Coquelicot
Fleur amèrement chérie,
Tu n’as donc pas attendu
La fin de cette prairie
Pour prendre du sang perdu
La sirupeuse texture !
Je me cherche une blessure...
Mais mon étrange douleur
Ne vient que de la couleur
De ta hideuse coulure ;
Et ce bras me lance où dure
Un stigmate accusateur.
La sentence instantanée
Tombe ainsi sur une main
Que la fraiche assassinée
Vient souiller de son carmin.
Le péché dont je relève
Au terme pur de la sève
A ravi son tendre teint :
A peine un baiser soutint
Qu’une douceur aussi brève
Détermine et parachève
Ce cadavre de satin !
Ainsi varie sa nuance :
L’écarlate s’assombrit
D’annoncer l’évanescence
Aux sources de mon esprit.
Mais il faut que mes yeux mentent
Ou que la pourpre apparente
Stigmatise un innocent !
Du sang suinte... est-ce du sang,
Ou la décalcomanie
D’un pur signe d’ironie
Moins sévère qu’agaçant ?
Parle, fleur... Pourquoi si vite
Après que ta cueillaison
A la mièvrerie m’invite
Faut-il boire le poison
Que me verse ton essence ?
Ténébreuse insignifiance
Infusant mes oraisons,
Sévérité de saison,
Venimeuse sarbacane,
Sont-ce nobles tes arcanes,
Ou fantasques mes raisons ?
Non, c’est ma très grande faute !
Tous, ils me montrent du doigt,
Ces pampres des herbes hautes.
Leur extravagante loi
Ne veut pas de peine exacte :
Elle doit dépasser l’acte,
Et la fleur y suffira
Qui longtemps rétorquera :
« Affliction, regret, déroute...
Ce que le remords te coûte
Jamais ne me payera. »
Ah ! Quelle seule innocence
Survit à sa cueillaison ?
Quel baiser se fait substance
Des lèvres que nous baisons ?
Par ces envieuses pulpes
Un soupir qui me disculpe
S’avère toujours trop court...
Coupable, l’air est si lourd
Aux environs qui te pèsent,
Et ce bout de gant de glaise
Qui se parfumait d’amour !
Mais que rien ne divertisse
Mon âme au suprême instant
De l’évidente justice :
Il vire à l’inconsistant,
Le châtiment qui me cingle...
Malgré sa minceur d’épingle
Il faut que m’afflige un brin
Que la pourriture étreint.
Oui, qu’elle me tombe en l’âme,
Et le baume de ce blâme
Où s’abime le chagrin !
Mais ma main répond sans ruse
Que son geste fut naïf.
L’insouciance est son excuse
Tout autant que son motif.
Coupable, certes, coupable...
Mais qui d’une fleur s’accable
Ne porte pas grand fardeau.
La pomme offre l’asticot...
Tout bienfait d’un mal s’accuse...
Qui cueille un rêve en abuse,
Et tout fin coquelicot.
Tout être n’est qu’un brin d’herbe...
La grande Nature qui,
Comme l’erratique gerbe,
Détermina qu’il naquît
Seule engendre, épargne et fauche.
La conscience qui L’ébauche
Avec assez de recul
Croit sortir de Son calcul,
Mais le cerveau même y entre
Où le remords se concentre
En Son plus rusé cumul.
L’évasive qui s’évase
Me verse le sang des bois
Avec une telle emphase
Que je crois que je le bois.
Et si ce bonheur nécrose
La plus fragile des roses,
C’est sa vie qui passe en moi !
Oui, je referais le choix
Que ma puissance propose :
Elle est belle, elle est éclose,
Je me l’offre et la reçois.
Nobles bulbes, simples pointes,
Superfétatoires fleurs
Que le vent glaneur a jointes
A la terre avec bonheur,
L’excès de vos tendres offres
Cache au fond de chaque coffre
Un trésor de vanité !
Le reproche supporté
Mène proche de l’extase
Un cœur que jamais ne blase
La mortelle intimité !
Photo L'Altérité