Dans la collection, Totem de chez Gallmeister, on trouve également le livre d’Edward Abbey, Désert solitaire que la revue L’Altérité a déjà chroniqué. L’éditeur est spécialisé dans les livres de nature et d’aventure. La rencontre avec cet ouvrage a eu lieu, très opportunément, dans un magasin de sport de montagne, à Corte. La quatrième de couverture du livre de Haines est alléchante puisque qu’elle compare l’auteur à Jack London : « John Haines, c’est Jack London au temps de richard Nixon ». Evidemment, il nous semble que le récit n’est ni à la hauteur des romans de Jack London, ni à celle de Désert solitaire d’Edward Abbey. Mais il est intéressant de noter qu’une expérience de pionnier, déjà ancienne, ne peut pas ne pas résonner auprès d’une jeune génération à la recherche d’un système économique alternatif au capitalisme. Voilà le résumé qu’on trouve dans la plupart des pages des librairies en ligne le concernant :
« Pendant vingt-cinq ans, John Haines a vécu dans une cabane isolée au cœur des étendues vierges de l’Alaska, menant une existence rude et solitaire de pionnier moderne. Couper du bois, tracer une piste, piéger une marte, dépecer un élan, faire ses réserves de saumon : une vie simple, aventureuse et libre, au rythme d’une nature sauvage envoûtante. Avec sérénité, il transforme son expérience intime en un récit initiatique et intemporel, où le moindre événement trouve sa résonance en chacun de nous ».
Les étoiles, la neige, le feu est le récit d’un homme qui met en avant la rudesse d’une existence en narrant par le détail les moyens techniques qui lui ont permis de lutter contre l’adversité du Grand Nord. Haines est un pragmatique et s’étend de manière parfois assez répétitive et ennuyeuse, nous a-t-il semblé, sur les moyens de piéger un animal ou plus généralement de subvenir à ses besoins primaires. Au contraire d’Edward Abbey dont le récit est inspiré, poétique et politique notamment dans la conscience qu’il a de la surexploitation par l’homme de la nature, Haines témoigne d’une expérience très personnelle qui ne débouche finalement, à la fin du livre, que sur un réflexion très oiseuse sur l’homme et son environnement fantasmatique.
« Avant le savoir il y eut la sagesse enracinée dans les ombres d’une ère qui demeure en clair-obscur. Nous-mêmes, nous avons été des créatures de la nuit : un jour l’âme humaine a quitté son corps endormi pour planer et se nourrir toute la nuit sous la forme d’une chauve-souris ou d’un oiseau exotique, avant de retrouver le dormeur à l’aube » (p 234).
Il ne s’inscrit pas évidemment dans la mouvance des écolos-spécistes contemporains qui associent à leur expérience survivaliste un véganisme exaspérant car il raconte sans fioritures la façon d’exécuter des animaux (p. 106, 107, 186, 187). Mais cette brutalité nous rappelle peut-être que la subsistance ne s’embarrasse pas des scrupules petits bourgeois de ceux qui conspuent les excès de l’industrie alimentaire en amalgamant les cruautés de la réification animale aux pratiques liées à la nécessité de vivre en pionnier.
Le livre se découpe en 18 chapitres plutôt thématiques (La neige, Les loups, La glace) ou anecdotiques (Contes d’hiver, L’ombre et sa proie). Mais les histoires qu’il raconte ou dont il témoigne laissent un peu le lecteur sur sa faim car la dimension dramatique qui enfle la narration au fur et à mesure qu’elle progresse se dégonfle souvent brutalement dans une fin dépourvue d’une véritable chute. Le souci d’un réalisme documentaire et l’honnêteté de l’auteur semblent l’emporter sur un approche plus romanesque. Haines s’en rend-il compte lorsque dans L’ombre et sa proie il imagine, dans sa confrontation avec l’ours, une fin bien plus tragique ?
« Des années plus tard, lorsque j’ai songé à écrire ces pages, j’ai imaginé pour moi un autre dénouement à cette aventure » (p 86).