L’Ethiopie inspire-t-elle la poésie ? Pas celle de Rimbaud qui n’écrivait déjà plus lorsqu’il s’est installé en Abyssinie. Mais incontestablement celle de Peire Joi qui y a vécu trois ans et relate, dans un petit recueil intitulé « Tïzïta[1] », à l’instar du poète de « Une saison en enfer » qu’il cite en exergue, les silences, les nuits et le vertiges.
Ici, tout est dualité. Rien n’est binaire. Voilà la quintessence de l’altérité : respect de l’autre et difficulté d’être soi. L’Ethiopie ne se donne pas. Il faut aller la chercher dans sa complexité religieuse, culturelle et linguistique et les blessures qu’elle porte sont le produit des violences hégémoniques qu’elle a subies et dont les plaies purulent encore dans l’enfer du mercato. Les sens sont secoués dans un brouillon synesthésique que suggèrent la beauté dans la beauté et la beauté dans la laideur. Le fruit est délice et pestilence. La ville est chaos et sainteté. La nature est nature et artefacts.
La beauté est à cueillir dit Peire Joi. Le lecteur se délecte d’abord, sans réticence, des jaune d’or de Sululta, mauve pastel des saponaires, oranger des tulipiers, bleu Majorelle des jacarandas et rose des pampres de vignes. Il respire la térébenthine des mangues, l’encens et le café. Ecoute les trilles des oiseaux, s’émeut de la brillance des feuilles. Mais il est bientôt rattrapé par le musc de la civette à la puissante fragrance. Il poursuit son voyage dans l’odeur chaude de la french bakery puis dans le fumet du gazole. Et la chanson de l’eau du torrent qui « descend de la montagne comme un bâton de pluie » devient un roulement où s’entrechoquent les détritus des poubelles.
On ne sait pas si le paysan cultive la terre ou le pétrole. Si l’enfant est un chien dénudé raclant le caniveau ou un écolier vêtu à l’anglaise. S’il faut manger ou simplement, « saucer le soleil avec les doigts ». S’il fait chaud ou s’il fait froid. S’il fait sec ou humide. On ne sait pas distinguer le passé du présent. L’utile de l’inutile. Le paganisme du religieux. Le rituel de l’attraction touristique. Ni « Comment accéder à la beauté des choses (…) derrière la barrière des signes de l’alphabet amharique ».
Peut-être en écoutant « l’African jazz Village (qui) réinvente chaque soir le temps des « big band » au son du vibraphone du Dr Mulatu Astateke ». Ou en écoutant en votre lecture, la musique de « Timkat Gondar » :
Des cohortes d’anges
cotonnade flottante
descendent des collines au matin
elles s’épanchent vers les bains
scellés de racines
au figuier des banians séculaires
Les thermes de Fasiladas
vaste baignoire ointe
à l’eau du baptême
au soir s’offre à la lueur des chandelles
mille paires d’yeux ailés
peintes au ciel de Debra Birham
Petits cailloux sur le chemin du bien
prêts à trouver partout
la ferveur du renouveau
comme autant d’orantes
danse au tambour kebero
la foule éprise des oiseau du bon dieu.
[1] Peire Joi « Tïzïta » aux éditions « Encres vives » Livraison 401 été 2024.