Jean-François Roth "Journal du cyclone Chido"

📅 18 mars 2025

Journal du cyclone  Chido

aux disparus, que leur ombre reste vive

 

Jour zéro

 

Je me souviens encore de ce temps d’innocence

Matin d’hirondelles et de libellules

gloire des sauterelles aux cervelles nulles

des oiseaux ravissants aux lisières exultent

gavés de musiques et de jujubes

Sur la terre rouge et grasse

les vertueuses courges déploient

leurs vrilles virides mais lasses

 

où j’écrivais de ces vers j’menfoutistes.

Je composerai un poème de ciel et de terre

sur une planche de palissandre

Une colonne de corail perdra son faite

dans le brouillard de mes négligences

Puis je m’en laverai les mains

comme la mouche après la pluie.

 

Pourtant et sans forfanterie j’osais

Mes années passées sont filles qui se déhanchent

à cause des orties qui fouettent leurs jambes.

 

Par orties je signifiais cachots – périls en mer – chutes et rechutes – humiliations – blessures 

séismes – incendies – soif dans les déserts – désastreuses aventures – mais mon heaume et mon

armure

C’est pourquoi lorsque j’entendis à neuf heures la radio diffuser son bulletin météorologique  je

couchais ce tercet parfaitement puéril

Il agite le cyclone

            la jupe

du cocotier et sa jambe

 

Quand brusquement une griffe tombée du ciel

A la fenêtre des palmes

            hirsutes

terrifiantes chevelures

 

suivie  d’un horrible raffut.

Sa jupe envolée sa jambe

              brisée

laideur obscène de l’arbre

 

Bientôt

Les murs en briques qui vibrent

               la pluie

mais est-ce encore la pluie

 

j’ai peur.

Contre la porte arc-bouté

                 un

vent

d'apocalypse majeure                                                                                                                                                                                                                                                                                 

Et ce n’est pas le diable qui est au piano

(avec cette musique aucun pacte possible)

mais un enfant de quatre ans qui brise son jeu

féroce avec la toute puissance d’un dieu

 

Je tremble de nouveau.

Au sortir de l’œil le vent

             forcit

encore  et l’épuisement

 

De l’école une tôle

       une autre

enfin le toit qui s’envole

 

Ici

nos bangas sont des origamis

et le quartier un puzzle à trois dimensions

réduit à deux écrabouillé

La couverture forestière est épilée

de même notre grand kapokier

Plus de fruits ni de feuilles

 

Revenus de leur enfer j’ai vu de pitoyables yeux.

Visite de lémuriens

        errants

pour eux mon dernier fruit mûr

 

Jour plus 1

 

Je me souviens qu’il est des pihis

oiseaux d’une aile ils voyagent par couples

si j’en crois Guillaume Apollinaire

Ici les pihis saignent et mâchent la terre

Avec les culs-de-jatte et les manchots

ils se désaltèrent de la bave des escargots

Le pouvoir a ses tireurs d’élite

Ils placent dans leurs viseurs les paralytiques

Il y aurait deux mille morts jetés dans des fosses communes du côté de Kaweni

dans les bidonvilles des orgies de sang

Tout se dit

Au cœur du désastre on ne sait rien

Tout est possible

Rien ne fonctionne

Rien n’a été prévu

Dans la réserve sanitaire pour les sinistrés

237 petites bouteilles d’eau et rien à manger

 

Mon amante est je ne sais où

peut-être du côté de Mamudzu

Mamudz’où?

Nulle part on se trouve quelque part

 

Des tas de détritus bloquent les rues

savates câbles branches brisées cartons électro-ménager draps souillés

laine de roche en charpie plâtre restes incertains de meubles désarticulés

Le cyclone ignore le tri sélectif

On peine à trouver un anxiolytique

 

Autour du puits aux vaches pour une eau stagnante

munies de seaux des femmes tour à tour patientent

 

Serait-ce elle qui m’inspira un certain jour d’autrefois

 De tête elle est nue

de cœur bariolée

Qu’elle monte un chignon

c’est le monde assemblé

De tête elle est nue

comme elle pousse à rêver

 

Cauchemars tourments de la faim et pleurs passent la barrière de la nuit.

 

Regardant le ciel limpide

Tant de grillons sous la lune

              et elle

la lune toujours entière

 

Bientôt viendront les pontes bien chaussés

pour des selfies avec des visages maquillés

des sourires gorgés de larmes rentrées       

et des pieds nus

 

"Ci-gît la France merde"

 

Reviennent le soleil de Pâques

mes prés mes amours négligées

Renaisse en un ruisseau mon Tarn

pour mon désir y abreuver

 

je tourne cette supplique en caressant

Un caméléon vert ses yeux de porte-mondes.

                                                              

Kahani, un mois plus tard

 

Je soigne à présent cinq makis

Ils étaient sept auparavant

puis six  Mais je n’ai plus de pommes 

Je leur donne des raisins secs.

Ils trouvent refuge où ils peuvent

surtout pas au sol Les enfants

quand ils coincent un estropié

lui font un triste sort Foussia !

C’est dire en mahorais fumier

 

Je ne mange plus que du cassoulet en boite – nourriture méprisée par les musulmans. Dans le

Douka Be du village hormis l’alcool on ne trouve plus rien.

 

La Faim et la Misère rodent sans relâche

C'est l'amie Mariama – tel est son nom d’usage

trois enfants à nourrir et toujours pas de riz.

Dans son congélateur reste un pied de zébu

Ah Mayotte Mayotte à qui t’es-tu vendue

 

Le groupe alpha 25 de la gendarmerie

le même qui œuvra pour mater les kanaks

se déploie au village avec engins blindés

Des clandestins des pauvres il mène la traque

Mieux vaut se cacher que circuler sans papiers

Menottes et rangers mais toujours pas de riz

                                                                                                         

Les Malgaches que je fréquente

(Faux ongles verts faux cheveux

              faux cils

mes amies baudelairiennes)

ont un bar pour vendre la bière

mais sont résolument abstèmes 

De leur terrasse j’ai vu hier

le neuf janvier par conséquent

seule grave et même très fière

(D’une épingle rapiécée

         peau sombre

sous sa robe usée  gamine)

Béatrice neuf ans et rien de Florentine

Mais qui lui offrira

qui sa Vita nova

 

Parfois je vais pour me baigner

à Sakouli la renommée

J’y ai connu la joie d’amour

qui m’est propre Elle est sans objet

un oui qui vient de vivre ici

les baobabs au loin une île

(Quand l’âme aime elle s’anime

              qu’Amour
 
pour le meilleur la remue)
 
 Pourtant de la vie me parviennent
 
d'autres et contrastés messages
 
 Saisie sur le sable où elle
 
            se meurt
 
porcelaine frangée d’or

                                                                                                   Kahani décembre 2024 janvier 2025

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