Paris le 5/4/2020 | |
Association A.
Paris
Mme France Tessali
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Maison d'arrêt de Monaco
Milos C.
n° écrou 93XX
98000 MONACO
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Bonjour Milos
Je suis sans nouvelles de vous ... Notre correspondance va-t-elle se terminer en eau de boudin ? Nous avons échangé plusieurs courriers et j'ai aimé bavarder avec vous, votre manière d'être, votre humour. Vous savez prendre du recul, une qualité que je ne suis loin de maîtriser aussi bien que vous ! J'ai souvent ri à la lecture de vos propos et ça fait du bien. La conséquence, c'est que pour moi, vous n'êtes pas un anonyme numéro d'écrou. Vous n'êtes pas non plus un Milos quelconque, parmi les milliers, millions de Milos qui existent dans le monde. N'ayant pas d'explication, ni rationnelle ni factuelle, je m'interroge sur ma propre responsabilité. Peut-être ai-je été trop intrusive ? Peut-être mon implication vous a paru encombrante, pesante ? Peut-être ai-je écrit quelque chose qui vous a embarrassé ou déplu ? Est-ce que, sans m'en rendre compte, je vous ai un peu trop rudoyé, asticoté ? Le climat délétère qui règne depuis le début de l'épidémie de Covid, la mort qui rôde partout m'ont fait craindre le pire. Je n'ai appris que récemment dans un article, par la voix du directeur de la maison d'arrêt de Monaco, que vos conditions de détention n'étaient en rien comparables avec ce qui se passe en France, que vous aviez accès au téléphone gratuitement, que les promenades n'avaient pas été supprimées, que la salle de sport restait accessible, que les cellules étaient ouvertes, etc. Ne perdez pas de vue que je suis, moi aussi, une personne humaine avec ses états d'âme, ses angoisses, ses paniques, très affectée, bouleversée, déprimée par la situation. Je suis désolée de vous avoir importuné avec mes lettres fiévreuses et un peu exaltées. Sans doute faut-il que je réfléchisse sur mon engagement personnel et que je redéfinisse les objectifs.
Vous savez, c'est difficile, à distance, lorsqu'on aborde une personne sans la connaître, de savoir comment l'approcher sans brusquer, comment deviner ses attentes. J'ai du mal à cerner les vôtres.
Sur le dossier que m'a transmis A., vous avez manifesté votre désir de vous perfectionner en langue française. Mais vous maîtrisez bien le français, Milos. Pour affiner votre expression, je vous ai suggéré d'écrire sur votre vie quotidienne avec l'idée de faire quelque chose de ce travail de réflexion sur vous-même. C'est un exercice passionnant, fructueux et gratifiant à tous égards. Pour vous comme pour moi. Dès lors qu'une relation, même épistolaire, s'installe entre deux partenaires, chacun doit faire un pas vers l'autre pour enrichir l'histoire. Ça ne peut pas venir que d'un seul côté. Je n'ai pas réussi à vous convaincre. J'en suis, sachez-le, profondément navrée, peinée, attristée et vous me manquez déjà. S'il vous prend une envie de « revenez-y », vous pourrez toujours me joindre à l'adresse d'A. dès que tout sera rentré dans l'ordre. À toutes fins utiles et pour preuve de confiance, voici une adresse mail Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser., ça peut servir plus tard, on ne sait jamais... En attendant, je mets au frais une bouteille de champagne. Nous pourrons virtuellement nous noyer dans les bulles, le moment venu. C'est une option stimulante hodie aut crastino (comme on dit en latin : aujourd'hui ou demain). Bon d'accord, ça sera plutôt demain. Heu... après-demain ?)
Milos, je vous souhaite le meilleur. Toute mon amitié ! Bien sincèrement.
Composition Ivan Gjorgievsky