"Comment Milos C. est entré dans ma boite à lettres" de Donna Alovesti (44/80)

📅 02 avril 2025
                                                                   Episode 44/80                                                                                  

 

Paris le 30/10/2021 
Donna Alovesti
119, rue des P.
75 Paris
Justizanstalt
Milos Ć. HNR, 176728
Leobersdorfer Strasse 16
2552 Hirtenberg – Autriche 

 

   Bien reçu votre lettre du 15 octobre ! Je me doutais un peu de votre réaction. Vous êtes plus têtu qu'une bourrique ! Et vous êtes comme moi : à votre âge, vous ne changerez plus ! Je vous propose de mettre un terme à la controverse (contestation, débat, discussion, dispute, explication, polémique, querelle) sur votre compte bancaire pénitentiaire. Ça ne vaut pas la peine de s'étriper (se battre, se disputer) là-dessus ! Voyons, Milos ! Vous avez le droit de détenir une somme de 1545 euros, pas plus. Qu'est-ce que ça représente ? C'est minable (petit, ridicule, mesquin, pitoyable) ! Si j'alimente votre compte, c'est parce que je pense à votre sortie. Avec 1545 euros vous pourrez tenir quelques jours, au mieux quelques semaines. Je ne peux pas supporter l'idée que vous aller redémarrer votre vie sans un kopeck dans la poche, ça n'est pas possible. Cette somme limitée, je veux que vous puissiez en disposer en totalité le jour venu. Et donc, lorsque vous dépensez un peu d'argent pour améliorer votre ordinaire (agrémenter, rendre meilleur, plus satisfaisant), je comble le trou. Vous n'allez pas faire un drame à cause de ça ! Franchement, ça n'en vaut pas la peine ! Ça n'a aucun intérêt. C'est nul ! Et si ça vous tracasse (obséder, tourmenter, préoccuper) à ce point, disons que vous me rembourserez un jour, voilà tout ! Est-ce qu'on peut passer à autre chose ? Allez, Milos, faites un effort. Nous avons mille autres sujets de conversation. On ne va pas « passer le réveillon » là-dessus ! Vous me dites que vous avez l'intention d'utiliser la force pour me remettre dans le droit chemin, que puis-je faire ? Je ne suis pas de taille !

   Mais il y a quelque chose, lieber Milos, à quoi vous n'avez pas du tout pensé.

   Supposons que « me tenir étroitement embrassée , serrée dans vos bras, pour que je ne puisse pas m'enfuir » ne produise pas sur moi le résultat que vous escomptez mais exactement l'inverse, c'est-à-dire non pas des frissons de peur mais des frissons... de plaisir – ça n'est pas incompatible même si ça fait... un peu mal.

   Oh Milos ! Je n'ai pas pu résister à cette délicieuse provocation ! Comme vous savez, nous ne sommes pas des débutants et j'ai un peu plus d'ancienneté que vous (je suis obligée de le rappeler à mon corps défendant, car je dois anticiper votre déception...), l'esprit humain est d'une complexité infinie dans ce domaine ...

   Dans cette hypothèse donc, au lieu de vous répondre les yeux dans les yeux : « da, da, razumem Oui, oui, j'ai compris », peut-être que je pourrais dire : « Da, da, encore, encore » mais en fermant les yeux ...

   Si c'est le cas, votre projet de me rééduquer serait tout simplement raté, un échec total !

   Il vous reste maintenant à réfléchir à une autre manière de procéder pour me faire rentrer dans le rang ! Vous devez travailler sérieusement à un plan B ! Bon courage !

   Vous me parlez de « réciprocité » indispensable pour que l'amitié soit « harmonieuse » ajoutant « cela est impossible en ce moment, donc dans ces beaux sentiments se mêle une certaine dose d'inconfort et d’inconvenance qui me met mal à l’aise parfois »

   C'est vrai, mais la réciprocité dont vous parlez n'est pas nécessairement simultanée !

   Comme je vous l'ai écrit dans une précédente lettre, nous avons dépassé ce stade primaire du « je te dois, tu me dois », « je te donne, tu me donnes ».

   Milos, nous sommes au-dessus de ça ! Un cadeau est un cadeau : ça n'est pas un « prêté pour un rendu » !

   Si vous êtes vraiment « à cheval » sur la réciprocité, on peut se promettre que plus tard, lorsque ce sera possible, vous me rendrez ce que vous croyez me devoir...

   J'insiste sur « ce que vous croyez » me devoir. Vous ignorez encore beaucoup de choses à mon sujet et peut-être que c'est moi qui vous dois quelque chose ! Parce que vous n'êtes absolument pas conscient de ce que vous m'avez déjà donné sans le savoir !

   Je n'ai pas fini. Vous connaissez mon goût pour la controverse. Je vous propose maintenant une « disputatio ». Au Moyen Âge, la disputatio est liée à la définition aristotélicienne de la dialectique. Elle se présente sous la forme d’un débat oral entre deux ou plusieurs interlocuteurs et se tient devant un auditoire (on fera sans...).

   Un opponens vient présenter des objections à la thèse proposée puis un respondens est chargé d’opposer des contre-arguments aux objections premières, de sorte qu’un véritable débat puisse s’établir.

   Voici la thèse de l'opponens (moi). Sujet de la disputatio : le don (d'argent).

je donne à la Ligue de protection des oiseaux ;

je donne à une association qui lutte pour qu'il n'y ait plus d'animaux sauvages dans les cirques ;

je donne pour sauvegarder la magnifique petite église du XIVe siècle de notre village qui est en péril (bien que je ne sois pas catholique) ;

Cette année, j'ai donné à une nouvelle association qui vient de se créer pour que les coqs puissent chanter librement, pour que les cloches des églises puissent carillonner et celles des vaches tinter. Oui, car les gens des villes (surtout des Parisiens) qui viennent s'installer à la campagne demandent aux tribunaux de faire cesser ces « bruits » qui les dérangent ! Qu'ils aillent au Diable !

   Pouvez-vous maintenant user de votre raisonnement pour expliquer quelles seraient les raisons valables, justifiées et bien argumentées pour je ne sois pas autorisée à faire un don à une personne chère à mon cœur. Je vous écoute !

   P.S. Dans une ancienne lettre que je vous ai envoyée alors que vous étiez encore à Monaco, sur le départ, je vous ai écrit : « Ça n'est pas le moment de faire du « marivaudage » avec votre correspondante » sans vous donner plus d'explications...

   Le mot « marivaudage » a été fabriqué à partir d'un nom, Pierre de Marivaux, homme de théâtre du XVIIe siècle. Ses pièces mettent en scène des personnages qui cachent leurs sentiments, tout en les exprimant de manière subtile, dans un langage nuancé, raffiné, un jeu verbal de séduction d'une grande finesse. Une tradition bien française mais en voie de disparition, malheureusement. Vous rendez-vous compte qu'il a donné son nom à un mot employé dans le langage courant ! Il s'agit d'un anthroponyme. Notez-le je vous prie dans votre cahier...

   Bisous.

   Pas dans trois mois ! Donna.

 Composition Ivan Gjorgievsky

Denise Book Cover Final RGB PDF