressivement se détruire, les rencontres cocasses, les rapports nouveaux qu’il noue avec les ouvriers de l’ubérisation de la société et les personnes qui l’emploient et qui usent, sans vergogne, des plateformes numériques où chacun peut s’inscrire afin de proposer ses services au moindre coût. Autrement dit, il fréquente deux mondes : l’un, plutôt aisé auquel il a appartenu, non dénué d’éthique d’ailleurs pour ce qui concerne le milieu familial dans lequel il a grandi, contrairement aux bourgeois contemporains qui profitent, sans conscience, des travailleurs ubérisés. L’autre monde auquel il appartient désormais, celui de la pauvreté, est constitutif du coût à supporter pour assouvir sa passion de l’écriture.
Le second aspect de ce roman est économique où l’on voit le narrateur se distancier de sa vie quotidienne pour analyser de manière empirique et pourtant assez détachée, un système économique absurde responsable de ce que les économistes appellent pudiquement les externalités négatives : pauvreté, humiliation, soumission, esclavage, fractures sociales, exclusions, pollution, dérèglements climatiques, charité institutionnalisée, bureaucratie, etc…
Le troisième aspect est d’ordre artistique et illustre le peu de cas que la société industrielle fait de l’artiste lorsque l’Etat et les collectivités territoriales réduisent, au motif de réaliser des économies budgétaires, les subventions indispensables aux spectacles de toute nature. Car l’auteur, qui ne touchent que 250€ par mois de revenus grâce aux petits travaux qu’il réalise, n’est pas un inconnu en quête d’éditeurs. Il est un écrivain qui publie. Il fait donc partie des rares privilégiés qui ont été retenus par une maison d’édition et qui ont réussi à vendre 5000 exemplaires de leur ouvrage. Pire encore. Car si ce dédain de la société s’exerce contre un artiste, il s’exerce aussi contre un artiste qui publie. Il s’exerce encore contre un artiste qui publie et qui est reconnu par le public et par la profession puisque il est lauréat de plusieurs prix littéraires : prix de la nouvelle de l’Académie Française (2023), prix du roman d’entreprise et du travail (2024), prix SGDL du premier recueil de nouvelles 2013.
Pauvre, l’auteur de « A pied d’œuvre » ? Nenni. En tout cas, pas suffisamment pauvre pour recevoir la totalité du RSA. Car il reçoit quelques petits virements de sa maman. Et il ne les a pas déclarés…